Quelques mois seulement après la désastreuse guerre contre la Yougoslavie, où la destruction et le blocus infligés par l’OTAN ont plongé la population dans une misère effrayante, c’est aujourd’hui aux peuples de la Tchétchénie de subir les conséquences indescriptibles d’une agression militaire de la part d’une grande puissance.
Après l’échec du dernier assaut contre la Tchétchénie en 1994-1996, une guerre qui a coûté la vie à au moins 80 000 personnes, l’État-major de l’armée russe est décidé à prendre Groznyï cette fois-ci, et cela même s’il faut mettre toute la région à feu et à sang.
La Tchétchénie se situe dans une région d’une importance stratégique et économique majeure que les États-Unis et ses alliés veulent intégrer à leur zone d’influence. Après le retrait de l’armée russe en 1996, la Tchétchénie a obtenu une indépendance de fait qui ne pouvait être longtemps tolérée par l’État russe.
Lors de la dernière guerre, l’offensive russe contre la Tchétchénie était très impopulaire en Russie. Cette fois-ci, l’offensive a été précédée d’une série d’attentats terroristes particulièrement meurtriers à Moscou et ailleurs. Ces attentats ciblaient non pas des bâtiments gouvernementaux ou des personnalités du régime, mais les travailleurs, les gens dans le métro, dans des rues commerçantes et dans les quartiers populaires.
Les autorités ont immédiatement désignés les "terroristes tchétchènes" comme coupables. Jusqu’à ce jour, cependant, aucun élément n’a pu être présenté qui lierait de quelque manière que ce soit les attentats à une quelconque organisation tchétchène, et aucun groupement terroriste ne les a revendiqués.
Il est fort probable que ces atrocités étaient en fait commises par les services secrets russes ou par leurs "hommes de main" recrutés dans le milieu de la mafia russe. En tout cas, le massacre gratuit de citoyens russes n’a aidé en rien la cause tchétchène. Par contre, il a réussi à fournir une formidable prétexte pour une intervention militaire de grande envergure et dont les préparatifs remontent au lendemain de la déroute de 1996.
L’offensive en direction de Groznyï a été menée avec une sauvagerie extrême. De village en village, sous prétexte de dénicher des "terroristes", les forces russes ont massacré et bombardé hommes, femmes et enfants.
Les médias et les gouvernements occidentaux versent des larmes de crocodile sur le sort des tchétchènes, oubliant convenablement que la Serbie a récemment été l’objet d’un traitement identique sous leur commandement. Il s’agit là d’une opération de propagande parfaitement cynique, permettant aux pays de l’OTAN de se poser une fois de plus en défenseurs de la paix et de la démocratie.
Comme pour les Kurdes, les Palestiniens ou encore les Albanais du Kosovo, le drame que vivent les tchétchènes n’est mis en avant que dans la mesure où il peut servir les intérêts des puissances concernées. Toute en s’opposant à l’offensive russe, devant laquelle elles sont d’ailleurs totalement dépourvues, les puissances occidentales continuent à envoyer les fonds à Moscou via la Banque Mondiale et le FMI, contribuant ainsi au financement de la guerre.
Les soldats russes lancés dans cette nouvelle folie meurtrière n’ont pas envie de se battre, et cette offensive, comme celle de 1994, a été marquée par tous les symptômes d’une armée démoralisée ; insubordination, désertions, troc d’armes et d’équipements. Malgré ceci et malgré l’âpreté de la résistance tchétchène, les forces russes finiront sans doute par s’emparer de Groznyï.
Mais ceci ne sera pas la fin de cette histoire. Même si Groznyï est occupée, la guerre continuera et les forces russes se trouveront en proie à un harcèlement permanent de la part de résistants tchétchènes. C’est une chose de prendre une position par un assaut militaire ; pouvoir s’imposer sur place en est une autre. C’était le sens de la phrase de Napoléon, lorsqu’il disait qu’on peut "faire beaucoup de choses avec des baïonnettes, mais il est fortement déconseillé de s’asseoir dessus !"
Quelle que soit l’issue de la guerre sur le plan militaire, il est dores et déjà évident que son déroulement traduit des modifications importantes dans les rapports entre les différentes fractions de l’ex-Union Soviétique. En toute probabilité, la guerre actuelle présage de nouveaux bouleversements sociaux et politiques affectant l’ensemble de cette région du monde dans les mois et les années à venir.
