On connaît désormais bien Michael Moore et, généralement, on l’apprécie. Dans The Big One, des grands patrons américains se voyaient pris au piège d’une caméra qui piétine avec humour leur hypocrisie et l’absurdité du système qu’ils défendent. Bowling for Colombine ne quitte pas complètement ce terrain, mais l’aborde sous l’angle particulier des armes.
La question est traitée sous de nombreux aspects : on passe rapidement du fait divers impliquant des enfants à la politique étrangère des Etats-Unis, d’une usine militaire au système de sécurité sociale. Au final, la multiplicité des thèmes permet de replacer la question des armes dans le cadre général de la société américaine, et contribue à la richesse du film.
Les faits divers y occupent une large place - et notamment la fusillade dans le collège de Colombine. Mais Michael Moore ne se contente pas de l’émotion que provoquent naturellement de tels drames, et nous montre combien la question de la violence est différente selon qu’on est en haut ou en bas de l’échelle sociale.
D’un côté, un gouvernement qui n’hésite pas à organiser de sanglants coups d’Etats, à travers le monde, pour y défendre les intérêts d’un patronat qui, par ailleurs, encaisse tranquillement les profits du marché des armes. De l’autre, des travailleurs et leur famille qui sont en première ligne des meurtres par balles, et dont les médias cherchent inlassablement à transformer les peurs en racisme.
On peut se demander, à la fin du film, si Michael Moore est pour une limitation du port d’arme. Cependant, il nous rappelle au contraire que les premières violences sont l’exploitation acharnée des salariés, la misère et la marginalisation, sans lesquelles les faits divers qu’il nous montre n’existeraient pas.
De ce point de vue, "rendre les armes" à la classe capitaliste n’apporterait pas un pouce de mieux-être à la jeunesse et au salariat américains. Ils s’y refuseraient d’ailleurs sûrement, suivant en cela un instinct justifié par toute l’histoire du mouvement ouvrier international.
A de nombreuses reprises, la classe capitaliste, en Amérique comme en France, s’est fixée pour tâche de désarmer des mouvements révolutionnaires. Les représentants de l’ordre capitaliste ne sont pas contre la violence, mais ils tiennent à en conserver le monopole. Ainsi, le désarmement des communards, en 1871, fut l’obsession du gouvernement réactionnaire d’Adolphe Thiers, et c’est d’ailleurs la tentative de désarmer le peuple parisien qui a donné le signal de l’insurrection révolutionnaire. De même, après l’insurrection de 1944 qui a renversé le régime hitlérien à Paris et ailleurs, la classe dirigeante française ne pouvait pas se sentir en sécurité tant que les insurgés n’avaient pas été désarmés.
Bien qu’il ne traite pas directement cette dimension du problème, Michael Moore lui fournit des arguments tirés de l’actualité - et développe en passant son excellent humour satirique, au grand dam des grands et puissants de ce monde...