Cet article a été écrit le 30 janvier 2025
Goma, la plus grande ville de l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC), est tombée entre les mains du groupe rebelle « M23 ». Des vidéos montrent des troupes du M23 patrouiller dans les rues, tandis que des soldats congolais sont faits prisonniers ou cherchent refuge dans les bâtiments de l’ONU. L’approvisionnement en eau et en électricité de cette ville de 2 millions d’habitants a été interrompu. Des témoignages de personnels soignants parlent d’hôpitaux débordant de blessés, de victimes de viol et de mourants. Les rues sont jonchées de cadavres.
L’essentiel de la province du Nord-Kivu, dont Goma est la capitale, est désormais entre les mains du M23. Après avoir tué le gouverneur de la province la semaine dernière, le groupe rebelle cherche maintenant à y établir une administration permanente.
La nouvelle de la chute de Goma a provoqué des manifestations massives dans les villes congolaises. De nombreuses personnes sont descendues dans les rues pour soutenir l’armée congolaise (les FARDC) et condamner le Rwanda, pays voisin qui appuie les rebelles. A Kinshasa, les manifestations ont été interdites après l’attaque de dix ambassades étrangères, dont celles du Rwanda, de l’Ouganda, des Etats-Unis et de la France.
L’ONU, l’Union africaine et une série de chefs d’Etat ont appelé à un cessez-le-feu, mais le président congolais Félix Tshisekedi a refusé et promis de reconquérir tous les territoires perdus. Pendant ce temps, les combats se poursuivent : le M23 avancerait désormais vers la ville de Bukavu, dans la province du Sud-Kivu.
Une guerre sans fin
Ce conflit s’inscrit dans un cycle de violence, qui a commencé avec les guerres qui suivirent le génocide rwandais de 1994. Depuis, l’Est du Congo a été ravagé par plus de 120 groupes armés, qui pillent les immenses richesses minérales de son sous-sol.
Le M23 est apparu en 2012. Composé majoritairement de Tutsis congolais, il est réputé très proche du régime rwandais, dominé par les Tutsis, et de son allié l’Ouganda. Il s’agit aujourd’hui, et de loin, du groupe armé le mieux équipé et organisé de l’Est du Congo. Il dispose de missiles sol-air, d’artillerie lourde, et de brouilleurs GPS. Et il a prouvé qu’il savait très bien s’en servir.
L’ONU a attesté à plusieurs reprises que 3000 à 4000 soldats rwandais participent directement aux combats aux côtés du M23, dont les opérations sont dirigées par l’armée rwandaise. Le président rwandais Paul Kagame n’a ni confirmé, ni réfuté ces accusations.
Tout en refusant de reconnaître la présence rwandaise au Congo, Kagame prétend agir « de façon défensive » pour protéger les Tutsis de RDC contre les extrémistes Hutus qui ont fui au Congo après le génocide rwandais. En réalité, il s’intéresse surtout aux richesses minières de la RDC, et en particulier à l’or et au coltan – un composant essentiel dans la fabrication des téléphones portables et des batteries de véhicules électriques.
L’an dernier, le Rwanda est devenu le premier exportateur mondial de coltan, alors qu’il compte très peu de mines de coltan sur son territoire. On estime que 90 % du coltan rwandais provient en fait de mines en RDC. Le minerai est ensuite vendu sous l’étiquette « conflict-free » [« ne finance pas les conflits armés »] à des multinationales américaines, chinoises et allemandes.
Hypocrisie impérialiste
Après une période d’inactivité, le M23 a réémergé fin 2021 et a entamé une offensive rapide l’année suivante. Depuis lors, l’ONU et les gouvernements du monde (notamment des Etats-Unis et de la Chine) n’ont cessé d’appeler à la paix. Mais sans rien faire de concret. En réalité, les impérialistes continuent de soutenir le régime rwandais.
Lors de la première offensive du M23 dans l’Est de la RDC, en 2012, les rebelles avaient déjà réussi à prendre Goma au mois de novembre. Les Etats occidentaux avaient alors immédiatement sanctionné l’Etat rwandais et envoyé une force de l’ONU pour mener une contre-offensive, qui avait contraint le M23 à se replier.
Mais cette fois-ci, seule une poignée de chefs militaires rwandais et congolais ont été sanctionnés individuellement, tandis que l’aide militaire était suspendue. Ces modestes sanctions ont été imposées en août et octobre 2023, soit plus d’un an après le début de l’offensive du M23.
La passivité hypocrite de la soi-disant « communauté internationale » reflète la brusque transformation des relations internationales ces dernières années. En 2012, les Etats-Unis et leurs alliés étaient la seule force impérialiste en présence. De petites nations comme le Rwanda, qui dépendaient largement de l’aide occidentale, n’avaient pas d’autre choix que se plier aux pressions des Occidentaux.
Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Comme l’a démontré la guerre en Ukraine, les Etats qui s’attirent le courroux des Etats-Unis et de leurs alliés peuvent désormais contourner les sanctions en commerçant avec de nombreux autres pays. Depuis 2012, le Rwanda a établi des liens commerciaux avec des pays dont il a reçu de nombreux investissements, comme la Chine, les Emirats arabes unis, le Qatar et l’Inde.
Par ailleurs, l’impérialisme occidental a régulièrement recours à l’armée rwandaise pour défendre ses intérêts dans d’autres pays africains moins stables. En novembre dernier, l’UE a encore envoyé 20 millions d’euros au Rwanda pour financer le déploiement de ses forces de « maintien de la paix » au Nord du Mozambique, où se trouve un important projet gazier de la multinationale française TotalEnergies.
En d’autres termes, l’impérialisme occidental est pris entre le marteau et l’enclume. Les dirigeants occidentaux appellent Kagame à retirer ses troupes, mais ils savent que s’ils exerçaient une véritable pression sur lui, ils perdraient leur dernier allié stable dans la région.
Pour Kagame, la guerre au Congo est une question existentielle. S’il prétend agir pour protéger les Tutsis du Rwanda et du Congo, il cherche en réalité à assurer la stabilité de son propre régime.
L’Etat rwandais est dominé par les Tutsis, qui représentent seulement 14 % de la population. Jusqu’à présent, Kagame s’est maintenu au pouvoir grâce à un mélange de répression militaire et de croissance économique, qui a permis au régime de fournir des emplois et certaines concessions à la majorité Hutu.
Si la croissance de l’économie rwandaise devait cesser, les vieilles cicatrices pourraient se rouvrir. La classe dirigeante rwandaise sait que, pour stabiliser son régime, elle doit développer son économie, accroître son indépendance vis-à-vis de l’aide internationale, et même jouer un rôle plus important dans la région. Tout cela passe par les mines d’or et de coltan de l’Est de la RDC.
C’est pourquoi Kagame ne reculera pas. Il a réclamé un « cessez-le-feu immédiat », ce qui équivaut à demander que le gouvernement congolais reconnaisse le rapport de force actuel et négocie directement avec le M23. Cela laisserait cet allié du Rwanda à la tête d’une grande partie du Nord-Kivu.
Multipolarité
Le déclin relatif de l’impérialisme américain et l’ascension de puissances rivales, comme la Russie et la Chine, ont été salués par de nombreux gouvernements africains. Ils espèrent qu’en marchandant avec les grandes puissances, les petites nations puissent jouer un rôle plus indépendant.
En pratique, cela ne débouche pas sur une période de progrès et de développement pacifiques, mais sur une instabilité accrue, la multiplication des guerres et toujours plus de souffrances pour les peuples d’Afrique. Dans la région des Grands Lacs, le Rwanda a ainsi pu annexer de facto une partie de la RDC. Mais ce n’est qu’un exemple parmi d’autres.
Il faut souligner que les frontières des nations africaines sont tout à fait arbitraires et irrationnelles. Elles ont été délibérément tracées par les puissances coloniales de façon à générer de multiples revendications territoriales et semer les graines de conflits entre ces Etats fragilisés.
Plutôt que de revendiquer l’abolition de ces frontières coloniales, l’Organisation de l’unité africaine a adopté le principe d’« intangibilité des frontières nationales » dans sa charte fondatrice de 1963. Il s’agissait d’éviter que la modification des frontières d’un pays entraîne une réaction en chaîne de conflits, de guerres et même de génocides à travers le continent.
A n’en pas douter, de nombreux dirigeants africains observent les événements dans l’Est du Congo et se demandent s’ils ne doivent pas saisir cette occasion pour, eux aussi, renforcer leur position. Les horreurs qui déchirent actuellement la RDC montrent que l’unité africaine restera une utopie tant que le capitalisme dominera le continent.
Au bord du gouffre
La RDC est au bord de la catastrophe. Un désastre humanitaire d’une ampleur inimaginable est en train de s’y produire. Selon un représentant du Programme alimentaire mondial de l’ONU, « les routes sont bloquées, les ports sont fermés et ceux qui traversent le Lac Kivu risquent leur vie sur des embarcations de fortune. »
Plus de 5 millions d’habitants du Nord-Kivu et des provinces voisines de l’Ituri et du Sud-Kivu ont dû fuir et vivent dans des camps surpeuplés où ils manquent de tout. Les combats autour de Goma ont paralysé les approvisionnements en nourriture, ce qui fait planer le spectre de la famine sur des millions d’hommes, de femmes et d’enfants.
Les travailleurs humanitaires alertent aussi sur le risque accru d’épidémies comme le choléra et le mpox autour de Goma, voire dans toute la région. L’Organisation mondiale de la santé craint un « cauchemar » sanitaire si les combats se poursuivent.
