La France compte 2 430 100 étudiants : un record. Les prévisions tablent sur de nouvelles augmentations dans les années à venir. Cela s’explique en partie par la dynamique démographique du pays, mais c’est loin d’être le seul facteur. Les longues études font office de dernier rempart contre le chômage. En outre les nouvelles générations sont de plus en plus nombreuses à avoir le Bac.
Il faut aussi noter la nécessité, pour le patronat, d’avoir des jeunes travailleurs formés. Depuis les années 70 et 80, les capitalistes ont eu de plus en plus besoin de salariés qualifiés, suite aux évolutions techniques dans l’industrie et à la forte croissance de l’économie de « service ». La forme change, mais les rapports d’exploitation au travail restent les mêmes. Le système éducatif n’a fait que s’adapter aux mutations du système économique.
Sous le capitalisme, la formation ne rime pas avec l’instruction, ni avec le développement d’un sens critique. Le but est d’acquérir des compétences précises pour un travail précis. La spécialisation du travail intellectuel aboutit à sa fragmentation, au détriment d’une vision d’ensemble.
La barrière des classes ne s’arrête pas aux portes des études supérieures. Des écoles de qualité, privées ou « publiques », sont réservées en pratique aux enfants des classes moyennes et de la bourgeoisie, tandis que les filières professionnelles et l’université publique accueillent les enfants de salariés destinés eux-mêmes au salariat. Le rallongement des études ne change donc pas les rapports fondamentaux entre les classes.
Parallèlement, au fur et à mesure de l’évolution économique du pays, le système d’éducation supérieure se transforme. Avec les crises successives, le système public, qui était le fruit de la pression exercée dans le passé par le mouvement ouvrier en faveur d’une éducation pour tous, est sacrifié au profit de la privatisation croissante des universités et des écoles supérieures.
Professionnalisation et privatisation
Depuis le début des années 2000, le nombre d’étudiants dans le privé a doublé par rapport à ceux du public. Pour étudier, il faut payer : voilà la logique capitaliste. On est bien loin de la société « méritocratique » et de « l’égalité des chances » que nous vantent la droite et les dirigeants du PS. Certes, l’éducation a toujours été au service de la classe dirigeante. Mais les quelques aspects « progressistes » de l’université publique sont en train de disparaître. Le désengagement de l’Etat et la privatisation de l’éducation supérieure accentuent de plus en plus les inégalités face aux études.
Le gouvernement prétend avoir trouvé l’une des causes du chômage dans le fait que… les étudiants sont mal formés ! Et pour remédier à ce faux problème, la classe dirigeante répond par de fausses solutions, en proposant toujours plus de stages, de mécanismes d’« insertion professionnelle », ainsi que des filières toujours plus liées aux entreprises. Bien sûr, cela n’arrête pas le chômage, dont la cause profonde est la crise du capitalisme. Par contre, cela détériore les conditions d’études, éloignant toujours plus l’université de l’idéal d’une éducation émancipatrice ouverte au plus grand nombre. La soumission de l’éducation supérieure au patronat en sort renforcée.
La privatisation entraîne le renforcement des logiques capitalistes dans l’université, notamment la concurrence entre étudiants (à travers la sélection) et les logiques de « rentabilité » des études. Le coût des études précarise une large partie des enfants de salariés. Mais cette logique de privatisation n’est pas propre au système français. Au Japon, le gouvernement a décidé de supprimer toutes les facs de sciences sociales, jugées « inutiles » pour l’économie du pays... En France, le gouvernement Hollande craint l’éclatement de mouvements étudiants d’ampleur et leurs conséquences sur le mouvement ouvrier. Aussi n’a-t-il mené que des réformes limitées (quoique réactionnaires). Pour l’instant. La situation au Japon – ou encore en Italie et en Grande-Bretagne – montre la voie aux capitalistes français.
Les enjeux du mouvement étudiant
Face aux attaques présentes et à venir, le mouvement étudiant ne doit pas seulement proposer une mobilisation seulement étudiante. Il doit se lier au mouvement ouvrier. Si le mouvement étudiant se coupe du mouvement ouvrier, il risque de se transformer, non en mouvement « autonome », mais en un mouvement corporatiste, déconnecté des réalités des étudiants salariés ou chômeurs (qui représentent une large partie des étudiants).
Certes, une partie des étudiants se radicalise, mais cette radicalisation ne vient souvent pas des études, mais de causes « annexes ». Car en pratique, ce qui tient beaucoup d’étudiants éloignés de l’éducation supérieure, ce ne sont pas les conditions d’études, mais bien les conditions générales de vie : coût des transports, des soins, du logement, de la nourriture, etc. C’est aussi contre cela qu’il faut se battre pour mobiliser dans un même combat les travailleurs et la masse des étudiants, qui souvent sont eux-mêmes salariés.