Je travaille comme technicien de maintenance du métro marseillais, qui est exploité par la Régie des Transports Métropolitains (RTM). Cette société publique, rattachée à la métropole d’Aix-Marseille, emploie quelque 4500 salariés. Sur une large partie des Bouches-du-Rhône, elle gère les réseaux de métro, de bus, de tramway et de navettes maritimes. On comptabilise plus de 230 millions de voyageurs transportés par la RTM en 2024, dont près de 77 millions par le métro.
Sous-effectif
Mon rôle est de maintenir des niveaux de disponibilité et de sécurité suffisamment élevés pour que les 35 rames de métro soient exploitables. Cela passe par la maintenance et la réparation de pièces, mais aussi les révisions et les interventions sur les rames elles-mêmes.
Ces tâches sont indispensables au bon fonctionnement du métro. Pourtant, nous manquons de personnel, malgré une vaste campagne de recrutement menée par la RTM depuis deux ans. Comment l’expliquer ? Tout d’abord, le recrutement se concentre sur d’autres réseaux de transports que le métro. Le taux de recrutement dans les ateliers du métro est d’autant plus faible que les qualifications requises sont élevées, mais les conditions de travail difficiles et le salaire proposé beaucoup trop bas. Résultat : en un an, seules deux embauches ont été pérennisées.
Certains ateliers, qui comptaient plusieurs dizaines d’employés il y a 25 ans, se retrouvent aujourd’hui avec tout au plus six salariés. Les équipes d’intervention ont été progressivement réduites du tiers de leurs effectifs.
Sous-traitance
Cette fonte des effectifs s’explique aussi par la politique de sous-traitance d’un certain nombre de tâches. Mais la sous-traitance n’améliore pas la qualité du travail réalisé : c’est même l’inverse. Nous recevons des pièces mal réparées, qui doivent être retournées à l’entreprise sous-traitante. On finit par ne pas pouvoir fournir des rames, parfois pour quelques rondelles ! L’impasse est telle qu’il arrive qu’on nous réattribue la tâche, mais sans pour autant nous donner les outils et le personnel qui va avec.
Nous travaillons alors en accordéon : contraints d’attendre que des pièces arrivent, nous finissons par manquer de temps – et alors c’est le rush pour reconstituer des stocks vidés. Cette situation est tellement problématique qu’en juin dernier elle a été l’une des causes de la grève du Poste de commande centralisé, qui dénonçait des problèmes de disponibilité des rames et des pannes trop régulières pour garantir une sécurité suffisante.
« Modernisation » chaotique
Cette situation est d’autant plus préoccupante qu’après 40 ans de service, les rames sont vieillissantes. Elles nécessitent de plus en plus d’entretien, et donc de personnel pour le réaliser. Mais pas de panique : la Métropole et la direction de la RTM planchent depuis 2015 sur une « modernisation » du métro !
Véritable running gag marseillais, les rames automatiques Neomma devaient être mises en service entre 2021 et 2024. Finalement, il faudra attendre 2028 (peut-être) pour une mise en service complète. En attendant, le métro marseillais ne circule plus dès 21 h 30, en semaine, et ce depuis 2023, pour laisser place à des tests.
Tout ceci a des conséquences sur notre travail. Par exemple, Neomma est plus « haute » sur roue. Les fosses qui nous servent à accéder au bas-de-train ont été rehaussées de plusieurs centimètres, alors que nous travaillons toujours sur le vieux modèle, plus bas. On se « tord », littéralement, pour y circuler et y travailler. Tous les reports de mise en service ont aussi fini par causer des retards sur des maintenances lourdes, qui suivent un cycle de plusieurs années, par exemple celles des boîtes de vitesses ou des bogies. Ces maintenances sont finalement organisées au dernier moment, et parfois entièrement sous-traitées, faute d’alternative.
Un management absurde
La seule réponse de notre direction, ce sont des réunions organisées chaque semaine pour « optimiser la production et éliminer le gaspillage, valorisant notre expertise ». En réalité, on perd 30 minutes à signaler des problèmes déjà soulevés la semaine précédente. Les chefs font mine de nous écouter, puis nous présentent leurs projets pour l’atelier et les chiffres de performance du métro, avec des gratifications symbolisées par des smileys verts (« bien ») ou des smileys rouges (« pas bien »). Un véritable retour à l’école primaire ! Quant aux « solutions » proposées, elles sont hors-sol. Concernant le problème des fosses, par exemple, on nous a présenté des exosquelettes pour cervicales, qu’il faut porter… en se tenant droit !
Chaque jour, notre direction nous démontre le gâchis et l’absurdité provoqués par la gestion bureaucratique de la RTM. Chaque jour, il saute aux yeux que seuls les techniciens et ouvriers de l’atelier savent de quoi ils parlent. La seule solution, ce serait une régie publique des transports à laquelle seraient intégrés tous les sous-traitants, et qui serait placée sous le contrôle démocratique des travailleurs et des usagers. Ils sauront faire les investissements nécessaires.