Les généraux russes ont font la sourde oreille aux représentants de la "classe politique" qui les somment de négocier avec les forces tchétchènes sous peine de voir fermer le "robinet" du FMI. La guerre en Tchétchénie, tout comme l’avance des chars russes sur Pristina pendant la guerre contre la Yougoslavie, démontre que dans la Russie d’aujourd’hui, ce sont les chefs militaires qui sont en passe de s’imposer comme l’élément déterminant du pouvoir politique russe. La démission d’Eltsine n’était pas tant sa façon de marquer le passage à l’an 2000 que celle des généraux ! Ceci est un facteur très important dont il faut tenir compte si l’on veut comprendre les perspectives qui se dessinent pour l’ex-Union Soviétique dans les mois et les années à venir.
Naturellement, une perspective ne peut être que conditionnelle, mais l’on se doit de présenter, dans la mesure du possible, le cours le plus probable des événements. Une chose est certaine : la tentative de rétablir le capitalisme en Russie a eu des conséquences absolument catastrophiques pour sa population, qui a subi un effondrement dramatique de l’infrastructure sociale et économique en l’espace d’une décennie. "L’économie de marché" dans la mesure ou elle a pu s’installer, n’a profité qu’à une petite minorité d’ex-bureaucrates devenus capitalistes, aux multinationales étrangères et, surtout, à la mafia russe.
A la différence de tous ceux qui proclamaient prématurément le "triomphe" du capitalisme sur l’économie nationalisée en Russie, les rédacteurs de La Riposte ont maintenu qu’en réalité la question n’était pas encore décidée. Dans un contexte d’instabilité sociale, d’appauvrissement de l’immense majorité de la population, le sentiment anti-capitaliste, anti-mafia, anti-FMI et anti-occident de l’écrasante majorité de la population souligne l’échec de la tentative de restaurer le capitalisme en Russie. Aujourd’hui, après une décennie du "marché libre", le pays se trouve dans une impasse économique, sociale et politique.
Les dirigeants communistes comme Zhouganov flirtent avec le nationalisme, jurent leur attachement à l’économie le marché et flattent les chefs militaires. Si le mouvement communiste avait, à la place de Zhouganov, une direction qui, au lieu de cette honteuse capitulation, avançait un programme socialiste pour la renationalisation de l’économie, plaçant le pouvoir de décision et le contrôle effectif de l’économie entre les mains des travailleurs, elle seraient aujourd’hui au pouvoir et la tentative de rétablir le capitalisme ne serait plus qu’un mauvais souvenir.
La faillite politique des dirigeants communistes d’un côté, et le marasme économique de l’autre, conjuguée à la perspective de nouveaux mouvements sociaux de la part des travailleurs russes, ouvre la voie à la possibilité, voire la probabilité, d’un coup d’état militaire, même si ses auteurs se donnent la peine de le déguiser d’habillage "constitutionnel". Le comportement des dirigeants communistes, en bloquant toute possibilité d’une issue socialiste, favorise directement cette éventualité.
Les chefs militaires ont subi humiliation sur humiliation, dont la dernière en date était l’abandon de la Serbie par Eltsine et sa clique. Leur détermination d’aller jusqu’au bout dans la guerre contre la Tchétchénie est un moyen pour eux de se réaffirmer comme une puissance avec laquelle il faut compter. Aujourd’hui, ils s’habituent à se passer des politiciens corrompus et des conseillers du FMI. Demain, s’ils décidaient se s’emparer du pouvoir, aucune force dans le pays ne pourrait s’y opposer, étant donnée l’absence d’une direction de la classe ouvrière fiable et réellement communiste.
Si un coup d’état devait avoir lieu, les militaires seraient contraints, par la logique même de la situation et quelque soient leurs intentions au départ, de s’emparer des leviers décisifs de l’économie et de rétablir un régime fondé sur la planification de l’économie.
Dans une tentative de consolider leur pouvoir, les militaires procéderaient à une chasse aux mafieux et à la répression de la grande criminalité. Ce serait un régime dictatorial, mais à la différence du stalinisme d’après-guerre, il s’agirait d’une dictature instable qui, avant même de pouvoir se consolider, se trouverait en proie à des pressions sociales très fortes, y compris celles venant de la base des forces armées, et face à la puissance colossale de la classe ouvrière russe.
