L’actuelle mobilisation de la jeunesse et des travailleurs contre la loi Travail provoque une certaine angoisse dans la classe dirigeante française. Le souvenir de la lutte contre le Contrat Première Embauche (CPE), en 2006, n’y est pas étranger. Il s’agit de la dernière grande victoire du mouvement ouvrier en France. La jeunesse y avait joué un rôle central. Quelles leçons le mouvement étudiant doit-il en tirer, dans sa lutte contre la loi El Khomri ?
Catalyseur
Le CPE était un faux CDI pour les moins de 26 ans, qui facilitait leur licenciement pendant les deux premières années. Du fait de la concurrence des salariés sur le marché du travail, ce contrat ultra-précaire aurait exercé une pression à la baisse sur les conditions de travail et le salaire de tous les travailleurs. Chirac et Villepin, alors au pouvoir, avaient le même objectif que Valls et Hollande aujourd’hui : accroître les marges des profits de leurs maîtres capitalistes, au détriment des salariés.
Le gouvernement de droite se heurta à la détermination sans faille du mouvement étudiant, qui fut rapidement rejoint par les syndicats de travailleurs. Après plusieurs manifestations de millions de personnes et le début de grèves spontanées dans un certain nombre d’entreprises, Chirac a suspendu « l’application » de la loi, pourtant votée au Parlement. La classe dirigeante reculait car elle redoutait le développement d’une crise pré-révolutionnaire.
Le chômage de masse et la précarité étaient déjà des fléaux bien connus. Les années précédant la lutte contre le CPE, de larges couches de la jeunesse et des travailleurs s’étaient déjà mobilisés contre la première contre-réforme Fillon sur les retraites (2003), la guerre impérialiste en Irak (2003) et le scandaleux projet de Constitution Européenne (2005). La révolte des banlieues, en octobre 2005, fut un autre signe avant-coureur de l’explosion sociale de 2006. Le CPE fut le catalyseur d’une colère accumulée pendant des années.
Démocratisation de la lutte
La force du mouvement étudiant contre le CPE résidait d’abord dans son organisation démocratique. Chaque jour, sur chaque fac mobilisée et occupée, des Assemblées Générales (AG) discutaient de l’évolution de la lutte, de ses mots d’ordre et des initiatives à prendre. Les étudiants votaient à main levée les décisions les plus importantes. Des « commissions » étaient chargées de travailler aux différents aspects de la mobilisation : réalisation de tracts et d’affiches, organisation de manifestations, animation des débats, lien avec le mouvement ouvrier, etc. La direction de l’UNEF – qui réclamait le retrait du CPE, mais dont beaucoup d’étudiants se méfiaient – n’avait pas le contrôle du mouvement. Une « coordination nationale étudiante » était élue et régulièrement renouvelée par les AG des différentes facs du pays. Elle contribua à donner à la mobilisation une cohérence nationale et une orientation radicale.
Le lien avec le mouvement ouvrier
L’autre élément décisif de la mobilisation étudiante de 2006 fut son impact sur le mouvement ouvrier et ses organisations. Ce fut la clé de son succès. La mobilisation massive et quotidienne des étudiants – et des lycéens – eut un impact majeur sur les bases syndicales. Cela contribua à pousser les directions syndicales à multiplier des « journées d’action » toujours plus rapprochées. Mais ce n’est pas tout. Au cours des dernières semaines du mouvement, les étudiants prenaient sans cesse des initiatives en direction des travailleurs : blocage de routes, de gares et autres services publics, etc. Cela favorisait l’éclatement de grèves « sauvages » des salariés.
Les directions confédérales ne contrôlaient pas ces initiatives. C’est précisément ce qui décida Chirac à reculer, car il redoutait le développement d’une grève illimitée échappant au contrôle des directions syndicales, comme ce fut le cas en Mai 68. Si la classe dirigeante a tellement peur des mobilisations de la jeunesse, c’est parce qu’elle sait d’expérience l’impact qu’elles peuvent avoir sur la classe ouvrière. Or, dès que celle-ci se met en mouvement de façon décisive, c’est tout l’édifice capitaliste qui est menacé. La même crainte agitait Sarkozy à l’automne 2010. Et c’est également le cauchemar de Hollande. Faisons en sorte qu’il devienne réalité !
Les limites du mouvement
Le recul du gouvernement désamorça le mouvement, qui reflua rapidement. Pourtant, de nombreux étudiants voulaient pousser l’avantage. L’émulation des débats dans des AG pleines à craquer avait permis leur éveil politique ; leur conscience de classe avait franchi une étape. Leurs revendications se sont étendues au refus de toute précarité et au rejet de toutes les contre-réformes adoptées par le gouvernement de droite. De nombreux étudiants remettaient en question la légitimité même du gouvernement et du système capitaliste qu’il défendait.
Cependant, les directions des syndicats ouvriers et de l’UNEF ne le voyaient pas de cet œil. Elles crièrent « victoire » et appelèrent implicitement à cesser le mouvement. Elles ne mobilisèrent plus. Les partis de gauche firent de même. Pour bien des étudiants radicalisés par cette immense lutte, ce fut une déception, car ils considéraient – à juste titre – que le mouvement pouvait aller plus loin, au moins jusqu’à la chute du gouvernement. Ils prenaient alors conscience des limites des directions politiques et syndicales du mouvement ouvrier.
Dix ans plus tard, ce problème demeure entier. C’est pourquoi il est urgent de construire – en lien avec le mouvement des masses – une direction révolutionnaire déterminée à mobiliser la jeunesse et les travailleurs jusqu’à la « victoire finale », c’est-à-dire jusqu’au renversement du système capitaliste. On ne pourra pas en finir avec les CPE, les lois Travail et autres attaques contre nos conditions de vie sans en finir avec le capitalisme lui-même. Pour nous aider dans ce combat, rejoins Révolution !