La crise sanitaire marque un tournant de l’histoire mondiale. Elle a précipité une crise économique d’une gravité insondable. Pris de panique, les économistes bourgeois se perdent en conjectures. Le matin, ils avancent des « prévisions » qu’ils corrigent le soir – à la baisse. Ils scrutent l’horizon des prochaines années, mais ne savent pas de quoi demain sera fait.
Nous, marxistes, avons expliqué de longue date pourquoi une nouvelle récession mondiale était inévitable – et pourquoi elle serait plus profonde que celle de 2008-9. Ces dix dernières années, les déséquilibres et les contradictions n’ont cessé de s’accumuler à tous les niveaux de l’économie mondiale : bulles spéculatives, surproduction et sous-investissement chroniques, faiblesse de la demande, tensions protectionnistes, dettes colossales, etc. N’importe quel accident pouvait provoquer une crise majeure. La pandémie a fourni cet accident, ce catalyseur.
Certains économistes s’accrochent à l’espoir d’un « rebond » suivi d’une stabilisation et d’une nouvelle phase de croissance. Mais rien ne permet d’étayer cette hypothèse. Le capitalisme n’est pas un moteur que l’on peut éteindre et rallumer à volonté. La crise va développer sa dynamique propre, en un cercle vicieux. Par exemple, les faillites d’entreprises vont déprimer le pouvoir d’achat des ménages (la demande), ce qui aggravera la surproduction, provoquera de nouvelles faillites et une chute des investissements productifs.
Régression sociale
Nul ne peut prévoir précisément la profondeur et le rythme de la crise. Mais une chose est sûre : elle aura des répercussions sociales extrêmement sévères. Partout, le chômage va bondir et, sans doute, atteindre des niveaux inédits. Par ailleurs, pour défendre leurs marges de profits, les classes dirigeantes vont chercher à intensifier l’exploitation des salariés : allongement du temps de travail, baisse ou gel des salaires, augmentation des cadences, précarisation des contrats, remise en cause des conventions collectives... L’augmentation des dettes publiques (au profit des capitalistes) justifiera des coupes budgétaires, des contre-réformes, un accroissement de la pression fiscale sur les travailleurs et les classes moyennes. Dans les pays les plus pauvres, de nouvelles couches de la population seront exposées à la famine.
Cette situation provoquera une intensification de la lutte des classes dans tous les pays, à des rythmes et sous des formes variables. Certes, dans l’immédiat, la plupart des travailleurs aspirent surtout à retrouver une vie « normale », après des mois d’angoisse et de tensions. Mais il n’y aura pas de retour à la normale. D’une part, l’épidémie n’est pas terminée, et nul ne sait quand elle le sera. D’autre part, la crise économique ne fait que commencer. Le grand patronat va rapidement passer à l’offensive. Les jeunes et les travailleurs n’auront pas le choix : ils devront lutter. Qu’il y ait ou non une « deuxième vague » de l’épidémie, une chose est claire : il y aura de nouvelles vagues révolutionnaires – après celles qui, en 2019, ont balayé l’Algérie, le Soudan, Hong Kong, l’Equateur, le Chili, l’Irak, le Liban et Haïti. En France, le mouvement des Gilets jaunes et la grève de décembre-janvier trouveront leur prolongement dans des luttes encore plus massives et radicales.
L’impasse du réformisme
Face aux contre-réformes, à la flambée du chômage et à la régression sociale, les jeunes et les travailleurs vont se mobiliser pour essayer de transformer la société. Ils se mobiliseront – à travers des flux et des reflux, des victoires et des défaites partielles – jusqu’à ce qu’ils obtiennent gain de cause. Pour le comprendre, il suffit d’étudier l’histoire de notre classe, la classe ouvrière. Laissons les sceptiques ignares se plaindre de la prétendue « passivité » des travailleurs. Nous avons, nous, une confiance totale dans leur potentiel révolutionnaire, car ils ont montré ce potentiel à de nombreuses reprises, en France comme ailleurs.
Le problème n’est pas la faible combativité des masses. Encore une fois, elles n’auront pas le choix : elles devront lutter. Le problème vient des directions réformistes des travailleurs (partis et syndicats). Dans tous les pays, les dirigeants du mouvement ouvrier ont renoncé à l’objectif de renverser le capitalisme. Ils ont renoncé à la révolution socialiste. Ils se bercent d’illusions sur la possibilité d’améliorer indéfiniment et graduellement le sort des travailleurs dans le cadre du capitalisme. Ils appellent cela du « réalisme » et du « pragmatisme », mais c’est la pire des utopies. La crise actuelle suffit à le démontrer. Elle valide la célèbre formule de Rosa Luxemburg : « socialisme ou barbarie ! »
Bien sûr, les marxistes sont favorables à la lutte pour des réformes – et contre la régression sociale – dans le cadre du capitalisme. C’est à travers l’expérience de cette lutte quotidienne que la masse des travailleurs s’organise et prend conscience de sa force. Sans cette expérience, la révolution socialiste elle-même serait impossible. Ainsi, les marxistes participent à toutes les luttes « partielles », mais ils s’efforcent de les lier à la nécessité de renverser du capitalisme, ce qui suppose que les travailleurs prennent le pouvoir. A l’inverse, les dirigeants réformistes expliquent aux travailleurs qu’ils doivent se contenter de telle ou telle amélioration – et que le renversement du capitalisme n’est ni nécessaire, ni souhaitable. Au lieu d’élever la conscience des travailleurs, ils y sèment la confusion.