La crise est encore aggravée par l’instabilité interne de l’Etat congolais. Tshisekedi a appelé les jeunes à « s’organiser en groupes de vigilance » et à s’engager dans les forces armées. Un grand nombre de jeunes se seraient portés volontaires pour vaincre le Rwanda et « défendre la république ».
Ces recrues sans entraînement et sous-armées vont être envoyées directement en enfer. Face aux forces bien équipées et disciplinées du M23, ils seront dirigés par une armée qui a démontré à maintes reprises qu’elle est irrémédiablement corrompue, au point de devenir presque indiscernable des diverses milices locales qui pullulent dans l’Est de la RDC. Même avant la prise de Goma, l’armée congolaise était déjà rongée par la démoralisation et par les désertions. L’afflux de milliers d’autres combattants dans l’Est de la RDC pourrait déstabiliser la région encore davantage.
Dans le même temps, une fraction de la classe dirigeante congolaise s’est ouvertement opposée à Tshisekedi. Corneille Nangaa, ancien allié du gouvernement de Tshisekedi, s’est rallié au M23 en décembre 2023 et a pris la tête de son « aile politique », l’Alliance du fleuve Congo, qui rassemble des groupes d’opposition présents bien au-delà des régions Tutsies. Il a ouvertement déclaré que son objectif était un « changement de régime » en RDC. Et il n’est pas le seul à être de cet avis.
Le président Tshisekedi espère sans doute que ses appels à la mobilisation renforceront sa position dans l’appareil d’Etat, mais elle pourrait tout aussi bien provoquer une guerre civile qui déchirerait tout le pays.
Cette catastrophe ne menace pas seulement le peuple de la RDC. La guerre pourrait tout à fait dégénérer jusqu’à déboucher sur une répétition des guerres du Congo, qui avaient impliqué neuf pays africains et causé la mort de plus de cinq millions de personnes entre 1996 et 2003.
Des milliers de soldats du Burundi voisin combattent déjà aux côtés des troupes congolaises contre le M23 et l’armée rwandaise. Il est notoire que l’Ouganda a des liens avec le M23, mais cela ne l’empêche pourtant pas d’envoyer des troupes dans la région dans le cadre d’une opération conjointe avec l’armée congolaise.
La région tout entière est une poudrière. Une seule étincelle pourrait suffire à déclencher une conflagration, qui dépasserait en intensité les horreurs et les destructions de Gaza. Plus les combats dureront, plus ce scénario catastrophe risquera de se réaliser.
En finir avec le capitalisme
Le capitalisme a créé un enfer sur terre dans l’Est de la RDC. Et les grandes puissances, qui exploitent le peuple et les ressources du Congo depuis plus d’un siècle, n’ont rien d’autre à offrir que des déclarations hypocrites, des insultes et davantage d’exploitation.
L’Occident « démocratique » préférerait voir le Congo brûler tout entier plutôt que de rompre ses liens avec la dictature militaire rwandaise. Mais quid de la Chine, qui reconnaît officiellement la RDC comme un « partenaire de coopération stratégique intégrale » ? Le gouvernement chinois s’est fait encore plus discret que les Occidentaux, et continue d’acheter du coltan à Kagame.
Dès lors, il n’est pas surprenant que Tshisekedi déclare : « Le peuple congolais prend acte de cette passivité, qui frôle la complicité. […] La République démocratique du Congo ne se laissera pas humilier, ni écraser. Nous nous battrons et nous triompherons. »
Mais ses déclarations ne changent rien au fait que ni Tshisekedi, ni aucune autre fraction de la classe dirigeante corrompue et dégénérée de la RDC ne peut mener le peuple congolais vers la paix, le progrès ou la liberté.
Seule une révolution peut mettre fin à ce carnage. Les travailleurs et les jeunes du Congo doivent prendre entre leurs mains les terres et les richesses du pays. Sur cette base, ils pourront s’adresser aux travailleurs des pays voisins, qui ont le même intérêt qu’eux à mettre fin à cette horreur et à balayer les Etats réactionnaires de la région.
Mais les communistes du monde entier doivent expliquer que le martyre du peuple congolais est le fruit des manœuvres impérialistes que mènent les banquiers et des capitalistes depuis leurs luxueux bureaux de New York, Londres, Paris et Pékin. Nous devons frapper le marché mondial à son cœur, qui pompe avidement le sang de l’Afrique. La lutte pour la liberté de l’Afrique est indissociable de la lutte mondiale pour le communisme.
A bas l’impérialisme !
A bas les régimes capitalistes réactionnaires des Grands Lacs africains !
Seuls les travailleurs et les paysans d’Afrique peuvent mettre fin à la crise, dans une lutte commune avec les travailleurs du monde entier !
Pour une fédération socialiste d’Afrique !