Donald Trump

Donald Trump a repris les rênes de la plus puissante nation impérialiste de l’histoire, alors que le capitalisme mondial est plongé dans de profondes turbulences. La pandémie de Covid, la guerre en Ukraine et le massacre génocidaire des Gazaouis – entre autres choses – ont bouleversé les relations internationales, dans un contexte où l’économie mondiale vacille au bord d’une nouvelle crise majeure.

Il peut parfois sembler difficile de trouver un sens rationnel aux déclarations de Trump, qui visent en partie à satisfaire les franges les plus radicalisées de sa base électorale. Néanmoins, pour reprendre les mots de Shakespeare, « sa folie ne manque pas de méthode ». Il est possible de déduire de ses dires et de ses actes les grandes lignes de sa politique étrangère, qui ne fait que défendre, plus explicitement que ses prédécesseurs, les intérêts prédateurs de la classe dirigeante américaine.

« La doctrine Donroe »

Après la chute de l’Union soviétique, au début des années 1990, les Etats-Unis ont adopté la doctrine « Wolfowitz », selon laquelle ils devaient utiliser tous les moyens possibles pour maintenir leur écrasante domination mondiale. De l’Irak à l’Afghanistan en passant par Haïti, la Yougoslavie ou encore l’Ukraine, des dizaines de pays dont les gouvernements résistaient aux diktats de Washington furent soumis à des sanctions économiques, des opérations de « changement de régime » ou des interventions militaires. Des millions de personnes ont péri sur l’autel de la domination incontestée de l’impérialisme américain.

Mais l’accumulation de défaites – notamment en Irak et en Afghanistan – a révélé que l’impérialisme américain avait atteint ses limites. Loin d’enrayer son déclin, les manœuvres désespérées d’Obama et de Biden, en Syrie et en Ukraine, n’ont fait que l’accélérer. De nouvelles puissances impérialistes sont apparues ou ont réémergé, en particulier la Chine et la Russie, qui sont désormais capables de contester la domination des Etats-Unis. Trump et ses conseillers semblent avoir pris acte du fait que l’impérialisme américain ne pouvait plus régner sans partage sur le globe. En conséquence, ils veulent concentrer l’essentiel de leurs efforts sur la sphère d’influence traditionnelle des Etats-Unis – le continent américain – et contre leur principal rival à l’échelle mondiale : la Chine.

A ses débuts, le jeune capitalisme américain avait adopté la « doctrine Monroe », nommée d’après le président James Monroe (au pouvoir de 1817 à 1825). Elle consistait à se tailler un vaste marché en chassant les puissances européennes des Amériques. Aujourd’hui, la « doctrine Donroe » (comme l’a qualifiée ironiquement le New York Post à partir du prénom de Donald Trump) vise à donner à l’impérialisme américain un contrôle beaucoup plus strict sur le continent – au détriment, en particulier, de la Chine, qui est devenue le premier partenaire commercial de tous les pays au sud du Rio Grande.

Trump a déclaré qu’il voulait reprendre le contrôle du Canal de Panama, renforcer drastiquement la frontière avec le Mexique, annexer le Groenland et faire du Canada « le 51e Etat » des Etats-Unis. Si, dans le cas du Canada, il a déclaré qu’il se limiterait à des mesures économiques, il a agité la menace d’une intervention militaire au Mexique – et même au Groenland, qui appartient pourtant au Danemark, un pays membre de l’OTAN !

Ces menaces doivent être relativisées. Par exemple, l’invasion du Groenland serait très risquée, non pas tant du point de vue militaire, mais parce qu’une telle agression contre un « allié » européen minerait le prestige et la crédibilité diplomatique des Etats-Unis. Ces menaces sont, pour partie, du bluff. Ce moyen de contraindre l’interlocuteur à négocier un compromis est l’une des tactiques préférées du président américain. Il y a eu recours à plusieurs reprises lors de son premier mandat – parfois avec succès, comme dans le cadre des négociations commerciales avec l’Union Européenne ; parfois sans succès, comme ce fut le cas avec sa tentative de parvenir à un accord avec la Corée du Nord.

Guerre commerciale

Les déclarations de Trump contre le Panama et le Mexique visent indirectement la Chine. Le canal de Panama est un point crucial dans les voies d’exportation de l’impérialisme chinois. Nombre d’entreprises chinoises ont investi au Mexique, ces dernières années, pour contourner les mesures protectionnistes visant la Chine mises en place depuis plus d’une décennie, et en particulier durant le premier mandat de Trump.

Passant de la parole aux actes, le 1er février, Trump a annoncé la mise en œuvre de nouvelles taxes douanières de 25 % sur toutes les marchandises provenant du Canada et du Mexique. Il a aussi décrété 10 % de taxes douanières contre les marchandises chinoises. Par ailleurs, la Poste américaine a annoncé mercredi 5 février qu’elle ne prendrait plus en charge les colis en provenance de la Chine, « jusqu’à nouvel ordre », avant de revenir sur cette décision le soir même. Si elle était adoptée, ne serait-ce que partiellement, une telle mesure serait un coup très sévère porté aux géants chinois de la vente par correspondance, comme Alibaba ou Temu.

Ces mesures protectionnistes font planer le risque d’une profonde crise économique au Canada, au Mexique, mais aussi aux Etats-Unis – et, par voie de conséquence, à l’échelle mondiale. La bourse de New York a d’ailleurs dévissé lourdement le 3 février, dans la foulée de toutes ces annonces.

Après avoir annoncé des représailles, le Canada et le Mexique ont accepté d’ouvrir des négociations avec les Etats-Unis. Trump y a consenti et a suspendu pour un mois les nouvelles taxes douanières. Quant au Panama, il vient d’annoncer qu’il ne renouvellerait pas certains contrats signés avec des entreprises chinoises.

