A u début de l’année 2024, dans le sillage d’une mobilisation portée par les plus pauvres d’entre eux, les paysans étaient aux portes de Paris. Face à la menace d’un blocage de la capitale, le gouvernement Attal avait promis beaucoup de choses aux agriculteurs. Plusieurs gouvernements plus tard, les aspirations des petits paysans n’ont toujours trouvé aucune réponse. La « loi Duplomb » votée le 8 juillet dernier au Parlement – avec les voix de la droite et de l’extrême droite – est présentée par le gouvernement et ses soutiens comme une réponse aux revendications des paysans qui s’étaient mobilisés. En réalité, cette loi est taillée pour les besoins des capitalistes de l’agrobusiness.
Cadeaux à l’industrie agrochimique
Sous prétexte que l’agriculture française ne serait pas compétitive par rapport aux autres pays européens, car elle comporterait « plus de normes et d’interdictions », le gouvernement a tenté de réintroduire un insecticide néonicotinoïde, l’acétamipride. Ce dernier est utilisé contre les insectes ravageurs, mais son impact sur les pollinisateurs comme les abeilles est dévastateur. Des études montrent aussi sa toxicité pour l’homme en cas d’ingestion, avec des effets neurotoxiques et un impact sur la reproduction en cas d’exposition prolongée.
Ce produit phytopharmaceutique, approuvé par l’Union européenne jusqu’en 2033 et autorisé dans les autres pays membres, avait été interdit en France en 2018. Le 7 août, le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition de la loi Duplomb – la plus controversée – qui avait été l’une des motivations principales des plus de deux millions de signatures récoltées par la pétition pour son abrogation.
En 2018, la loi Egalim 1 avait instauré une séparation stricte entre la vente de pesticides et le conseil à leur utilisation, pour que les vendeurs ne poussent pas les agriculteurs à utiliser trop de leurs produits. La version finale de la loi Duplomb revient sur cette disposition en permettant à nouveau aux distributeurs (comme les magasins agricoles) de conseiller les agriculteurs sur l’usage de pesticides, ce qui ne peut que mener à une surconsommation de pesticides.
Un amendement prévoyait aussi l’autorisation de l’épandage de certains pesticides par drone. Cette méthode est plus facile à mettre en œuvre dans les grandes exploitations, mais pose un plus grand risque de dispersion des produits, auxquels davantage de personnes, d’animaux et de lieux pourraient être exposés en dehors des exploitations agricoles. Cette disposition a été retirée de la loi Duplomb… mais intégrée à une autre loi, adoptée le 23 avril !
Mégabassines, élevage intensif…
D’autres mesures du texte traitent du stockage d’eau et des bâtiments d’élevage. Les retenues à vocation agricole comme les mégabassines sont désormais présumées « d’intérêt général majeur ». Elles sont pourtant une aberration écologique, assèchent les zones humides et vident les nappes phréatiques. Elles sont massivement financées par l’argent public, mais bénéficient surtout aux gros agriculteurs et industriels.
Initialement, le texte voulait même revenir sur la définition des « zones humides », afin de réduire leur surface et de permettre plus de projets agricoles ou de stockage d’eau. Il prévoyait également l’instauration d’un principe de « non-régression du potentiel agricole », donnant priorité à l’irrigation et au stockage d’eau pour l’agriculture, même si cela impactait les écosystèmes fragiles. Trop controversées, ces mesures ont finalement été abandonnées, mais elles montrent bien l’influence des lobbys de l’agro-industrie dans l’élaboration du projet de loi.
La nouvelle législation renforce les pouvoirs des préfets au sein de l’Office français de la biodiversité (OFB), où ils auront notamment à approuver ou non le contrôle des exploitations. Nul doute que cela donnera aux agriculteurs une plus grande latitude pour contourner la loi, notamment concernant la protection de la santé et de la biodiversité.
L’article 3 simplifie aussi les procédures pour les projets d’élevages. Lors de l’enquête publique, il remplace la réunion publique par une simple permanence en mairie, réduisant les possibilités pour la population de s’opposer aux projets les plus dangereux pour la santé et l’environnement. Il rehausse aussi les seuils à partir desquels les projets nécessitent une évaluation environnementale : le seuil pour les porcheries passe de 450 à 1000 places, et pour les élevages de volailles, de 30 000 à 80 000 places. Tout cela aura inévitablement un impact sur les émissions de gaz à effet de serre et accentuera la pression sur les écosystèmes.
L’agriculture est malade du capitalisme
« Vous êtes les alliés du cancer, et nous le ferons savoir ! ». Cette phrase, criée depuis la tribune des invités à l’Assemblée nationale par Fleur Breteau, fondatrice du collectif Cancer Colère, résume à elle seule le scandale sanitaire que constitue la loi Duplomb.
Taillée pour les intérêts des riches propriétaires terriens, cette loi met en danger la santé de la population et des paysans, mais ne répond en rien aux besoins des paysans pauvres qui subissent les prix extrêmement bas imposés par la grande distribution. Comme nous le titrions lors de la révolte des paysans en janvier 2024, « l’agriculture est malade du capitalisme ». Aucune solution ne peut être trouvée pour les petits paysans sans rompre avec ce système.