Ce 12 mars 2011, à Rome, on joue Nabucco, un opéra du grand compositeur italien Giuseppe Verdi (1813-1901). Cette représentation est censée marquer et fêter le 150e anniversaire de l’unification de l’Italie. Des personnalités du monde politique sont dans le public, y compris Silvio Berlusconi (qui aurait certainement préféré une soirée « bunga bunga », mais c’est une autre histoire). Pour l’occasion, le choix de Nabucco coule de source. Verdi avait pris comme sujet l’épisode biblique de l’esclavage des Juifs à Babylone, ce que tout le monde avait compris, à l’époque, comme une métaphore de l’oppression des Italiens par l’empire autrichien.
Ce soir-là, l’opéra est dirigé par Riccardo Muti (photo), l’un des chefs d’orchestre italiens les plus appréciés. A la fin du célèbre chœur des esclaves (« Va pensiero »), la salle demande un « bis » et insiste longuement. Quelqu’un crie « vive l’Italie ! ». Muti se tourne alors vers le public et déclare : « Oui, je suis d’accord avec ça, "vive l’Italie", cependant... Je n’ai plus 30 ans et j’ai vécu ma vie. Mais comme Italien qui a beaucoup parcouru le monde, j’ai honte de ce qui se passe dans mon pays. J’acquiesce à votre demande de "bis" pour le "Va pensiero". Mais ce n’est pas seulement pour la joie patriotique que je ressens, mais parce que ce soir, alors que je dirigeais le Choeur qui chantait "O mon pays, beau et perdu", j’ai pensé que si nous continuons ainsi, nous allons tuer la culture sur laquelle l’histoire de l’Italie est bâtie. Auquel cas, nous, notre patrie, serait vraiment "belle et perdue". […] Je me suis tu depuis de trop longues années. Je voudrais maintenant... nous devrions donner du sens à ce chant. Et comme nous sommes dans notre Maison, le théâtre de la capitale, avec un Choeur qui a chanté magnifiquement, et qui est accompagné magnifiquement, si vous le voulez bien, je vous propose de vous joindre à nous pour chanter tous ensemble ». De vifs applaudissements – y compris des artistes, sur la scène – accueillent ce discours clairement dirigé contre les coupes budgétaires qui frappent le budget de la culture (de l’ordre de 230 millions d’euros). Puis le chœur et une partie du public se lèvent et chantent le « Va Pensiero ». Plusieurs artistes ne peuvent retenir leurs larmes. On imagine avec plaisir le malaise de Berlusconi, s’il est capable d’un tel sentiment.
L’initiative de Riccardo Muti souligne qu’en ce 150e anniversaire de l’unification du pays, l’Italie est toujours divisée – entre des classes sociales aux intérêts inconciliables. Quelques jours plus tard, sous l’effet de cet événement qui fit couler beaucoup d’encre, mais aussi sous la menace d’une grève des salariés de la culture et des services publics, le gouvernement italien a dû renoncer aux coupes budgétaires. Bravo maestro !