L e 27 mai dernier, l’Assemblée nationale a adopté deux propositions de loi : l’une « relative au droit à l’aide à mourir », l’autre « visant à garantir l’égal accès de tous à l’accompagnement et aux soins palliatifs ». Ces textes seront examinés au Sénat à l’automne.

Le contenu des lois 

Le premier texte permet à un patient de demander une assistance médicale pour mourir – sous certaines conditions : 1) être majeur ; 2) être français ou résident étranger régulier ; 3) être atteint d’une affection « grave ou incurable » qui engage le pronostic vital ; 4) présenter une souffrance physique (ou une souffrance psychique causée par un trouble physiologique) constante et réfractaire aux traitements ; 5) être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée. La proposition de loi précise qu’« une souffrance psychologique seule ne peut en aucun cas permettre de bénéficier de l’aide à mourir ». La substance létale devra être autoadministrée, sauf si le malade en est incapable.

La décision devra être validée par un médecin après la réunion d’un collège pluriprofessionnel, auquel une personne de confiance désignée par le malade pourra être associée. Une « clause de conscience » est prévue pour les professionnels de santé qui refuseraient de participer à la procédure d’aide à mourir. Enfin, un délit « d’entrave à l’aide à mourir » sera créé.

Le second texte intègre notamment un droit opposable « à l’accompagnement et aux soins palliatifs ». Il prévoit aussi la création de « maisons d’accompagnement » pour accueillir les personnes en fin de vie et « garantir l’égalité territoriale dans l’accès aux soins ». Cependant, la loi prévoit à peine 1,1 milliard d’euros d’investissements dans les unités de soins palliatifs (USP) d’ici 2034. En outre, ces financements ne sont même pas garantis : ils devront être confirmés, chaque année, dans le cadre du budget de la Sécurité sociale.

Ce montant est très insuffisant au regard des besoins. D’après les dernières données disponibles (décembre 2023), on ne compte que 1960 lits de soins palliatifs répartis dans les 168 USP du pays, soit 2,9 lits pour 100 000 habitants. A cela s’ajoutent 424 équipes mobiles de soins palliatifs et 5551 « lits identifiés de soins palliatifs ». Toutefois, ces derniers ne sont pas équivalents aux lits en USP, car ils sont intégrés dans des services hospitaliers généraux et ne bénéficient pas du même niveau d’expertise en matière de fin de vie. On estime que, pour répondre correctement aux besoins, il faudrait entre 5 et 8 lits en USP pour 100 000 habitants. Il faudrait aussi une meilleure répartition de ces moyens, car une vingtaine de départements ne disposent aujourd’hui d’aucun lit de soin palliatif.

Un progressisme de façade 

Les cas de Vincent Humbert, Chantal Sébire et Alain Cocq – trois malades qui demandaient le droit à mourir – ont profondément marqué l’opinion publique française. Aujourd’hui, 9 Français sur 10 se disent favorables à l’aide à mourir, qu’il s’agisse d’euthanasie ou de suicide assisté. Légiférer sur ce sujet constitue donc une carte facile à jouer pour une classe dirigeante dont les gouvernements successifs sont plus impopulaires les uns que les autres.

Alors qu’il multiplie les attaques contre les droits et conditions de vie des travailleurs, le gouvernement utilise ces propositions de loi pour se donner une image « progressiste ». C’est un moyen de détourner l’attention de la crise du capitalisme et de l’axe central de sa politique : une offensive générale contre les travailleurs et les classes moyennes, au profit de la grande bourgeoisie.

La classe dirigeante de divers pays – comme la Suisse, le Canada, la Belgique, les Pays-Bas et certains Etats des Etats-Unis – a déjà légalisé le droit à l’aide à mourir, la plupart du temps pour les mêmes raisons que la bourgeoisie française. Comme c’est le cas aujourd’hui pour la France, la plupart d’entre eux ont, dans un premier temps, posé des conditions strictes (et pas toujours justifiées) à l’exercice de ce droit, mais sans améliorer le système de santé. Puis ces conditions ont souvent été assouplies par la suite. Au Canada, ces assouplissements ont même permis à la classe dirigeante d’utiliser l’euthanasie pour faire des économies budgétaires.

L’exemple du Canada 

Au Canada, l’aide médicale à mourir (MAiD) a été votée en 2016. Cinq ans plus tard, elle était élargie aux personnes « souffrant d’une maladie, d’une affection ou d’un handicap grave » dont le pronostic vital n’était pas engagé. Pour motiver cette décision, le gouvernement s’est appuyé sur un rapport parlementaire soulignant que cela ouvrait la possibilité d’économiser 149 millions de dollars canadiens.

Des enquêtes de journalistes sur le MAiD révèlent régulièrement des cas de personnes euthanasiées pour des motifs révoltants : l’isolement social, l’incapacité à trouver un logement ou même… la pauvreté. En 2022, selon une enquête ministérielle, d’anciens soldats souffrant de stress post-traumatique se sont vus proposer l’euthanasie plutôt que des soins psychiatriques.

Au Canada, le « droit à l’aide à mourir » est devenu un moyen, pour la bourgeoisie, d’économiser de l’argent public en tuant des pauvres : ni plus ni moins. Le nombre d’euthanasies a rapidement augmenté, au point de représenter désormais 4 % des décès dans le pays, soit 13 000 personnes en 2023.

Même si le cas canadien est l’exemple le plus extrême, il est une démonstration claire de la façon dont, sous couvert d’« humanisme », un tel droit peut être utilisé cyniquement par la bourgeoisie.

