Chaque minute, dans le monde, cinq personnes meurent par manque d’eau potable. Les catastrophes liées au réchauffement climatique dégradent les ressources en eau et menacent la vie de millions d’individus. La planète affronte des périodes de sécheresse extrême suivies par des pluies diluviennes.
Ces désastres détruisent ou contaminent les sources d’eau potable, ce qui expose les populations à de nombreuses maladies : déshydratation, dysenterie, choléra… Plus de 700 enfants de moins de cinq ans meurent chaque jour à cause de maladies diarrhéiques.
Selon l’UNICEF, 2,2 milliards de personnes sont privées d’accès à l’eau courante dans leur foyer, tandis que la moitié de la planète se trouve dépourvue d’un système d’assainissement de bonne qualité. La gestion rationnelle de cette ressource est une urgence vitale. Cependant, l’eau est aussi une marchandise très lucrative, et la classe dirigeante réalise des profits colossaux sur « l’or bleu » du XXIe sècle.
La création d’un marché
En 1989, Margaret Thatcher est la première à privatiser cette ressource en bradant la totalité du secteur au Royaume-Uni. Des fonds d’investissement flairent la bonne affaire et se disputent les parts de marché comme des rapaces.
Par exemple, en 2006, le fonds d’investissement de la banque Australienne Macquarie s’empare de Thames Water, une entreprise de gestion et d’assainissement de l’eau londonienne. Ce fonds d’investissement est dit « vautour » : il rachète des dettes émises par une entreprise en difficulté, avec le droit d’intervenir sur sa stratégie. Il verse le maximum de dividendes à ses actionnaires – puis s’en va, laissant une dette dépassant de loin celle de départ. Cette stratégie de privatisation de l’accès à l’eau sera reprise par de nombreux parasites à l’échelle mondiale.
Aujourd’hui, Thames Water est endettée à hauteur de 14 milliards de livres sterling. Les infrastructures n’ont jamais été sérieusement rénovées et fuient de toute part. En 2017, l’entreprise a été condamnée par la justice britannique pour avoir déversé des millions de litres d’eau polluée dans des cours d’eau naturels. Aux dégâts environnementaux s’ajoutent les tarifs élevés que payent les consommateurs, pour éponger la dette accumulée.
Justification bourgeoise
Pour justifier l’injustifiable, les économistes bourgeois et le grand patronat redoublent d’hypocrisie et de mauvaise foi. Ils l’expliquent sans sourciller : faire payer l’eau, c’est la solution idéale contre les pénuries ! Peter Brabeck, PDG de Nestlé, déclarait en 2005 : « La question est de savoir s’il faut privatiser l’alimentation en eau. Deux points de vue s’affrontent à ce sujet. Le premier, que je qualifie d’extrême, est représenté par les ONG pour qui l’accès à l’eau devrait être nationalisé. Autrement dit, tout être humain doit avoir accès à l’eau. C’est une solution extrême. Et l’autre qui dit que l’eau est une denrée alimentaire, et que, comme toute denrée, elle a une valeur marchande. Il est préférable, selon moi, de donner une valeur à une denrée afin que nous soyons tous conscients qu’elle a un coût ».
En 2007, les autorités australiennes tenaient le même discours lors de la promulgation de leur « Water act ». Sous couvert de rationaliser la consommation en eau, le gouvernement australien fixe le volume d’extraction autorisé, puis les entreprises s’échangent les droits d’accès sur le marché.
C’est en Californie – frappée par des sécheresses à répétition – que s’est développée la dernière étape de la spéculation sur l’eau, en 2018. Un indice sur son prix a été créé, le « Nasdaq Veles California Water Index ». L’indice augmente en période de sécheresse. En 2020, la ressource entre à la bourse de Chicago, où des contrats à terme peuvent être échangés. Les banques californiennes spéculent sur « le cours de l’eau » et tirent profit des pénuries liées au réchauffement climatique.
Impérialisme et agro-industrie
Au début des années 1990, le FMI et la banque mondiale imposaient à de nombreux pays « en voie de développement » de mener des politiques « d’ajustement structurel », c’est-à-dire des coupes budgétaires et des privatisations massives. Dans les années 2000, les groupes français Vivendi et Suez, ainsi que Thames Water, étendaient leur emprise sur 130 pays dans le monde, concentrant plus de 70 % des parts de marché de l’eau.
Ces privatisations provoquèrent une flambée des prix. A Nairobi, la capitale du Kenya, le tarif de l’eau a bondi de 40 % à l’arrivée de Véolia, dans un contexte où la population était déjà frappée d’une pauvreté extrême et de pénuries mortelles.
En 1994, la signature de l’ALENA, un traité de libre-échange entre le Canada, les Etats-Unis et le Mexique, facilitait l’implantation agressive de Coca-Cola au Mexique. L’entreprise a construit 27 concessions de pompage pour capter l’eau nécessaire à la production de sodas. Dans le Chiapas, la compagnie a l’autorisation de pomper plus de 500 millions de litres d’eau par an, ce qui assèche la nappe phréatique concernée et prive les habitants d’un bon accès à l’eau. Coca-Cola nous livre un exemple éloquent des aberrations qui peuvent découler de la production capitaliste : au Mexique, une bouteille de Coca peut coûter moins cher qu’une bouteille d’eau potable !
