Partis traditionnels balayés, progression de l’extrême droite : les dernières élections européennes ont été une nouvelle illustration de la profonde crise politique en Europe. On retrouve les mêmes tendances fondamentales sur tout le continent, même si les résultats peuvent diverger suivant les contextes concrets. Voyons cela en nous appuyant sur les cas de l’Espagne, de l’Italie, de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne, de la France et de la Belgique.
La défaite des vieux partis
Le premier élément marquant est la défaite de la plupart des grands partis traditionnels de la bourgeoise européenne. Il s’agit même parfois d’un effondrement, comme dans le cas de LR en France (8,4 %) ou encore des Conservateurs britanniques, qui passent de 23,5 % en 2014 à 9 % cette fois-ci. En Italie, le Parti Démocrate (« centre gauche ») et le parti de Berlusconi, Forza Italia (droite) ont perdu, chacun, près de la moitié de leurs suffrages de 2014 : ils chutent respectivement à 22 % et 8 %. En Allemagne, la chute des deux grands partis traditionnels se poursuit : la Démocratie Chrétienne (CDU-CSU, droite) recueille 29 % des voix, contre 35 % en 2014 ; le Parti social-démocrate (SPD) tombe à 15 %, contre 27 % en 2014.
Ce phénomène a les mêmes causes fondamentales dans tous les pays. Les partis en question (de droite comme « de gauche ») payent le prix de plusieurs années de gestion du capitalisme en crise, sous la forme de plans d’austérité, de coupes massives dans les dépenses publiques et d’attaques brutales contre les droits des travailleurs. Sur tout le continent, il y a un rejet des partis qui se sont partagés le pouvoir, depuis le début de la crise, et qui ont appliqué ces politiques réactionnaires.
En Grande-Bretagne, ce phénomène a été encore renforcé par la gestion calamiteuse du Brexit par le gouvernement de Theresa May. Cette situation a conduit le Parti Conservateur – le plus vieux parti politique d’Europe – au bord du gouffre.
Ce rejet du système politique officiel – et des institutions de l’UE – s’est aussi manifesté, une fois de plus, par une abstention massive : près de 50 % à l’échelle européenne. En Grande-Bretagne et en Italie, l’abstention a augmenté par rapport à 2014. Dans d’autres pays, comme la France ou l’Espagne, elle a un peu baissé, mais en restant à des niveaux très élevés. Les politiciens qui se félicitent d’une « participation exceptionnelle » à ces élections se moquent du monde. Par exemple, le parti de Macron n’a réuni que 11,2 % des inscrits.
L’extrême droite à l’offensive
L’extrême-droite est arrivée en tête dans plusieurs pays : la Lega de Matteo Salvini en Italie (34 %), le RN en France (23 %) et le Parti du Brexit de Nigel Farage en Grande-Bretagne (31 %).
La victoire de ces démagogues « anti-système » constitue l’autre face de l’effondrement des grands partis traditionnels.
Comme d’habitude, les progrès de l’extrême-droite ont provoqué une avalanche de mises en garde contre la « vague brune » qui s’apprêterait à submerger l’Europe. Par exemple, le secrétaire général du PCF, Fabien Roussel, déclarait que le score du RN, en France, constituait un « danger pour la République ».
Il va sans dire que le RN est un parti archi-réactionnaire et un ennemi de la classe ouvrière. Il faut le combattre fermement. Mais, d’une part, il n’est pas vrai que nous sommes au seuil d’une dictature fasciste. Mais surtout : comment combattre le RN ? En faisant « l’unité de la gauche », nous répondent Roussel et d’autres dirigeants de la gauche réformiste. « L’unité de la gauche » sur quel programme ? Le programme du PS et des Verts, c’est-à-dire le programme de gestion du capitalisme qui déçoit les masses et, en conséquence, renforce l’extrême droite ?
Par ailleurs, dans certains pays, l’extrême droite a reculé. En Allemagne, le parti xénophobe AfD a fait moins de 11 % des voix, soit nettement moins qu’aux dernières élections régionales. En Espagne, le parti néo-franquiste Vox n’a pas réussi sa percée. Il n’a obtenu que 6,2 % des suffrages, alors que beaucoup de sondages lui promettaient de dépasser les 10 %. De fait, Vox a été contré par une poussée massive vers la gauche.
Les limites de la gauche radicale
Lorsque l’extrême droite fait des percées électorales, c’est le signe sûr que la « gauche radicale » est incapable d’apparaître comme une alternative crédible au statu quo et à l’austérité. En Italie, par exemple, la gauche a virtuellement disparu – après avoir passé de nombreuses années à soutenir les gouvernements austéritaires du Parti Démocrate. Cette situation, à gauche, a laissé un espace béant dans lequel la Lega s’est engouffrée en se présentant comme la seule véritable alternative. Ce processus se retrouve ailleurs. La faiblesse de la gauche radicale est d’ailleurs un trait quasi-général de ces élections.
En Allemagne, Die Linke est tombé à 5,5 %, tandis qu’en Espagne Unidos Podemos a fait à peine 10 %. Dans les deux cas, ces formations ont refusé de se distinguer clairement de la gauche « gestionnaire », social-démocrate. Pendant des années, Die Linke a géré des gouvernements régionaux en alliance avec le SPD, alors même que ces gouvernements appliquaient des politiques d’austérité – et que, surtout, le SPD participait alors à un gouvernement de coalition avec la droite, au niveau fédéral. Incapable de rompre avec le SPD, Die Linke chute avec lui.
De même, en Espagne, Unidos Podemos (UP) a passé toute la dernière période à faire pression sur le PSOE pour qu’il lui accorde une place au sein du gouvernement Sanchez. En se présentant comme une force auxiliaire du gouvernement, UP ne pouvait pas bénéficier de la nette poussée vers la gauche que connaît actuellement l’Espagne. Placés devant l’alternative entre le PSOE et UP, la majorité des électeurs de gauche ont voté directement pour le PSOE – ou se sont abstenus.
A contrario, l’exemple du Parti du Travail (PTB) en Belgique montre que la défaite n’était pas une fatalité pour la gauche radicale. En menant une campagne offensive sur un programme qui, bien que réformiste, était néanmoins radical et clairement en rupture avec les politiques d’austérité et avec le statu quo politique, le PTB a réalisé un bon score, avec 14 % du côté francophone (trois fois plus qu’en 2014). Il a même progressé du côté flamand ! Le PTB a gagné le premier eurodéputé de son histoire, alors même que les partis traditionnels de la gauche réformiste chutaient. C’est cet exemple que doit suivre la gauche radicale en Europe, si elle veut enrayer la croissance des partis d’extrême-droite et rallier à elle la masse des abstentionnistes, pour mener la lutte contre le capitalisme et la misère qu’il répand dans tout le continent !