Depuis son investiture, Donald Trump multiplie les déclarations, décisions, menaces et négociations qui, au total, marquent un tournant de l’histoire mondiale.

On entend dire ici et là que le président des Etats-Unis serait fou, stupide et manipulé par Vladimir Poutine. En réalité, du point de vue des intérêts de la bourgeoisie américaine, la politique de Trump est plus rationnelle – dans les limites de la « rationalité » impérialiste – que ne l’était celle de Joe Biden.

Rappelons que ce dernier, en 2022, annonçait une victoire de l’OTAN contre la Russie, en Ukraine, et même un « changement de régime » à Moscou. Le résultat – prévisible, et que nous avions prévu – est tout autre : les Etats-Unis encaissent une nouvelle défaite humiliante ; la Russie et le régime de Poutine en sortent renforcés ; l’armée russe a eu trois années pour se perfectionner dans le feu de l’action ; les sanctions contre la Russie l’ont rapprochée de la Chine.

Rien de tout cela n’est conforme aux intérêts fondamentaux de la classe dirigeante américaine. Par ailleurs, en jouant publiquement avec l’idée d’une guerre nucléaire contre la Russie, c’est Biden, Macron, Starmer et consorts qui se sont exposés au diagnostic de folie furieuse.

Rapport de force

Il est vrai qu’à elle seule, la « manière » de Donald Trump est un facteur de déstabilisation de l’ordre mondial. Mais l’essentiel est ailleurs. Trump prend acte du rapport de force réel entre les puissances impérialistes, et il agit en conséquence.

Après la chute de l’URSS et du bloc de l’Est, au début des années 1990, les Etats-Unis étaient la seule superpuissance mondiale. Les guerres en Irak (1990 et 2003), en Yougoslavie (1999) et en Afghanistan (2001), notamment, correspondaient à cette position de « gendarme du monde ». Mais cette époque est désormais révolue. L’impérialisme américain est toujours le plus puissant du globe, mais il n’a pas cessé de décliner, ces dernières décennies, relativement à la trajectoire d’autres puissances impérialistes – en particulier la Chine et la Russie. Les Etats-Unis ne peuvent plus prétendre à une domination globale et sans partage. Le fiasco de la guerre contre la Russie, sur le dos du peuple ukrainien, en est la démonstration limpide.

En dernière analyse, le rapport de force économique est décisif. Au début des années 1980, les Etats-Unis concentraient 30 % de la production mondiale de biens manufacturés, contre 16 % aujourd’hui. A l’inverse, la part de la Chine est passée de 7 % en 2000 à 30 % aujourd’hui. Elle exporte aussi massivement des capitaux sur tous les continents. Quant à la Russie, elle s’est relevée de son effondrement économique consécutif à la restauration du capitalisme. Elle est loin de jouer un rôle équivalent à celui de la Chine sur le marché mondial, mais elle dispose d’un très puissant appareil militaro-industriel.

Telle est la réalité du rapport de force général entre les grandes puissances. Dans ce contexte, Trump ravive – à sa façon – la vieille tendance isolationniste d’une fraction de la bourgeoisie américaine. Il veut concentrer les ressources des Etats-Unis sur la défense de ses intérêts vitaux, de son pré-carré et de son économie nationale. Au plan international, sa priorité est la lutte contre son grand rival chinois. Toutes les vieilles alliances sont réévaluées à la lumière de ces objectifs. Tous les discours hypocrites sur le « droit international » et les prétendues « valeurs » du « monde libre » sont remplacés par le langage direct, sans fard, des intérêts économiques et du rapport de force.

Trump veut contrôler le Groenland et le canal du Panama ; il veut contraindre le Mexique à bloquer les investissements chinois sur son territoire ; il veut imposer au Canada de nouveaux rapports commerciaux ; il veut 50 % des minerais ukrainiens – et ainsi de suite. Il dit ce qu’il veut, pourquoi il le veut, et passe à l’acte : menaces, tarifs douaniers, etc.

De nombreux analystes bourgeois soulignent que le protectionnisme tous azimuts menace de plonger l’économie mondiale dans une nouvelle récession. C’est exact. Aux tarifs douaniers répondront d’autres tarifs douaniers. De manière générale, les Etats-Unis ne pourront pas tenter d’exporter la crise et le chômage – à quoi se réduit le protectionnisme, au fond – sans que ce boomerang ne les frappe de plein fouet, tôt ou tard.

Mais du point de vue de la bourgeoisie américaine, quelle est l’alternative immédiate ? En 2024, le déficit commercial des Etats-Unis s’élevait à 918 milliards de dollars, en hausse de 17 % par rapport à 2023. La dette publique américaine a dépassé les 35 000 milliards de dollars. Trump veut en finir avec ces « mauvais deals », quoi qu’en disent les économistes bourgeois les plus lucides.

