Ces derniers mois, la campagne permanente de la bourgeoisie française contre les immigrés a franchi un nouveau seuil. Pas un jour ne passe sans que des journalistes et des politiciens réactionnaires ne mettent tous les problèmes de la société – du narcotrafic à la hausse du chômage – sur le dos des immigrés.
Dans ce domaine, les frontières du ridicule sont constamment franchies. En septembre 2023, Pascal Praud avait ouvert la voie en accusant les immigrés d’être la cause de la prolifération des punaises de lit – à la grande stupéfaction de son invité, qui tentait en vain d’expliquer qu’il n’en était rien.
A cette avalanche de propagande raciste s’ajoutent les provocations permanentes du gouvernement. François Bayrou a enchaîné les réunions de crise et les annonces « sécuritaires » sur le « contrôle de l’immigration ». Il a lancé le projet d’un grand débat national sur le thème : « Qu’est-ce qu’être français ? », qui devra notamment discuter de la suppression du droit du sol – cette vieille revendication du Rassemblement National. Ce soi-disant « débat » sera le prétexte à un nouveau déferlement de racisme, comme l’avait été celui organisé par Nicolas Sarkozy, en 2009, sur le thème de « l’identité nationale ».
De son côté, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a félicité publiquement une organisation raciste et fasciste (le « Collectif Némésis ») et s’est dit « très proche » de son « combat »... Rappelons que ce « combat » consiste essentiellement à traiter les immigrés de « violeurs ».
Calculs et manœuvres
Comment expliquer cette nouvelle et puissante vague de propagande raciste ? D’une part, il y a la situation précaire du gouvernement à l’Assemblée nationale. En l’absence de majorité absolue, François Bayrou dépend du soutien – actif ou passif – du RN. L’abstention des députés du RN a permis au gouvernement d’échapper aux motions de censure qui l’ont visé en février. Pour donner des gages au RN et conserver son soutien le plus longtemps possible, Bayrou multiplie donc les manœuvres et les sorties racistes.
Une situation analogue s’était déjà posée à la fin de l’année 2023, lorsque le gouvernement Borne, lui aussi privé de majorité absolue, avait fait adopter une « loi immigration » qui reprenait plusieurs mesures du programme du RN, y compris la « préférence nationale ». L’objectif était déjà de garantir le soutien parlementaire du RN au gouvernement macroniste. C’est le même type de marchandage parlementaire que sous-tend la nouvelle « loi immigration » annoncée par le gouvernement.
A ces calculs parlementaires s’ajoute, chez Retailleau, une motivation supplémentaire : dans la lutte interne aux Républicains qui l’oppose à Laurent Wauquiez, le ministre de l’Intérieur cherche à s’attirer la sympathie de tout ce que ce vieux parti bourgeois compte de racistes endurcis.
Cependant, ces opérations de basses politiques ne constituent pas le facteur central dans l’avalanche de provocations racistes à laquelle nous assistons. Après tout, la classe dirigeante française n’a pas attendu d’être privée de majorité parlementaire pour faire du racisme un des piliers idéologiques de son régime politique.
Qu’elle soit menée sous couvert de « laïcité », de « lutte contre l’antisémitisme » ou au nom des prétendues « racines chrétiennes de la France », cette campagne est à l’œuvre depuis des décennies et s’intensifie au fur et à mesure que s’aggrave la crise du capitalisme français. Les deux choses sont étroitement liées : plus la crise de ce système accable les masses exploitées, plus la classe dirigeante cherche, au moyen d’une campagne raciste, à diviser les travailleurs et à détourner leur attention des véritables causes du chômage, de la misère et de la précarité.
En lançant ses « conventions citoyennes décentralisées » sur « l’identité française », le gouvernement Bayrou espère que, fascinés par cette introspection collective, les travailleurs oublieront la vague de plans sociaux et de fermetures d’entreprises qui déferle sur le pays, depuis plusieurs mois, et qui menace des centaines de milliers d’emplois, notamment dans l’industrie et la grande distribution. De même, lorsque Nicolas Sarkozy avait lancé un « grand débat sur l’identité nationale », à l’automne 2009, la récession mondiale de 2008 commençait à faire sentir ses effets dévastateurs, en France : le taux de chômage avait bondi de 7,5 % à près de 10 %.
On peut donc formuler la loi suivante : la quantité de propagande raciste déversée depuis les sommets de l’Etat est directement proportionnelle aux déboires économiques et sociaux du capitalisme français.
« Black Lives Matter »
Ceci étant dit, du point de vue de la classe dirigeante elle-même, ces grandes manœuvres racistes ne sont pas sans danger. En provoquant et en attaquant constamment une fraction de la classe ouvrière, la bourgeoisie peut finir par provoquer un mouvement de masse impliquant de larges couches de jeunes et de travailleurs, très au-delà des seuls immigrés. C’est exactement ce qui s’est produit aux Etats-Unis, en 2020, avec le mouvement « Black Lives Matter » (BLM). L’assassinat de Georges Floyd par un policier a provoqué le mouvement de protestation le plus massif de l’histoire de ce pays.
A son apogée, cette mobilisation a contraint le président Trump à chercher refuge dans un bunker sous la Maison-Blanche. Le mouvement BLM a aussi provoqué une grève politique des dockers de toute la côte Ouest. Dans certaines villes, le mouvement a pris un caractère insurrectionnel. Un commissariat a été incendié par la foule qui venait d’en chasser les policiers, et tous les sondages soulignaient que cet acte était approuvé par une majorité de la population américaine ! Dans certains quartiers, la police en fuite a été remplacée par des patrouilles de citoyens.
