Depuis l’annonce de la mort de Jean-Marie Le Pen, la plupart des grands médias bourgeois lui rendent un hommage à peine nuancé – parfois – de quelques vagues réserves. La ligne générale est bien résumée par Le Figaro : en dépit de ses « outrances », l’admirateur du IIIe Reich aurait « ouvert les yeux des Français sur les maux que peut charrier la démographie » – comprenez : l’immigration. Le monde aurait donc perdu un « visionnaire ». Quant au ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, il s’est empressé de condamner publiquement les rassemblements organisés, dans plusieurs villes, pour fêter l’heureux événement.
Dans un contexte où le racisme d’Etat prend des proportions toujours plus massives et systématiques, sur fond de crise de régime, tous les chantres du capitalisme et de l’impérialisme sont en deuil. A cette occasion, nous republions l’article suivant – qui date de 2019 – sur la signification politique de la « lepénisation » des grands médias.
Dans les pages de Révolution, nous avons souvent expliqué que la crise de la droite traditionnelle oblige la bourgeoisie française à changer d’attitude à l’égard du RN de Marine Le Pen. Lorsque tous les sondages placent le RN à plus de 20 % et Les Républicains à moins de 15 %, les capitalistes ne peuvent plus seulement se servir du RN comme d’un épouvantail permettant de rabattre une partie de l’électorat vers la droite « modérée » (« votez Chirac » en 2002, « votez Macron » en 2017, etc.). Ils sont contraints de considérer aussi le RN comme une option politique sérieuse, un parti « de gouvernement », par exemple dans le cadre d’une coalition avec Les Républicains.
La bourgeoisie a longtemps rejeté cette option. Aujourd’hui encore, elle redoute la haine que de nombreux jeunes et salariés vouent au parti des Le Pen. Elle n’a pas oublié les gigantesques manifestations anti-FN d’avril 2002. Aussi assistons-nous à un gros travail de propagande médiatique visant à « dé-diaboliser » ce parti.
Angélisation
Ces derniers temps, l’exercice vire même à l’angélisation. En janvier, BFM a diffusé en boucle un documentaire intitulé Le Pen, secrets, pardons et trahisons, dont le style se rapproche nettement de La petite maison dans la prairie. BFM tente de nous émouvoir avec les tourments et déchirements intimes d’une gentille petite famille pleine de bonnes intentions. Ah ! Que d’amour entre Marine et sa nièce Marion-Maréchal ! Et comme leurs caractères sont « intéressants » ! Jean-Marie, lui, fait figure de patriarche inoffensif, sentimental et magnanime. Par exemple, des images d’archive nous montrent le papi fascisant couver d’un œil tendre ses petits-enfants qui s’égaillent dans un grand jardin, à la recherche d’œufs de Pâques. N’est-il pas trognon, l’ex-tortionnaire ?
Les idées et les hauts faits réactionnaires des Le Pen sont à peine effleurés par le documentaire. Son objectif est précisément de les passer sous silence. Conclusion : les Le Pen forment une famille « comme les autres ». Et, dès lors, leurs idées ne peuvent pas être aussi terribles qu’on a pu le dire.
Bien sûr, la dirigeante du RN se prête au jeu. Deux mois plus tard, c’est LCI qui diffusait (en boucle) un documentaire intitulé : Le Pen, la politique en héritage. Même style et même objectif que celui de BFM. « Un savant mélange de politique et de vie de famille », annonçait LCI. Une savante bouillie, en vérité, à laquelle nous préférons, de très loin, La petite maison dans la prairie.