Un régime militaire, dans la mesure où il balaye la crasse mafieuse et, ce faisant, efface d’un coup un certain nombre de fléaux sociaux, pourrait bénéficier, ne serait-ce que temporairement, d’une certaine popularité. Mais de par sa nature même, une dictature militaire ne pourrait ni résoudre les énormes problèmes économiques et sociaux qui écrasent la population de la Russie, ni résoudre la question des nationalités.
La question déterminante est celle du programme du mouvement ouvrier, de sa capacité de se doter d’un programme indépendant. Dans le domaine économique, l’axe central de ce programme doit être la renationalisation de l’appareil industriel, du système bancaire et des réseaux de distribution, non pas à la manière de l’ancien régime stalinien, mais sur la base d’une gestion saine et démocratique, animée par les travailleurs et par leurs représentants directement élus et révocables, et ne jouissant ni des avantages pécuniaires ni du pouvoir arbitraire des bureaucrates du passé. L’armée et toutes les instances de l’État doivent être nettoyées des éléments parasitaires, corrompus et malfaiteurs, qui doivent être remplacés par des serviteurs intègres et dévoués à l’intérêt public.
Seule une société socialiste pourra ouvrir une issue pacifique et démocratique à la question tchétchène et à la question des nationalités en général. Le socialisme s’oppose résolument à toutes les formes d’oppression, y compris l’oppression nationale. Mais il s’oppose aussi à toutes les formes de nationalisme. Le problème qui se pose en Tchétchénie est avant tout celui de savoir quelle classe sociale doit contrôler les richesses matérielles, les moyens de production, et les armes.
Tout autant que les Tchétchènes, l’importante communauté russe en Tchétchénie, essentiellement des salariés, a terriblement souffert de ce pillage des biens publics que l’on appelle "l’économie de marché". Le travailleur ou le paysan tchétchène a beaucoup plus d’intérêts communs avec son homologue russe qu’avec les trafiquants richissimes qui se sont emparés du pouvoir en Tchétchénie.
Nous sommes pour une Tchétchénie socialiste et une Russie socialiste, unies dans une coopération fraternelle et volontaire, et en aucun cas imposée par la force, dans laquelle le peuple tchétchène disposerait d’une large autonomie.
Dans la guerre actuelle, nous sommes pour le peuple tchétchène et contre les généraux russes. Ceci ne signifie nullement que l’on accorde un quelconque soutien aux brigands mafieux qui forme la classe dominante en Tchétchénie, avec leur charia et leur despotisme politique. Cette clique ne se bat pas, comme elle le prétend, pour le peuple tchétchène, mais pour s’arroger le droit de le piller et de l’exploiter. La victoire du socialisme serait aussi calamiteuse pour ces "chefs" tchétchènes que pour les éléments capitalistes et mafieux de Moscou et de St. Petersbourg.
Le programme d’une Tchétchénie "indépendante" est un leurre. Un régime sécessionniste dans une région sous-développée, sans débouchée maritime et face à la pression et au harcèlement militaire et économique de ses voisins, tomberait inéluctablement sous la domination de l’une ou l’autre des grandes puissances. A notre époque, il n’y a point d’avenir pour des petits états, lesquels, comme le montre le morcellement de la Yougoslavie, deviennent autant de satellites des grandes puissances et, du coup, la "petite monnaie" des conflits qui surgissent entre elles. La Bosnie est en effet un Etat-pion des États-Unis, tout comme la Croatie l’est pour l’Allemagne. L’indépendance de la Tchétchénie ne pourrait jamais être que purement nominale.
Du point de vue économique, social et culturel, tous les peuples de l’ex-Union Soviétique auraient intérêt à se fédérer fraternellement pour mieux utiliser les ressources de chaque région au profit de l’ensemble, tout en laissant à chaque peuple une totale liberté en matière de langues, de pratiques culturelles ou religieuses.
Un régime démocratique et socialiste, dans le Caucase comme en Russie, offre la seule solution viable à la question nationale. Un régime socialiste, sous le contrôle démocratique de la collectivité, mettra fin à toutes ces guerres fratricides menées pour déterminer à quels intérêts privés profitera l’exploitation des différents éléments de l’organisme économique. La victoire du socialisme rendra possible la création d’une fédération démocratique et socialiste du Caucase et de la Russie, fondée sur une collaboration économique fraternelle et librement consentie dans l’intérêt de tous.
La Guerre en Tchétchénie
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- La rédaction