En l’absence d’une direction révolutionnaire, le mouvement BLM a été capturé par des dirigeants réformistes, qui l’ont trahi : ils se sont ralliés au Parti Démocrate et Joe Biden. Reste qu’il s’agit d’un exemple de ce que la propagande et les crimes racistes de la bourgeoisie française pourraient finir par provoquer. En juin et juillet 2023, les émeutes consécutives à l’assassinat de Nahel par un policier, à Nanterre, en ont donné un avant-goût.
Solidarité de classe
Face à la campagne raciste du gouvernement Bayrou, l’aile droite du réformisme prend place dans le chœur des pourfendeurs de l’immigration « incontrôlée ». Par exemple, les dirigeants du PS ont accepté de participer formellement au « débat » sur « l’identité nationale ». Il faut dire que sous le mandat de François Hollande, entre 2012 et 2017, les dirigeants du PS avaient eux-mêmes adopté des mesures ouvertement racistes.
De leur côté, François Ruffin ou Fabien Roussel soulignent que l’immigration est utilisée par le patronat pour faire jouer la concurrence entre travailleurs et, ainsi, exercer une pression à la baisse sur les salaires – ce qui est exact. Mais Ruffin et Roussel en concluent à demi-mot qu’il faudrait fermer les frontières aux immigrés – ce qui est complètement réactionnaire. Pour qu’on les comprenne bien, ils ne se lassent pas d’insister sur le fait qu’ils adhèrent pleinement au « principe » des OQTF.
Le mouvement ouvrier devrait dénoncer ces renégats et lutter contre toutes les discriminations qui visent les immigrés. L’appel lancé par de nombreuses organisations – dont la CGT et la FI – à des rassemblements, le 22 mars, contre le racisme et pour l’égalité des droits, est un pas dans la bonne direction. Mais il faut aller plus loin.
Les organisations du mouvement ouvrier – et en premier lieu les syndicats – doivent défendre le mot d’ordre : « une attaque contre un est une attaque contre tous ! ». Pour que la classe dirigeante ne puisse pas monter les travailleurs les uns contre les autres, il faut l’empêcher de sous-payer et surexploiter la main-d’œuvre immigrée. Ce n’est possible qu’en luttant pour la régularisation de tous les sans-papiers. Malheureusement, cette revendication ne figure pas explicitement dans l’appel aux rassemblements du 22 mars. La lutte menée sur ce mot d’ordre, depuis des décennies, est pourtant une démonstration pratique de l’internationalisme ouvrier. La régularisation de tous les sans-papiers devrait figurer en première ligne des revendications de toute mobilisation contre le racisme.
Qu’ils soient français ou immigrés, les travailleurs subissent la même exploitation et font face aux mêmes patrons. Les syndicats doivent donc s’efforcer d’intégrer les travailleurs immigrés dans leurs rangs. Il faut unir les salariés français et étrangers par de puissants liens de solidarité de classe. Cela vaut pour les salaires et les conditions de travail, mais aussi pour l’accès au logement, à l’éducation et à la santé.
Lutter contre le capitalisme
En dernière analyse, la question du racisme et de l’immigration est « une question de pain », comme l’écrivait Lénine. La classe dirigeante serait incapable de monter les travailleurs les uns contre les autres, en accusant les immigrés d’être responsables du manque d’emplois et de logements, si cette pénurie n’existait pas réellement. Le fait est que sous le capitalisme, et en particulier lors de ses périodes de crise, il n’y a pas assez de logements, d’emplois, de services publics – bref, pas assez de « pain » pour tous. Mais la faute n’en revient pas aux immigrés. Ce sont les capitalistes qui, à des fins spéculatives, maintiennent inoccupés des centaines de milliers de logements. Ce sont les capitalistes qui, pour défendre leurs marges de profit, licencient massivement et ferment des entreprises. Ce sont les mêmes qui pillent les pays dominés par l’impérialisme français et qui exploitent brutalement les travailleurs qui y vivent. C’est pour défendre leurs intérêts impérialistes que sont menées de sanglantes guerres dans le Sahel, en Libye ou au Congo, guerres qui réduisent ces pays à l’état de ruines et plongent leur peuple dans la barbarie.
Tout cela pousse des millions de gens à fuir la misère et chercher une vie meilleure en Europe ou en Amérique du Nord. Sur les routes de l’exil, ils sont la proie de nuées de brutes, qui sont parfois directement payées par les puissances impérialistes pour traquer les migrants. En Libye, les miliciens islamistes qui torturent, violent et vendent des migrants comme esclaves sont financés et soutenus par l’Union Européenne. En mer Méditerranée, les gardes-côtes européens traquent les migrants sans relâche, quitte à provoquer le naufrage de leurs embarcations. Lorsqu’ils parviennent à débarquer en France, les migrants sont pourchassés par la police, qui détruit leurs abris et sanctionne les militants associatifs qui leur viennent en aide.
Pour mettre un terme définitif à cette barbarie, éliminer le racisme et permettre à chacun de vivre dans de bonnes conditions, il faut s’attaquer au système capitaliste lui-même. Pour que tous les travailleurs puissent disposer d’un emploi, d’un logement et de services publics de qualité, il faut arracher aux capitalistes la propriété et le contrôle des logements inoccupés, des banques, de l’industrie – en commençant par toutes les entreprises que leurs actionnaires veulent fermer. C’est sur la base de ce programme révolutionnaire que le PCR appelle à participer massivement aux manifestations du 22 mars.