Manifestation Serbie

Le 1er novembre dernier, un auvent en béton s’est effondré dans la gare de Novi Sad en Serbie, qui avait pourtant été intégralement rénovée en 2022. Cette catastrophe a fait 16 morts, dont la moitié avait moins de 25 ans. Pour l’immense majorité des Serbes, la cause de cet effondrement est évidemment à chercher dans la corruption quasiment généralisée dans le secteur de la construction, lui-même très lié au régime du président Aleksandar Vucic. Une colère profonde s’est répandue dans le pays, surtout après que des séides de Vucic ont attaqué à Belgrade un rassemblement en hommage aux victimes.

Une mobilisation sans précédent

Cette catastrophe a été le point de départ d’un mouvement de masse initié par les étudiants de la faculté des Arts dramatiques de Belgrade, vite rejoints par ceux du reste du pays. Leur mobilisation a cristallisé toute la colère et la frustration accumulée parmi la classe ouvrière et la jeunesse, durement touchées par la crise économique et l’inflation.

En février, des rassemblements massifs ont notamment paralysé l’Autokomanda, un carrefour stratégique de Belgrade, ainsi que le pont de la Liberté à Novi Sad. Les étudiants ont appelé à une nouvelle journée de rassemblement le 15 mars. Beaucoup espéraient que cette journée marquerait la fin du régime d’Aleksandar Vucic.

La veille du 15 mars, des images de files interminables de voitures se rendant à Belgrade circulaient sur les réseaux sociaux. De toute la Serbie, des étudiants et des militants ont entrepris de marcher vers la capitale, acclamés à chaque étape par des habitants solidaires. Des milliers de matelas avaient été préparés par les étudiants belgradois pour les accueillir.

Le 15 mars, des foules gigantesques ont convergé vers le centre, en scandant le slogan emblématique « Pumpaj » (« Pompez ! » qui peut aussi signifier « Amplifiez [le mouvement] ! »). Plus de 300 000 personnes sont descendues dans les rues de Belgrade, un chiffre énorme pour ce pays de 6,6 millions d’habitants. Ce sont les plus grandes manifestations de l’histoire du pays.

Ce mouvement a aussi permis de démontrer qu’il était possible de dépasser les clivages nationaux attisés par les forces réactionnaires. Dans les manifestations de Belgrade, des Serbes, des Bosniaques, des Hongrois, des Roms, des Roumains, des Bulgares et bien d’autres défilaient ensemble. Cette solidarité s’est aussi exprimée parmi la diaspora serbe : à Paris par exemple, des manifestations se tiennent chaque semaine devant l’ambassade de Serbie à l’initiative du collectif @1152paris.

Comment faire tomber Vucic ?

Le régime d’Aleksandar Vucic a été placé le dos au mur par cette contestation croissante. Depuis la tragédie de Novi Sad, les mensonges et la répression n’ont réussi qu’à renforcer la mobilisation. Une des manœuvres les plus lamentables du régime a été la constitution en plein cœur de Belgrade d’un soi-disant campement de « partisans » de Vucic, qui regroupait en fait des mendiants raflés par la police et des voyous payés par les truands proches du régime.

Vucic avait annoncé que la journée du 15 mars serait marquée par des violences : c’était une menace implicite. Un incident a d’ailleurs provoqué la suspicion des masses : durant une minute de silence en hommage aux victimes de Novi Sad, de nombreux manifestants ont été simultanément saisis de nausées et de malaises, pendant que des sons et des vibrations étranges se faisaient entendre. Cela pourrait correspondre à l’emploi par la police d’un canon à son. Des affrontements ont aussi eu lieu aux abords du soi-disant campement pro-Vucic. Mais d’une manière générale, l’ampleur de la mobilisation du 15 mars a empêché le régime de déchaîner ce jour-là une répression aussi brutale et massive qu’à l’accoutumée.

Mais, aussi massives soient-elles, de simples manifestations ne suffiront pas. Les étudiants réclament depuis novembre que tous les documents relatifs à la catastrophe de Novi Sad soient rendus publics. Le gouvernement n’a pas fait un pas dans cette direction. Plusieurs ministres impliqués dans le scandale ont dû démissionner, mais le régime reste en place. Le régime joue la montre. Cette situation ne peut en effet pas durer éternellement. Si le mouvement ne change pas de stratégie, la mobilisation risque de s’essouffler, faute de perspectives. Vucic pourrait alors déchaîner une répression féroce et se maintenir au pouvoir.

Comme l’expliquent nos camarades de la Ligue communiste révolutionnaire (la section de l’ICR en ex-Yougoslavie), la classe ouvrière doit investir toute sa puissance dans le mouvement. Une grève générale paralyserait le régime, réduirait à l’impuissance les forces de répression et ouvrirait la voie au renversement de l’appareil d’Etat corrompu du capitalisme serbe. Des appels à une grève générale et à la constitution d’assemblées populaires ont déjà été lancés par des secteurs du mouvement. Du fait de leur rôle héroïque et de l’autorité qu’ils ont acquise depuis le début du mouvement, les étudiants pourraient lui donner une orientation politique et ainsi permettre de mobiliser les travailleurs. Mais cela suppose qu’ils s’organisent et dotent la mobilisation d’une direction, d’une stratégie et d’un programme clair. C’est la voie qui mène à la victoire !