L’agonie de l’Europe

Le tournant opéré par Donald Trump plonge les bourgeoisies européennes dans les affres de la panique et de la division. Elles n’ont pas les moyens de garantir la « sécurité » de l’Europe sans le soutien actif des Etats-Unis, en particulier dans un contexte où la Russie confirme sa puissance militaire. Par ailleurs, faute d’investissements suffisants pendant des décennies, l’appareil productif européen n’est plus assez compétitif face à ceux de la Chine et des Etats-Unis. Enfin, l’Union Européenne n’est pas un Etat-nation ; elle est composée de bourgeoisies nationales aux intérêts divergents. Chaque Etat européen sera tenté de tirer son épingle du jeu au détriment des voisins. La pression croissante et combinée des Etats-Unis, de la Chine et de la Russie va aggraver les tendances centrifuges au sein de l’Union Européenne.

Lénine, déjà, soulignait que l’unification du continent européen sur la base du capitalisme est une utopie réactionnaire. Une utopie parce que c’est impossible ; une utopie réactionnaire parce que la tentative d’y parvenir ne peut se réaliser qu’au détriment des masses exploitées et opprimées. Les récentes déclarations de plusieurs dirigeants européens – dont Macron – en sont une nouvelle et frappante illustration. Pour faire face au tournant brutal de la politique américaine en Europe, ils proposent d’augmenter leurs budgets militaires au détriment, forcément, des budgets sociaux, de la santé publique, de l’éducation nationale, des services publics en général. Ils parlent de construire une « défense européenne » sur le dos de la jeunesse, des travailleurs, des chômeurs et des retraités. En fin de course, il n’y aura pas de « défense européenne », car les contradictions internes à l’UE y feront obstacle ; seules les politiques d’austérité seront effectives.

L’unique alternative progressiste à l’Europe capitaliste, c’est une Fédération des Etats socialistes d’Europe. Cela suppose le renversement du capitalisme dans un pays européen, puis sur l’ensemble du continent. Nous savons bien que ce n’est pas pour lundi prochain, mais c’est la seule voie pour en finir avec la régression sociale permanente. Toute autre « solution » est un leurre.

Aux Etats-Unis, en Europe et ailleurs, les conséquences sociales de la crise du capitalisme préparent de nouvelles explosions de la lutte des classes. Donald Trump et son gouvernement de milliardaires ne régleront pas les problèmes du peuple américain. Cela finira par provoquer un puissant virage à gauche dans les masses, y compris dans une large fraction des partisans de Trump. En Europe, le déclin économique et les politiques d’austérité accentueront la polarisation politique vers la droite et vers la gauche.

Les succès électoraux de la droite « populiste » aux Etats-Unis, en France, en Allemagne et ailleurs, sont la conséquence des trahisons et des capitulations de « la gauche ». Aux Etats-Unis, par exemple, Bernie Sanders a rallié l’establishment libéral, qui est détesté – à juste titre – par la grande majorité des Américains pauvres. Mais la colère sociale s’exprimera de nouveau sur la gauche de l’échiquier politique, à l’avenir.

D’ores et déjà, une fraction croissante de la jeunesse s’oriente vers les idées du communisme. C’est vers cette jeunesse que se tournent le Parti Communiste Révolutionnaire, en France, et l’Internationale Communiste Révolutionnaire dans le monde entier. C’est elle qui formera les cadres de l’Internationale dont la classe ouvrière a besoin pour prendre le pouvoir, exproprier les capitalistes et remplacer le chaos sanglant du « libre marché » par une planification démocratique de la production.

Le nouveau désordre mondial prépare des luttes titanesques, à l’échelle internationale, pour en finir avec la barbarie capitaliste et la destruction de la planète. L’avenir de la civilisation humaine en dépendra.


Sommaire

Le nouveau désordre mondial - Edito du n°88
Qu’est-ce qu’une « cellule » du PCR ?
Naissance des Editions Octobre
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Pour licencier, Michelin organise sa propre concurrence
Interview de Serge Allègre, secrétaire fédéral de la FNIC-CGT
La crise du capitalisme français et le rôle de la CGT
Brèves
L’aide sociale à l’enfance sacrifiée sur l’autel du capitalisme
Le mouvement ouvrier et la lutte contre le racisme
Donald Trump contre « l’Etat profond »
Allemagne : la droite aux commandes d’un navire en perdition
Trump, l’Ukraine et la panique des impérialistes européens
Le Retour de l’URSS d’André Gide
L’oppression des femmes aujourd’hui – et comment la combattre
Les origines de l’oppression des femmes