Les mobilisations massives de « Black Lives Matter » ont replacé la question du racisme au centre de l’actualité. Parti des Etats-Unis au printemps, ce mouvement contre les violences et le racisme policiers a fait le tour du monde. Partout, des jeunes et des travailleurs se sont montrés solidaires de la lutte des masses américaines contre le racisme de leur police. C’est une preuve supplémentaire de la dimension planétaire de ce problème, sous le capitalisme.
Délires racistes dans les médias bourgeois
Dans ce contexte, la bourgeoisie française a récemment intensifié sa campagne de propagande raciste et « sécuritaire » – en liant explicitement les deux questions. Cela prend parfois des formes délirantes, sur fond de course à la provocation la plus outrageusement raciste. Par exemple, lorsque Nicolas Sarkozy associe « nègre » et « singe » en direct, sans que cela émeuve le moins du monde son intervieweur ; lorsque Pascal Praud diffuse des rumeurs racistes inventées par le groupuscule monarchiste Action française ; lorsque Ivan Rioufol déverse sa haine des « jeunes de la diversité » ; lorsque Judith Waintraub, journaliste au Figaro, publie un tweet associant port du voile et terrorisme ; lorsque Valeurs actuelles publie les horreurs que l’on sait sur Danièle Obono. Et ainsi de suite. Sur les plateaux de télévision, on se dispute pour offrir une tribune à Zemmour ou Onfray, comme s’ils manquaient de moyens de médiatiser leur logorrhée raciste.
Cette omniprésence et cette permanence du racisme montrent à quel point il est organiquement lié au système capitaliste. Il ne s’agit pas là de quelques racistes isolés, mais bien d’un racisme organique, encouragé par les plus hautes autorités de l’Etat et de la « société civile ». Un tel phénomène ne sera pas réglé à coup de réformes et de lois. Depuis des décennies, les lois contre le racisme se sont multipliées. Le racisme est d’ailleurs un « délit » en France, depuis 1972, mais cela n’empêche pas les racistes notoires de s’exprimer sur les plateaux de télévision, ni le racisme de régner en maître dans les commissariats du pays.
Par ailleurs, on entend souvent dire que le racisme se réduirait à un ensemble de préjugés et de « clichés » hérités du passé, lesquels finiront par disparaître à force d’éducation et de « conscientisation ». Or, d’une part, cette « explication » n’en est pas une, car elle n’explique pas d’où viennent ces préjugés ; d’autre part, elle est contredite par les faits. Depuis des décennies, des dizaines de campagnes de lutte contre le racisme se sont succédées – et ne l’ont pas fait reculer d’un iota. Le problème est donc bien plus profond.
A gauche, on entend souvent que le racisme est « systémique ». C’est exact, mais il faut aller plus loin. Il faut comprendre et expliquer en quoi il est « systémique », et ce que cela veut dire. Le marxisme permet de répondre à ces questions en démontrant que le racisme est indissolublement lié au système capitaliste. Il est apparu en même temps que lui, a grandi avec lui et ne pourra être liquidé qu’avec lui.
Les racines historiques du racisme
Contrairement à une idée reçue, le racisme basé sur la couleur de peau ou l’origine nationale n’a pas toujours existé. Bien sûr, des discriminations existent depuis l’apparition des sociétés de classe, mais elles ne reposaient presque jamais sur ces critères-là. Dans la Grèce antique, les « métèques » privés de droits civiques étaient le plus souvent des Grecs, eux aussi, et les esclaves étaient généralement aussi « blancs » que leurs maîtres.
Une situation comparable existait à Rome, où des cultes étrangers avaient même leurs temples dans la cité. Le célèbre empereur romain Septime Sévère était d’origine berbère, et personne n’y trouvait à redire. Hors d’Europe, l’Empire Ottoman ou celui de Genghis Khan s’étaient fait une spécialité d’intégrer dans leurs administrations et leur gouvernement des membres des peuples conquis, quelles que soient leur couleur de peau ou leur religion.
Le racisme « moderne », basé sur la couleur de la peau et l’apparence physique, est apparu d’abord comme un moyen de justifier et de pérenniser l’esclavage de masse mis en place par le capitalisme naissant. Au début de la traite négrière transatlantique (début du XVIe siècle), la division nette – entre noirs et blancs – n’avait pas encore été établie. L’idée d’une infériorité « naturelle » des noirs n’a commencé à être diffusée, et d’abord en Amérique, qu’à partir du XVIIe siècle, après plusieurs révoltes ayant vu les esclaves noirs s’allier aux blancs pauvres, exploités eux aussi par les grands propriétaires coloniaux. L’objectif était clair : diviser les exploités, les monter les uns contre les autres. Au passage, cela permettait de justifier l’esclavage et la déportation de millions d’êtres humains.
Le même argumentaire fut à nouveau utilisé pendant la colonisation, à partir du XIXe siècle. Si les puissances européennes se ruaient à la conquête de l’Afrique et de l’Asie, ce n’était pas, officiellement, pour conquérir de nouveaux marchés et sources de matières premières – non : c’était pour « apporter la civilisation » à des peuples « naturellement inférieurs » ! Le racisme fut alors poussé à un niveau de raffinement inédit, à la fois pour séparer les colons pauvres des colonisés, mais aussi ces derniers entre eux.
