Nous expliquions, en 2003, que les objectifs américains en Irak étaient doubles. D’une part, les Etats-Unis voulaient prendre le contrôle du pétrole irakien, ce qui leur aurait notamment permis d’affaiblir l’OPEP par un accroissement massif de la production irakienne. D’autre part, ils voulaient asseoir leur présence au cœur du Moyen Orient. En la matière, l’Irak devait servir de base opérationnelle pour l’impérialisme américain, d’autant plus que la présence militaire américaine en Arabie Saoudite était devenue une cause d’instabilité qui menaçait l’existence même de la monarchie. Pour essayer de stabiliser le régime saoudien, les Etats-Unis ont dû accepter la fermeture des bases américaines dans le royaume. Mais la situation en Arabie Saoudite n’a pas cessé d’être instable pour autant.
Nous constatons aujourd’hui le complet fiasco des projets américains. L’élément le plus évident, en la matière, est sans doute l’incapacité des Etats-Unis à développer la production de pétrole irakien. Du fait des sabotages et autres actions de la résistance, la production ne parvient même pas à son niveau d’avant guerre. C’est un point extrêmement important car, depuis la fameuse rencontre, en 1945, entre Roosevelt et le roi Abdul Aziz d’Arabie, le souci de contrôler des sources d’approvisionnement en pétrole, si nécessaire au moyen de la force, est une constante de l’impérialisme américain.
Depuis la crise pétrolière de 1973, le Pentagone a échafaudé divers scénarios de « sécurisation » des champs pétroliers Saoudiens et autres. La situation en Irak révèle la vanité de tels plans. En effet, l’exploitation du pétrole suppose un réseau si complexe d’infrastructures en tout genre qu’il est impossible aux forces américaines d’assurer leur protection intégrale.
La situation économique et sécuritaire est encore plus désastreuse. La vie quotidienne des Irakiens a empiré. Chaque jour, des dizaines d’entre eux sont tués ou blessés à des check points, au cours de « fouilles » de maisons, ou encore lors de ripostes aveugles de soldats américains visés par la résistance. A la différence des attentats, ces faits ne sont quasiment pas rapportés par les médias. D’ailleurs, lors des premières semaines de l’invasion, le général Tommy Franks avait froidement prévenu que « nous ne comptons pas les morts ».
Les forces irakiennes qui appuient les soldats américains sont extrêmement faibles et fragiles. Elles sont composées essentiellement de miliciens kurdes, qui cherchent à renforcer leur pouvoir en collaborant avec l’impérialisme américain. La précarité de la position de l’impérialisme américain est on ne peut mieux figurée par la « zone verte », ce camp retranché au cœur de Bagdad où siègent le gouvernement irakien et ses tuteurs américains.
Face à une telle débâcle, les soutiens à l’occupation de l’Irak s’effritent - aussi bien aux Etats-Unis que chez ses alliés. L’Italie et le Royaume-Uni se sont publiquement engagés à réduire leurs contingents militaires en Irak. La guerre coûte aux seuls Etats-Unis 5 milliards de dollars par mois. Les pertes s’alourdissent alors que la résistance irakienne devient de plus en plus efficace. Donald Rumsfeld lui-même a déclaré ne pas escompter de victoire avant dix ans.
L’Irak mobilise des troupes qui, du point de vue de l’impérialisme américain, pourraient s’avérer nécessaires ailleurs (Venezuela, Iran, Corée...). Pour éviter que leur aventure irakienne ne se solde par une complète déroute, la seule solution qui reste aux Américains serait de procéder à un retrait partiel, et de figer le contingent américain au niveau auquel, dans les plans de l’équipe Bush, il aurait dû s’établir dès l’été 2003, c’est-à-dire à moins de 50 000 soldats (contre 160 000 actuellement). Cette stratégie passerait par une « irakisation » de la guerre. Comme jadis au Sud Vietnam, les Etats-Unis tentent de construire une force locale qui leur permette d’épargner leurs propres soldats. Cependant, le général Casey reconnaît lui-même que seul un bataillon irakien sur 120 est à même d’opérer sans l’encadrement de l’armée américaine.
L’impréparation chronique dont souffre l’armée irakienne est la conséquence du rejet, par les Irakiens, de l’occupation américaine. Il est en effet surprenant que, dans un pays qu’on stigmatisait pour son militarisme, les Etats-Unis ne soient pas parvenus à bâtir une armée digne de ce nom. L’explication de cette énigme est simple : alors que le chômage et la misère ravagent le pays, le principal motif qu’un Irakien a de s’engager dans l’armée ou dans la police est la quête d’un revenu à la fois régulier et décent. En aucun cas la masse des soldats irakiens n’est disposée à combattre d’autres Irakiens ou à participer au siège et au saccage des villes. Enfin, à tout cela s’ajoute l’infiltration de l’« armée irakienne » par la résistance.
Ce qu’envisagent les Etats-Unis, ce n’est pas la création d’une armée pleinement autonome, pourvue d’une aviation et d’armes lourdes, mais plutôt d’une force de type coloniale, chargée d’effectuer « la sale besogne » - c’est-à-dire de mourir sous les tirs de la résistance. En somme, une force suffisamment puissante pour endiguer la résistance et maintenir un semblant d’ordre, et suffisamment faible pour justifier la présence permanente de bases militaires américaines.
Depuis l’assassinat de l’affairiste libanais Rafik Hariri, une campagne d’intimidation et de déstabilisation de la Syrie est menée, sous couvert de l’ONU, par les Etats-Unis et la France. La France tient ici le rôle de comparse. L’objectif des Etats-Unis est d’extirper de la région un régime qui, certes, est une dictature, mais dont le discours politique officiel est fait de panarabisme, de laïcité, d’anti-impérialisme et d’une certaine référence au socialisme. Il s’agit, en définitive, de poursuivre la « débaasification » hors des frontières d’Irak, de démoraliser et d’affaiblir la frange nationaliste et laïque de la résistance irakienne, et de poursuivre la division et l’assujettissement du Moyen Orient. La Syrie représente pour les Etats-Unis une fuite en avant de la guerre en Irak, comme le fut le Cambodge pendant la guerre du Vietnam.