Historiquement, le réformisme a eu ses heures de gloire. Par exemple, lors des trois décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale (les « Trente glorieuses »), le capitalisme était en pleine expansion, du moins dans les grandes puissances industrielles. Alors, la vigoureuse croissance de l’économie permettait aux classes dirigeantes de faire des concessions aux travailleurs. Les conditions de vie de la classe ouvrière – ou d’une fraction de celle-ci – s’amélioraient. Il n’y avait presque pas de chômage. Dans ce contexte, la perspective d’un progrès social graduel et indéfini pouvait sembler raisonnable.
La situation actuelle est complètement différente. Sur fond de crise organique du capitalisme, non seulement la classe dirigeante ne concède aucune mesure progressiste, mais elle s’attaque à toutes nos conquêtes sociales. On l’a vu récemment, en France, sur la question des retraites. Les bases matérielles (économiques) du réformisme ont disparu – et elles ne reviendront pas de sitôt.
Dans ce contexte, lorsqu’ils arrivent au pouvoir, les dirigeants réformistes abandonnent leur programme et appliquent celui de la classe dirigeante, faute de rompre avec elle et son système. C’est ce qui s’est passé en Grèce en juillet 2015, quelques mois après la victoire électorale de Syriza. En France, François Hollande a capitulé dès le début de son mandat (2012) : il a multiplié les coupes budgétaires et les mesures anti-sociales, sous la dictée du Medef. En Espagne, l’actuel gouvernement de gauche (PSOE-Podemos) tente de satisfaire à la fois la bourgeoisie et les travailleurs. Mais il ne pourra pas servir deux maîtres : s’il ne rompt pas avec la bourgeoisie, il trahira les travailleurs qui l’ont élu.
Ainsi, la crise du capitalisme provoque une crise du réformisme. Cependant, cela ne signifie pas que, du jour au lendemain, les jeunes et travailleurs vont cesser de soutenir tous les dirigeants réformistes. Il y a deux raisons à cela. D’une part, les forces du marxisme sont trop faibles, à ce stade, pour représenter une alternative crédible aux yeux des masses. D’autre part, pour que les masses perdent leurs propres illusions réformistes, qui s’enracinent dans un passé révolu, elles devront faire – et refaire – l’expérience de l’impasse du réformisme. La crise du réformisme va donc se développer sur toute une période, à travers des scissions, des conflits, l’ascension et le déclin de différentes organisations ou tendances.
Ce processus a commencé bien avant la crise actuelle. L’émergence de la France insoumise (FI), en 2016 et 2017, en est un bon exemple. Le programme de la FI est réformiste. Mais sa rupture avec le PS et la relative radicalité de son programme ont suscité beaucoup d’enthousiasme dans une large fraction de la jeunesse et du salariat. Le même phénomène s’est développé en Grèce (Syriza), en Espagne (Podemos), en Grande-Bretagne (Corbyn), aux Etats-Unis (Sanders) et ailleurs. Ce n’est que le début. Il y aura d’autres manifestations de ce phénomène, d’autres ascensions rapides de dirigeants et d’organisation réformistes – suivies de chutes tout aussi rapides.
Construire la TMI !
En comprenant et en anticipant ces événements, les marxistes se donnent les moyens d’y intervenir efficacement. Révolution rejette les méthodes sectaires des organisations qui, au nom de leur « pureté » révolutionnaire, refusent d’intervenir dans les luttes internes au camp réformiste. Dans ce domaine, notre ligne est claire : nous soutenons l’aile gauche contre l’aile droite, mais sans jamais renoncer à critiquer l’aile gauche, c’est-à-dire à défendre nos idées et notre programme révolutionnaires. C’est la seule façon de renforcer l’influence du marxisme dans les couches les plus radicalisées de la jeunesse et du salariat.
D’ores et déjà, une fraction de notre classe – et en particulier sa jeunesse – cherche un programme et une organisation révolutionnaires. Ce n’est qu’une petite minorité, mais elle croîtra sans cesse sous l’impact de la crise du capitalisme. La Tendance Marxiste Internationale (TMI), dont Révolution est la section française, existe précisément pour donner une organisation, des idées, un programme et une tradition révolutionnaires à tous ceux qui veulent lutter pour le renversement du capitalisme et la transformation socialiste de la société. La TMI est active dans une quarantaine de pays et se développe rapidement. Son premier objectif est d’émerger comme une Internationale reconnue et enracinée dans le mouvement ouvrier du monde entier. Alors, elle sera en position de jouer un rôle décisif dans la révolution socialiste mondiale, qui seule peut sauver l’humanité de la déchéance et de la barbarie.
Pendant de longues décennies, les forces du marxisme ont été marginalisées. La domination du stalinisme et du réformisme était écrasante. Mais la roue de l’histoire ne s’est pas arrêtée. Le stalinisme s’est effondré. Le réformisme ira de crises en crises. Les idées authentiques du marxisme retrouveront le chemin des masses exploitées, car seules ces idées répondent pleinement aux défis de notre époque. Seule une planification socialiste et démocratique de l’économie – à l’échelle nationale, puis internationale – permettra d’en finir avec la misère, le chômage, les guerres, les oppressions, le saccage de la planète et tous les maux qu’engendre le capitalisme.
Pour nous aider à construire l’Internationale révolutionnaire dont la jeunesse et les travailleurs ont besoin, rejoignez la TMI !