La « science » coloniale française affirmait la supériorité des Berbères sur les Arabes, tandis que le colonisateur belge expliquait que les Tutsi du Rwanda étaient plus « évolués » que leurs compatriotes Hutu. Cette méthode fut importée en métropole, où la bourgeoisie française se délecta des préjugés sur les Savoyards « naturellement stupides », du fait d’un « crétinisme alpin ». A chaque nouvelle vague d’immigration, le spectre du racisme s’étendait et frappait les Italiens « incestueux », les Polonais « alcooliques », les Arabes « voleurs » et les noirs « fainéants ».
Une plaie permanente
Dans tous ces exemples, le racisme vient de la classe dirigeante, qui impose des préjugés au reste de la société. A chaque fois, l’objectif est de diviser les travailleurs – et donc de faciliter leur exploitation. En montant les travailleurs les uns contre les autres, les capitalistes peuvent baisser les salaires, augmenter l’exploitation et espérer paralyser les luttes par une rivalité sans espoir entre salariés immigrés et autochtones. L’actuelle campagne raciste, en France, poursuit le même objectif, dans un contexte où la crise du capitalisme frappe durement les conditions de vie et de travail des salariés, sur fond de croissance massive du chômage et de la misère en général.
La propagande raciste n’a fait qu’empirer depuis la crise de 2008. Cela s’explique facilement, car à la base du racisme, il y a le manque. S’il y avait assez pour tous, il n’y aurait pas de base matérielle pour cette rivalité entre victimes du capital. Mais l’accaparement d’une part énorme des richesses par la bourgeoisie et l’incapacité du capitalisme à satisfaire les besoins élémentaires de la population créent une pénurie d’emplois, de logements, de conditions de vie décentes, etc. Le racisme permet alors à la classe dirigeante de trouver un bouc émissaire commode à cette pénurie dont elle est la première responsable.
Contrairement à ce que prétendent les théoriciens du « privilège blanc », le racisme n’apporte jamais rien de positif aux travailleurs « blancs ». C’est même le contraire. Il a été maintes fois démontré que plus l’oppression raciste est importante, dans une société, plus les inégalités entre les « blancs » le sont aussi. En d’autres termes, plus le racisme est puissant, plus les salariés – tous les salariés – souffrent. Par exemple, les bas salaires des minorités pèsent sur les salaires de tous, du fait de la concurrence entre travailleurs. Quant aux violences policières qui touchent les minorités ethniques ou religieuses, elles peuvent aussi bien s’appliquer aux travailleurs en lutte, quelle que soit leur couleur de peau, comme on a pu le voir lors des manifestations de ces dernières années.
La seule solution
La classe ouvrière n’est pas imperméable aux préjugés racistes. En temps normal, elle subit l’influence de toutes les idées que la bourgeoisie répand dans la société, et le racisme en fait partie, tout comme le sexisme ou l’homophobie. Aussi ces idées doivent-elles être fermement combattues au sein du mouvement ouvrier. Elles doivent en être consciemment extirpées, justement parce qu’elles ne peuvent que briser l’unité dont la classe ouvrière a besoin pour vaincre.
Cependant, le mouvement ouvrier ne doit pas se contenter de discours généraux contre le racisme. Le meilleur moyen de le combattre se trouve dans la lutte de classes elle-même. C’est dans son unité que la classe ouvrière trouve sa force, comme on peut l’observer dans n’importe quelle grève. S’ils veulent vaincre leur patron, les salariés ne doivent pas se laisser diviser suivant des lignes ethniques, de genre ou de religion. Ils ont besoin de la plus grande unité possible. La lutte pour la régularisation des travailleurs sans-papiers doit être au cœur de cette démarche.
L’unité forgée dans la lutte, contre un ennemi commun, est plus forte que toutes les lois hypocrites (« contre le racisme ») de la bourgeoisie. En luttant contre le patron ou l’Etat bourgeois, les travailleurs se rendent compte de la fausseté de tous les préjugés racistes que la bourgeoisie alimente. Dans toutes les révolutions à travers l’histoire, les divisions artificielles créées par les classes dominantes se sont effacées face à la division la plus fondamentale : la division de la société en classes sociales aux intérêts contradictoires.
Cette lutte unificatrice est un premier pas, mais elle ne suffira pas. En dernière analyse, le racisme repose sur une réalité matérielle : sous le capitalisme, il n’y a pas assez pour tous les travailleurs. Seul le socialisme, par la mise en commun des moyens de production et la planification consciente, démocratique, de l’économie, permettra de satisfaire les besoins de l’ensemble de l’humanité. Privé de base matérielle, confronté à l’unité forgée dans la lutte, le racisme commencera à disparaître en même temps que toutes les autres horreurs produites par le capitalisme. Très vite, il ne sera plus que le souvenir d’une époque barbare.