La gauche réformiste 

A l’Assemblée nationale, l’écrasante majorité des députés des partis réformistes (FI, PS, PCF, EELV) ont voté en faveur des deux textes. Des députés socialistes ont même insisté sur la nécessité de séparer la fin de vie de toute question sociale. Valérie Rabault, par exemple, a déclaré : « Nous ne pouvons pas faire dépendre ce droit fondamental à la fin de vie de questions sociales complexes et à long terme ». Que le PS abandonne la lutte sociale sous n’importe quel prétexte, cela n’étonne plus personne.

A l’inverse, les députés insoumis ont insisté sur le lien indissoluble entre les deux questions. Eric Coquerel a affirmé qu’« il ne peut y avoir de liberté réelle de mourir que si nous avons construit la liberté réelle de vivre dans la dignité ». C’est parfaitement exact. Mais précisément : l’actuel gouvernement, comme les précédents, fait exactement le contraire. Il détruit systématiquement « la liberté réelle de vivre dans la dignité ». Dès lors, au lieu de voter une loi qui ouvrira la porte aux dérives constatées au Canada, la direction de la FI devrait insister sur la nécessité d’une lutte massive, dans la rue et dans les entreprises, pour en finir avec l’austérité en général – et notamment dans le système de santé publique. A défaut, la FI offre une victoire facile au gouvernement et laisse le champ libre à l’opposition démagogique de l’extrême droite sur la question du droit à mourir.

Pour s’opposer à l’euthanasie et au suicide assisté, l’archiréactionnaire Marion Maréchal parle d’une « euthanasie des pauvres ». De même, Bruno Retailleau affirme qu’en cas d’adoption de la loi, « il deviendrait plus facile de demander la mort que d’être soigné ». Il faut une sacrée dose d’hypocrisie pour s’insurger face au droit à l’aide à mourir au nom du soi-disant caractère « sacré » de la vie, tout en étant des défenseurs zélés du capitalisme et de ses politiques d’austérité, qui rendent infernale la vie des travailleurs et détruisent les services publics. C’est d’autant plus flagrant dans le cas de Retailleau, qui est membre du gouvernement.

Cependant, malgré l’hypocrisie colossale de Maréchal et Retailleau, leurs arguments font mouche. Dans le contexte d’un profond délabrement des services publics, l’affirmation selon laquelle « il serait plus facile de demander la mort que d’être soigné » n’est pas infondée. Et c’est bien sur une systématisation de l’« euthanasie des pauvres » que risque de déboucher cette loi, à terme. Les riches ont déjà – et auront encore – le droit effectif à « mourir dans la dignité » dans leur belle maison ou dans les meilleures cliniques, accompagnés des meilleurs médecins et en bénéficiant des meilleurs soins palliatifs, tandis que les pauvres seront toujours envoyés dans des mouroirs, dans des services de soins palliatifs manquant de tout.

Pour un droit à vivre dignement ! 

Bien sûr, les marxistes défendent le droit à l’aide à mourir. Mais pour « mourir dans la dignité », encore faut-il avoir pu vivre dans la dignité. Les deux sont indissociables. Cela suppose des conditions de travail décentes, un salaire suffisant, un logement de qualité, du temps libre pour se reposer et profiter de la vie.

Il en va de même pour les soins apportés aux malades : sans moyens suffisants, ni prise en charge de qualité, il ne peut y avoir de mort « digne », comme il ne peut y avoir de véritable liberté dans le choix de mettre fin à sa vie. Quand les conditions d’existence sont rendues insupportables par la crise du capitalisme, de plus en plus de personnes en viennent à préférer la mort à une vie marquée par la précarité, l’isolement et la souffrance – que celle-ci soit liée à une maladie ou non. Comme tout droit formel, l’aide à mourir n’a de sens que si les conditions concrètes de son exercice sont garanties.

C’est pourquoi nous nous opposons à cette loi, qui est à la fois une diversion « progressiste » et un moyen de réaliser, à terme, de considérables économies budgétaires. Plutôt que de servir de caution à cette manœuvre, la gauche et les syndicats – FI et CGT en tête – devraient concentrer leurs efforts sur l’organisation d’une vaste campagne d’agitation pour préparer un puissant mouvement de grèves reconductibles, avec pour objectif de renverser le « gouvernement des riches » et le remplacer par un gouvernement des travailleurs.

Seul un gouvernement des travailleurs pourra créer les conditions matérielles d’un véritable droit à l’aide à mourir dans la dignité, sur la base d’une très nette amélioration du système de santé, grâce à l’embauche massive de soignants qualifiés et à des investissements à hauteur des besoins dans l’hôpital public, y compris la création d’unités de soins palliatifs accessibles sur tout le territoire. Un tel gouvernement investira également dans la recherche pour développer l’offre de soins. Il nationalisera l’ensemble de l’industrie pharmaceutique – dont les profits faramineux pèsent lourdement sur la Sécurité sociale – afin de produire les traitements nécessaires à faible coût. Il nationalisera l’ensemble des hôpitaux, cliniques et mutuelles privés, et instaurera la gratuité totale des soins.

Lorsque la société garantira à tous une vie digne et un accès universel à des soins de qualité, le droit à l’aide à mourir cessera d’être seulement formel ; il deviendra réel, effectif. En d’autres termes, ce droit ne peut être pleinement exercé que dans le cadre d’un véritable développement des services publics de santé – et, plus largement, dans une société libérée des inégalités, de la course aux profits, de l’exploitation et des oppressions. En dernière analyse, seule une société communiste permettra aux travailleurs de vivre – et de mourir – dans la dignité.

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