Le 8 décembre dernier, le régime de Bachar al-Assad s’est effondré au terme d’une offensive éclair menée par l’organisation djihadiste Hayat Tahrir al-Cham (HTC). Tandis que l’ex-dictateur fuyait en Russie, des milliers de Syriens sont descendus dans les rues pour célébrer sa chute et l’ouverture de ses prisons.
Guerre civile
Pour comprendre les raisons de cette chute soudaine, il faut revenir quelques années en arrière. Lors de la révolution de 2011, Assad a tout fait pour favoriser la mainmise des djihadistes sur l’opposition syrienne et ainsi étouffer ses éléments véritablement révolutionnaires. Cette manœuvre a été favorisée par les puissances impérialistes occidentales et leurs alliés dans la région (comme la Turquie ou l’Arabie Saoudite), qui ont soutenu et armé les groupes djihadistes.
Face à la terreur islamiste que soutenaient les impérialistes, Bachar al-Assad est apparu aux yeux d’une partie significative de la population syrienne comme un moindre mal. Le régime a donc regagné un appui relatif parmi les masses qui lui a permis, combiné à l’aide russe et iranienne, de repousser les djihadistes.
Alors que le pays était auparavant un des plus développés du Moyen-Orient, une décennie de machinations impérialistes l’a plongé dans la barbarie. La guerre a tué un demi-million de Syriens et contraint la moitié de la population à l’exil. Le PIB s’est contracté de plus de moitié entre 2010 et 2020 et 90 % des habitants vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté.
Cette aggravation constante des conditions de vie des masses a progressivement fait perdre toute base de soutien au régime. Seule l’aide militaire de la Russie, de l’Iran et du Hezbollah lui permettait encore de tenir : plus aucun Syrien n’était sérieusement prêt à se battre pour le défendre.
Or, ces dernières années, les alliés d’Assad sont engagés sur d’autres fronts : en Ukraine pour les Russes et au Liban pour le Hezbollah. Ils n’ont donc pas pu intervenir à temps pour sauver une nouvelle fois le régime.
Face à l’avancée des djihadistes de HTC, les alliés d’Assad l’ont finalement abandonné à son sort. Après s’être longtemps présentés comme des « anti-impérialistes » et comme les protecteurs d’une Syrie laïque, la Russie et l’Iran ont ainsi démontré que les seuls intérêts qui leur tiennent à cœur sont ceux de leurs classes capitalistes respectives – pas ceux des masses de Syrie ou du Moyen-Orient.
Hypocrisie occidentale
De leur côté, les politiciens et les médias occidentaux – qui dénoncent régulièrement la « barbarie » du Hamas et du Hezbollah – se sont réjouis de la victoire des « rebelles ». Leur hypocrisie a atteint des sommets, et va jusqu’à expliquer que HTC, né sous l’égide de Daesh et affilié officiellement à Al-Qaïda jusqu’en 2016, aurait aujourd’hui opéré une « mue » démocratique.
En réalité, la seule véritable divergence entre HTC et Daesh se résume à leurs ambitions : les nouveaux maîtres de Damas ne veulent pas écraser sous leur joug réactionnaire l’ensemble du monde musulman, mais seulement la Syrie, et si possible avec l’appui des Occidentaux. Pour le reste, ils partagent la même idéologie réactionnaire que leurs anciens alliés. La nouvelle référente aux « affaires de la femme » au sein du gouvernement de transition a d’ailleurs récemment appelé les Syriennes à « ne pas outrepasser les priorités de leur nature créée par Dieu ».
Cela n’a pas empêché les diplomates européens et américains de se succéder à Damas pour négocier avec ces djihadistes désormais « respectables ».
Machinations impérialistes
Si elle a été favorisée par l’affaiblissement du régime et le désengagement de ses alliés, l’avancée fulgurante de HTC aurait néanmoins été impossible sans le soutien économique et militaire de l’impérialisme turc. Celui-ci a profité du fait que ses rivaux iraniens et russes étaient occupés ailleurs pour avancer ses pions.
La Turquie est aujourd’hui en position de force en Syrie. Ses entreprises ont conclu de juteux contrats avec le nouveau pouvoir. Erdogan compte aussi en profiter pour en finir avec les forces kurdes qui contrôlent le Nord-Est de la Syrie. Les Kurdes ont été utilisés comme des pions par l’impérialisme américain, qui leur avait promis sa protection en échange de leurs sacrifices dans la lutte contre Daesh. Aujourd’hui, alors que l’impérialisme turc se prépare à écraser le Rojava, les Occidentaux regardent ailleurs.
Au Sud, Israël profite aussi de la chute d’Assad et de l’affaiblissement stratégique de l’Iran dans la région. Les troupes de Netanyahou ont envahi la Syrie et occupé plusieurs agglomérations sur le plateau du Golan, dont elles occupaient déjà une partie depuis 1967. Le Parlement israélien vient d’adopter un projet d’extension de la colonisation du Golan.
La Syrie est dépecée par les impérialistes et soumise à la tyrannie de djihadistes réactionnaires soutenus par les Occidentaux. Les travailleurs et les pauvres de Syrie ne pourront compter que sur leurs propres forces – et sur la solidarité des exploités du monde entier – pour s’arracher à l’enfer dans lequel l’impérialisme les a plongés.
Le 4 janvier 2024