La situation internationale est dominée par l’intensification d’une guerre commerciale qui menace de plonger l’économie mondiale dans une nouvelle récession. Les marchés boursiers oscillent au rythme des déclarations successives de Donald Trump, qui est capable de promettre aux mêmes pays, la même semaine, l’enfer et un excellent « deal ».

Ces soubresauts relèvent d’une méthode chère au Président américain, mais son orientation fondamentale est très claire. Trump veut réduire drastiquement le déficit commercial des Etats-Unis et défendre les prés carrés de l’impérialisme américain face à son principal rival : la Chine. Dans le contexte d’un déclin relatif de la première puissance mondiale et d’une saturation globale des marchés depuis la crise de 2008, cela passe par une politique protectionniste agressive.

Dans plusieurs branches décisives de l’économie, le capitalisme chinois est désormais plus compétitif – ou en passe de l’être – que le capitalisme américain. C’est un élément central de l’équation, et il ne date pas d’hier. Obama et Biden ont beau fustiger l’actuelle administration américaine, ils s’étaient eux-mêmes engagés dans la voie d’un protectionnisme dirigé contre le géant chinois (et l’UE). L’actuel Président ne fait « que » radicaliser cette politique.

Tempête économique

A l’heure où nous écrivons ces lignes, Trump affirme qu’il va procéder à une baisse substantielle des droits de douane additionnels imposés à la Chine. Ceux-ci ont atteint 145 %, à quoi le régime chinois a répondu par un taux de 125 %. Si les deux premières puissances de la planète en restaient là, elles se porteraient à elles-mêmes un coup extrêmement sévère. Ces économies sont tellement imbriquées et interdépendantes qu’elles n’ont aucun intérêt à limiter aussi drastiquement leurs échanges commerciaux.

La Chine a notamment besoin du marché américain pour y écouler une partie de sa production (15 % de ses exportations). De leur côté, les Etats-Unis ont aussi besoin du marché chinois pour y écouler une partie de leurs marchandises, mais ils ont surtout besoin d’un certain nombre de biens produits en Chine et qui jouent un rôle clé dans l’industrie américaine elle-même. En outre, un grand nombre de biens chinois entrent dans la consommation courante des masses américaines, qui n’apprécieront pas leur disparition ou leur renchérissement brutal.

Ceci dit, quelles que soient les hausses et les baisses de tarifs douaniers décrétés par Trump, dans les semaines et les mois qui viennent, la tendance fondamentale semble irréversible : la « mondialisation », telle qu’elle s’est développée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, est en train de céder la place à une fragmentation du commerce mondial et à une dislocation de l’actuelle division internationale du travail. Or cette « mondialisation » a joué un rôle central dans la croissance des forces productives pendant les Trente Glorieuses, mais aussi dans les années 80, 90 et 2000.

Sans surprise, le FMI vient de revoir à la baisse ses prévisions de croissance pour 2025. Les Etats-Unis tombent de 2,7 % à 1,8 %, la Chine de 4,6 % à 4 %, la zone euro de 1 % à 0,8 %, l’Allemagne de 0,3 % à 0 %, la France de 0,8 % à 0,6 %. Aucune puissance n’est épargnée. Mais au-delà de ce tassement immédiat, la menace qui plane, c’est la récession. Elle pourrait arriver plus vite que le FMI ne l’anticipe. Comme le soulignait Le Figaro, le 22 avril : « L’art de la prévision économique est plus que jamais précaire dans ce paysage mouvant au gré des foucades du locataire de la Maison-Blanche ». C’est exact, à ceci près que les « foucades » de Trump ont bon dos. C’est le système capitaliste qui traverse une nouvelle phase de son agonie. Le Président américain n’en est qu’une expression et une conséquence.

L’UE aux abois

Il va sans dire que la guerre commerciale ne se limite pas à un duel au sommet entre les Etats-Unis et la Chine. Les bourgeoisies européennes, entre autres, sont terrifiées par les implications économiques et sociales de la flambée protectionniste.

D’une part, l’administration américaine n’a pas l’intention d’épargner l’UE, avec laquelle les Etats-Unis ont enregistré un déficit commercial de 157 milliards d’euros en 2023 (hors services). D’autre part, la Chine cherchera à déverser en Europe les marchandises bon marché qu’elle ne pourra plus exporter aux Etats-Unis. C’est inévitable.