De son côté, la Chine a réagi en déclarant qu’elle allait imposer des droits de douane de 15 % sur les importations de charbon et de gaz naturel liquéfié américains, ainsi que des taxes de 10 % sur le pétrole et plusieurs autres catégories de marchandises américaines. Pékin a aussi déposé plainte devant l’OMC et ouvert une enquête contre Google pour violation d’une loi chinoise contre les monopoles. Ce sont les premiers coups d’une intensification brutale de la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, qui pourrait être dévastatrice pour le capitalisme mondial.

Rivalités impérialistes dans l’Arctique

La convoitise de Trump vis-à-vis du Groenland reflète l’intérêt économique et stratégique croissant que le réchauffement climatique confère à l’Arctique. L’été, l’Océan polaire pourrait être libre de glace dès 2040. Cela ouvre la voie à l’exploitation des immenses ressources minérales et gazières de la région, ainsi qu’à la création de nouvelles routes commerciales. La Chine a d’ores et déjà prévu d’ajouter un tronçon polaire à ses « Nouvelles routes de la soie ». Cela permettrait de raccourcir le temps de transport des hydrocarbures entre la Mer du Nord et la Chine. La position géographique du Groenland en fait un point clé dans le « Grand jeu » des puissances impérialistes.

Face aux pressions de Trump, le Premier ministre danois a commencé par protester… tout en déclarant que son gouvernement reconnaissait que les Etats-Unis avaient des intérêts « légitimes » dans la région, et qu’il était prêt à « coopérer [pour] garantir que les ambitions américaines soient satisfaites ». En d’autres termes, malgré ses protestations de façade, le minuscule impérialisme danois est prêt à se soumettre aux exigences de Washington.

Les Etats-Unis et l’Union Européenne

L’intimidation du Danemark a donné le ton de ce qui attend les capitalistes européens. Pour les Etats-Unis, l’Europe a longtemps représenté un double intérêt : c’était à la fois un rempart contre l’Union soviétique (à travers l’OTAN) et un partenaire commercial important.

Mais si, désormais, les Etats-Unis se désengagent du continent européen pour concentrer leurs moyens contre la Chine, l’OTAN perd à leurs yeux beaucoup de son intérêt, et ce alors qu’ils assurent la plus grande part de ses dépenses et de son potentiel militaire. Lorsque Trump affirme que les Européens profitent gratuitement de la puissance militaire américaine, il ne fait qu’exprimer, à sa façon, le froid calcul des intérêts de l’impérialisme américain. Si ses exigences d’augmentation des budgets militaires des pays de l’OTAN à hauteur de 5 % de leur PIB ne sont pas satisfaites, Trump pourrait décider de se retirer de cette organisation. Cela reviendrait à laisser les Européens se débrouiller seuls face une Russie plus puissante qu’elle ne l’a jamais été depuis la chute de l’URSS.

En outre, les échanges commerciaux entre l’UE et les Etats-Unis sont déséquilibrés : l’Europe exporte largement plus de marchandises vers les Etats-Unis qu’elle n’en importe. Trump veut corriger ce déséquilibre. Lors de l’entrée en vigueur des taxes douanières contre le Canada et le Mexique, le président américain a affirmé que d’autres taxes étaient en préparation contre l’Union Européenne.

L’Europe est déjà profondément divisée sur toute une série de sujets, dont la guerre en Ukraine et la politique agricole. L’impérialisme américain entend bien en profiter. Les déclarations d’Elon Musk contre l’Union Européenne, et son appui à des partis européens d’extrême droite, vont dans le même sens : il s’agit d’accroître l’instabilité et les contradictions au sein de l’UE afin que les Etats-Unis négocient en position de force.

D’une manière générale, la politique de Trump augure des jours difficiles pour le capitalisme européen. Une flambée de la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis pousserait la Chine à déverser ses marchandises en Europe – au détriment des entreprises européennes – pour compenser ses pertes sur le marché américain. Tiraillée entre les intérêts de plus en plus contradictoires de ses différentes classes dirigeantes, et sous la pression d’impérialismes plus puissants, l’Union Européenne va être soumise à des tensions centrifuges croissantes.

L’ère de la révolution mondiale

Nous assistons à un retour brutal des confrontations ouvertes entre puissances impérialistes. Cela aura des conséquences bien plus profondes que Trump ne semble l’imaginer. Ses tentatives d’enrayer le déclin de l’impérialisme américain ne peuvent qu’accélérer la crise générale du capitalisme et intensifier la vague montante de la lutte des classes à l’échelle mondiale.

Le protectionnisme ne peut qu’accélérer la crise économique qui mûrit depuis des années. Des centaines de millions de personnes seront plongées dans la misère et la barbarie. Confrontée à la dégradation continue de ses conditions de vie, la classe ouvrière n’aura pas d’autre choix que de lutter. Des explosions révolutionnaires – comme celles auxquelles on a assisté l’an dernier au Bangladesh et au Kenya – vont se produire dans un pays après l’autre. Aux Etats-Unis, la classe ouvrière et la jeunesse se radicalisent à marche forcée, comme l’ont montré les centaines de milliers de réactions de soutien à l’assassinat d’un PDG du secteur de la santé. Trump et tous les dirigeants impérialistes de la planète sont assis sur un volcan.

Dans l’affrontement titanesque qui se prépare, la tâche des communistes sera de fournir aux travailleurs les méthodes et les idées nécessaires au renversement du capitalisme et à l’instauration d’une société socialiste. Ce sera le seul moyen d’en finir avec la barbarie et la décadence dans lesquelles le système capitaliste est en train de précipiter l’humanité.