Les jeunes sont les premières victimes de la crise du capitalisme. Ces dernières années, leurs conditions de vie et d’études n’ont cessé de régresser. Leurs perspectives sont assombries par le chômage et les boulots précaires, mal payés. Leur colère s’est cristallisée sur le projet de loi El Khomri. Beaucoup d’étudiants y ont vu une tentative de graver dans le marbre de la loi une réalité intolérable que de nombreux jeunes connaissent déjà. Relayés par les youtubers d’#onvautmieuxqueça, les témoignages de jeunes surexploités abondent en ce sens.
La radicalité du mouvement de la jeunesse s’est exprimée avec force lors des nombreuses manifestations. La nécessité de se lier aux organisations de travailleurs s’est imposée naturellement. Par leurs actions de « blocage économique », les jeunes montrent qu’ils sont conscients qu’il faut toucher au portefeuille de l’Etat et des capitalistes. Beaucoup d’étudiants et de lycéens participent également aux Nuits Debout. Lors des Assemblées Générales (AG), sur les places des villes comme dans les universités et les lycées, ils disent leur aspiration à une autre société.
Malgré l’ampleur de la contestation, le gouvernement tient bon, alliant fausse ouverture au dialogue et violente répression policière. Quelles sont les tâches du mouvement étudiant et lycéen pour vaincre la loi Travail et « son monde » ?
Démocratie et radicalisation
Le mouvement étudiant a gardé ses bons réflexes. Dès le début de la mobilisation, les étudiants ont organisé des AG et une coordination nationale de celles-ci – comme lors de la lutte victorieuse contre le CPE, en 2006. Les étudiants débattent et votent les décisions les plus importantes, puis s’organisent en comités de mobilisation pour faire appliquer les décisions votées en AG, produire des analyses sur la loi Travail, fabriquer des banderoles, élaborer des mots d’ordre, etc. Ces méthodes de lutte permettent de démocratiser et, dans le même temps, de radicaliser le mouvement, car il se fixe alors d’autres objectifs que le retrait de la loi El Khomri.
En conséquence, une forte pression s’est exercée sur les grandes organisations étudiantes. Si l’Unef s’est montrée ouverte à des « négociations » avec le gouvernement (qui a lâché quelques miettes dans l’espoir de nous diviser), sa direction ne peut céder sur la revendication principale du retrait de la loi Travail, sous peine d’être définitivement discréditée. D’ailleurs, l’intersyndicale des organisations de jeunesse est passée au second plan. Dans les AG, les étudiants développent des revendications radicales : solidarité avec les travailleurs en lutte, contre la répression syndicale, levée de l’état d’urgence, un CDI pour tous...
Ce décalage s’est manifesté clairement lors des réunions de la Coordination Nationale Etudiante (CNE). Constituée de plusieurs centaines de délégués élus par les AG, elle s’est réunie à Saint-Denis, puis à Nanterre, pour décider des suites de la mobilisation et arrêter une plateforme revendicative. J’y étais élu par l’AG de Nanterre. Dès que l’influence de l’Unef a reculé dans la CNE, elle a cessé d’y participer.
Bien que plus spontané, le mouvement lycéen a lui aussi cherché à adopter ces méthodes démocratiques. La jeunesse a compris la nécessité d’organiser la lutte de manière à la fois démocratique et centralisée. C’est un acquis important.
« Récupération » ou politisation du mouvement ?
Cependant, des limites sont apparues dans l’organisation et l’orientation politique du mouvement étudiant. Après l’explosion initiale, la participation aux AG a eu tendance à se regrouper autour des noyaux les plus militants – anciens et nouveaux. Les débats ont commencé à se dépolitiser et à se cantonner à des questions pratiques, au fonctionnement interne, aux actions concrètes... Dès lors, de nombreux étudiants ont préféré investir les Nuit Debout. Ces espaces de discussion sur les perspectives d’une « autre société » ont donné un second souffle au mouvement.
Par ailleurs, beaucoup d’étudiants expriment leur crainte d’une « récupération politique », désignant par ces termes l’opportunisme et les trahisons de politiciens professionnels dont ils se méfient à juste titre. Mais pour vaincre, la mobilisation doit bel et bien se politiser. C’est précisément dans sa capacité à offrir une contestation généralisée du « système » que réside la force du mouvement de la jeunesse – et les craintes de la classe dirigeante. Comment expliquer autrement la répression ciblée des lycéens et étudiants par les forces de police aux ordres du gouvernement ? Par sa disponibilité et sa radicalité, le mouvement étudiant et lycéen peut être l’étincelle qui met le feu aux poudres, comme en Mai 68.
Il revient au mouvement ouvrier d’organiser plus fermement la protection des jeunes victimes de ces violences policières. Mais les salariés sont surtout les seuls à pouvoir réellement bloquer l’économie. Une grève reconductible ferait rapidement émerger d’autres revendications que le seul retrait de la loi Travail. Et elle finirait par poser la question centrale : celle du pouvoir.