Dans la majorité des pays soumis à l’impérialisme, l’agriculture est un secteur d’activité fondamental. Mais il y a un gouffre entre les paysans pauvres et les grandes firmes agricoles. Les ouvrages de stockage de l’eau se multiplient, sous forme de lacs artificiels et de méga-bassines. Les droits d’accès à l’eau sont principalement réservés aux gros agriculteurs. Les conséquences sont terribles pour la masse des paysans pauvres, qui perdent leur seul moyen de subsistance.
Par exemple, en 2006, une sécheresse dévastatrice frappait la Syrie et poussait les paysans pauvres à l’exode rural. Ce fut l’un des éléments qui a préparé l’explosion révolutionnaire de 2011. Régulièrement, dans de nombreuses régions du monde, des « manifestations de la soif » éclatent, sur fond de pénurie d’eau et de révolte contre l’impérialisme.
La France : avant-garde de la régression
« L’eau est un bien commun », déclarait Emmanuel Macron le 30 mars dernier. Il dévoilait alors son « plan eau », censé lutter contre les épisodes de sécheresse. « Il faut garantir à tous les Français une eau potable de qualité », poursuivait-il, avant de terminer par la traditionnelle fausse solution des capitalistes : « une tarification progressive et responsable sera généralisée à toute la France ». En bref, la lutte du gouvernement Macron contre la sécheresse consiste à taxer les familles nombreuses et les jardiniers du dimanche.
Selon le Bureau de recherches géologiques et minières, 32 milliards de mètres cubes d’eau sont pompés chaque année, en France. Entre 30 et 50 % (selon les sources) sert à refroidir les centrales nucléaires ; la part des usages domestiques, celle que vise le gouvernement, est minime : 5,4 milliards. Le reste est principalement consommé par l’irrigation et l’industrie.
En France, l’eau est loin d’être « un bien commun », comme l’affirme Emmanuel Macron. Les infrastructures hydriques sont privatisées à plus de 60 %. Les effets de l’agro-industrie et du manque d’investissements accentuent la pollution chronique des eaux. Les monopoles ont tout le loisir de contourner le principe « pollueur-payeur », pourtant inscrit dans la loi. Lorsque des usines de dépollution de l’eau sont construites, la facture n’est pas payée par les grandes firmes agricoles qui remplissent les eaux de nitrates et pesticides – mais par les usagers, via une hausse drastique des tarifs à la consommation.
La privatisation ne se limite pas aux systèmes de distribution et d’assainissement. Le géant Nestlé pompe intensément la nappe phréatique de Vittel, dans les Vosges, et Danone fait de même dans les sous-sols volcaniques de Volvic, dans le Puy-de-Dôme. Les habitants de ces territoires en souffrent directement. Les bouteilles d’eau minérale sont ensuite vendues entre 100 et 300 fois plus chères que l’eau courante.
Enfin, les territoires d’outre-mer subissent de plein fouet la gestion capitaliste de l’eau. Avant de se retirer de la Guadeloupe en 2015, Véolia a participé à l’empoisonnement de milliers de Guadeloupéens au chlordécone, faute d’investissements dans les infrastructures de dépollution. A l’heure où nous écrivons ces lignes, Mayotte subit une crise de l’eau sans précédent. Ses habitants sont privés d’eau potable deux jours sur trois. Les établissements scolaires ferment et « des manifestations de la soif » éclatent.
Quel programme ?
En 2021, une commission d’enquête parlementaire trans-partisane impulsée par Mathilde Panot (FI) a prouvé, faits et chiffres à l’appui, que la privatisation de l’eau a de lourdes conséquences sur la santé et l’environnement. La France insoumise propose d’inscrire dans la Constitution française « l’eau comme bien commun et la protection de l’ensemble de son cycle, y compris les nappes phréatiques ». Elle propose aussi la création d’une régie publique de l’eau. Comme le résume Olivier Serva (LIOT), rapporteur de l’enquête parlementaire : « L’érection de ce principe ne revient pas à nationaliser les eaux, mais à rendre obligatoire leur gestion en commun ». Or c’est justement là que le bât blesse.
Véolia et les autres multinationales de l’eau n’abandonneront pas gracieusement leur mainmise sur cette ressource. On peut bien inscrire tout ce qu’on voudra dans la Constitution, cela n’aura aucun effet concret tant que les infrastructures hydriques resteront la propriété d’une petite minorité de gros capitalistes.
Le mouvement ouvrier doit se doter d’un programme concret et offensif sur la gestion de l’eau et des ressources naturelles en général. Il faut exproprier les grandes multinationales de l’eau et de l’agro-industrie, comme Véolia, Danone ou Lactalis. Il faut lutter pour la nationalisation du BTP, ce qui permettra d’engager un grand plan de rénovation des infrastructures hydriques. Il faut défendre la création d’un service public de l’eau géré démocratiquement par les travailleurs et les consommateurs. Enfin, la nationalisation des banques permettra de financer la recherche scientifique pour lutter contre la sécheresse et mettre en œuvre une gestion rationnelle des terres agricoles et des ressources naturelles.
Des conflits entre plusieurs pays éclatent déjà pour le contrôle de fleuves, comme celui qui oppose l’Egypte à l’Ethiopie sur les eaux du Nil. Ces conflits se multiplieront et s’amplifieront à mesure que le réchauffement climatique s’accentuera. La division du monde en Etats-nations est incompatible avec une gestion rationnelle de l’eau, qui est une ressource inégalement répartie sur la planète. Seule une révolution socialiste jettera les bases d’une société qui permettra de fournir une eau potable et de qualité à l’ensemble de la population mondiale.