Le 5 novembre dernier, le géant chinois de la mode, Shein, inaugurait sa première boutique permanente à Paris. Aussitôt, les principales entreprises françaises du secteur, le gouvernement et les médias ont lancé une campagne contre le groupe chinois martelant que son activité est désastreuse sur les plans environnemental, social et sanitaire. Et oui, elle l’est – comme celle de tous les grands groupes du textile. Ces critiques hypocrites ne sont que des prétextes : ce qui inquiète réellement la classe dirigeante française, c’est la montée en puissance du géant chinois qui ne cesse de grappiller des parts de marché aux groupes occidentaux.
Expansion fulgurante
Créée en 2008 sous le nom de SheInside, l’entreprise était initialement spécialisée dans les robes de mariée. En 2015, elle effectue un tournant stratégique vers la fast-fashion et adopte le nom de Shein. En une décennie, son chiffre d’affaires annuel passe de moins d’un milliard à 38 milliards de dollars.
Grâce à ses algorithmes dopés à l’intelligence artificielle qui analysent les préférences de consommation de millions de clients, Shein réagit en temps réel aux tendances de la mode. Fini les collections d’été ou d’hiver : les pièces sont renouvelées quotidiennement, à des prix imbattables. Là où les enseignes traditionnelles essayaient d’anticiper les tendances, Shein impose un rythme entièrement ajustable à la demande.
Environ 53 000 nouveaux vêtements sont mis en ligne chaque jour sur la plateforme qui référence en permanence près de 250 000 articles. Selon l'agence de presse Reuters, Shein expédie quotidiennement 5 000 tonnes de vêtements par avion – l’équivalent de 22 millions de t-shirts. Un tel volume suffirait à fournir des t-shirts à l’ensemble de la population française en seulement trois jours.
Par ses capacités de production et de distribution, Shein surclasse tous ses concurrents. L’entreprise collabore avec plus de 10 000 sous-traitants et son partenariat avec la plus grande compagnie aérienne chinoise lui permet de livrer en quelques jours ses marchandises dans les 150 pays où elle opère.
Hypocrisie
Fondamentalement, le succès de Shein repose sur l’exploitation brutale de ses salariés à toutes les étapes du processus de production, des ateliers textiles jusqu’à la distribution. Est-ce pour autant un phénomène nouveau, propre à la multinationale chinoise ?
Évidemment non. Shein n’a rien inventé : les grandes multinationales de la mode avaient déjà perfectionné l’art de réduire les coûts en exploitant à outrance les travailleurs du textile, notamment au Bangladesh. L’histoire du secteur est jalonnée de catastrophes, comme la tragédie du Rana Plaza à Savar en 2013 qui a tué plus de 1 000 travailleurs qui produisaient des vêtements pour l’espagnol Mango ou l’irlandais Primark. En 2023, une quarantaine de groupes, dont Nike, Cache Cache, Adidas, Décathlon et bien d’autres groupes occidentaux, avaient même été épinglés par une commission d’enquête européenne parce qu’ils s'approvisionnent auprès d’entreprises chinoises qui soumettent les Ouïghours au travail forcé !
Les entreprises françaises ne sont pas réellement préoccupées par les conditions de travail des salariés. C’est même l’une de leurs dernières priorités. Ce qui les alarme, ce sont les progrès fulgurants de Shein sur le marché de la fast-fashion. Selon le bureau d’étude Coresight Research, en 2024, Shein détenait environ 18 % du marché mondial, contre 17 % pour Zara et 5 % pour H&M.
Par ailleurs, le gouvernement français demande au Tribunal de Paris de suspendre les activités de Shein pendant trois mois pour avoir vendu en ligne des armes et des objets pédopornographiques. Le groupe a également été sanctionné : 150 millions d’euros d’amende par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) pour violation des règles sur les données personnelles, et 40 millions par la direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) pour pratiques commerciales trompeuses, notamment concernant la manipulation des prix et promotions. Mais ces mesures servent avant tout de prétextes : le géant américain Amazon, par exemple, a recours aux mêmes pratiques commerciales – et a lui aussi vendu des produits pédopornographiques – sans pour autant subir une campagne médiatique comparable.
En s’attaquant à Shein, l’Etat français ne s’est pas découvert une vocation soudaine pour les pratiques commerciales « vertueuses » – si tant est qu’elles existent. À travers ces sanctions, il cherche d’abord à protéger les entreprises françaises de la concurrence chinoise qui ne cesse de rogner leurs parts de marché, en France comme à l’international.
Luttes des classes et planification
L’exploitation scandaleuse des travailleurs de Shein n’a rien de spécifique par rapport à ses concurrents. Shein n’est pas le visage d’un pays, mais celui d’un système économique : le capitalisme.
Le mouvement ouvrier ne doit pas tomber dans le piège du protectionnisme économique : les salariés français n’ont rien à gagner à se ranger derrière « leur » bourgeoisie nationale. Pour conquérir de meilleures conditions de travail – et, à terme, mettre fin à l’exploitation – les travailleurs du textile, en France comme ailleurs, ne peuvent compter que sur leur propre force, leur unité et leur organisation. Seule la lutte pour l’expropriation de ces géants du textile et pour la planification démocratique de la production, sous le contrôle des travailleurs, permettra d’en finir avec toutes les aberrations écologiques et sociales du secteur textile.