L’UE est prise en étau entre les géants chinois et américain. C’est le résultat du long déclin de l’économie européenne. Sous le capitalisme, la compétitivité est le facteur décisif, en dernière analyse. Or dans ce domaine, l’UE a accumulé un retard croissant au fil des décennies, faute d’investissements productifs.

Ceci aura deux conséquences implacables : 1) « l’unité » européenne sera soumise à des pressions centrifuges toujours plus fortes, chaque « puissance » européenne cherchant à tirer son épingle du jeu au détriment des voisins, comme on le voit déjà ; 2) la crise économique, le retour de l’inflation et les politiques austéritaires préparent des explosions de la lutte des classes dans toute l’Europe. Tôt ou tard, ce sera aussi le cas aux Etats-Unis, en Chine et partout ailleurs.

Un protectionnisme « solidaire » ?

Dans ce contexte, la direction confédérale de la CGT a exigé sa participation à une « cellule de crise » réunissant chaque semaine le gouvernement, le patronat et, donc, les syndicats ouvriers, pour organiser la « riposte » française et européenne à l’offensive protectionniste des Etats-Unis.

Le gouvernement Bayrou a immédiatement et chaleureusement accepté. Il a tout intérêt à impliquer Sophie Binet et ses camarades, au sommet de la CGT, dans la mise en œuvre de sa politique. Patronat et gouvernement écouteront poliment les exigences « sociales » de la CGT, puis passeront au point suivant à l’ordre du jour. Mais ils pourront dire que la CGT était là, qu’elle a participé aux discussions, qu’elle a été « écoutée » avec grand intérêt, qu’ils ont même « tenu compte » de ses idées, etc. Pourquoi se gêner, puisque les dirigeants de la CGT acceptent d’entrer dans ce jeu de dupes – au lieu de préparer les travailleurs à la lutte, comme c’est leur devoir et leur mandat ?

Sur le fond, dans un document récent, la CGT écrit : « Ni guerre commerciale, ni libre-échange ». C’est correct. Il serait totalement erroné de soutenir l’une ou l’autre, car le problème, c’est le capitalisme en crise – et la solution, c’est son renversement, c’est le socialisme.

Hélas, quelques lignes plus loin, le même document de la CGT propose « un mécanisme de modulation des droits de douane aux frontières de l’UE en fonction du respect des droits sociaux, environnementaux et fiscaux », moyennant quoi « un pays (…) qui pratique le dumping écologique ou fiscal devrait payer des droits de douane plus élevés pour accéder au marché européen ». C’est exactement ce que Mélenchon promeut sous le titre étonnant de « protectionnisme solidaire ».

Il est permis de douter que les bourgeoisies européennes fixeront leur politique douanière en fonction de critères sociaux, fiscaux et environnementaux qu’elles ne cessent de piétiner elles-mêmes. Il est également permis de douter que Donald Trump et Xi Jinping seraient attentifs à ces critères au moment de répondre au « protectionnisme solidaire » de Binet et Mélenchon.

Tout ceci est absurde et, au fond, n’a qu’une signification : les dirigeants réformistes du mouvement ouvrier ne savent plus quoi inventer pour ne pas s’attaquer au véritable problème : la propriété privée des grands moyens de production et d’échange. Ils s’arrêtent, pétrifiés, devant la grande propriété capitaliste, dont ils n’osent pas proposer l’abolition et son remplacement par une propriété collective des principaux leviers de l’économie : banques, grande industrie, grande distribution, transports, etc.

C’est pourtant le seul moyen d’en finir avec les ravages sociaux du capitalisme, que ni le libre-échange, ni le protectionnisme (fut-il « solidaire ») ne peuvent atténuer. Dans l’immédiat, la gauche et l’ensemble du mouvement ouvrier devraient faire campagne sur un mot d’ordre simple et clair : toute grande entreprise qui menace de fermer ses portes, du fait de la guerre commerciale, doit être nationalisée sous le contrôle démocratique des salariés.


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Ni protectionnisme, ni libre-échange : le socialisme ! - Edtio du n°90
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