Début avril, la mobilisation des étudiants contre la loi ORE a connu un développement impressionnant. Il n’y avait pas eu de mouvement de cette ampleur, sur les facs, depuis la lutte victorieuse contre le CPE (Contrat Première Embauche), en 2006.
AG massives
Plusieurs facs ont organisé des AG massives : 1800 personnes à Nanterre ; plus de 1000 à Tolbiac, Montpellier et Toulouse ; plus de 4000 à Rennes 2 ! Mais la mobilisation n’a pas seulement touché ces facs aux traditions militantes solides. Des universités plus petites, ou habituellement peu mobilisées, sont entrées massivement dans le mouvement, par exemple Limoges, Strasbourg ou Paris 3. Souvent, le personnel enseignant et administratif s’est impliqué dans la lutte.
Certes, à ce jour (25 avril), le mouvement ne touche pas l’ensemble des universités du pays. Et les facs mobilisées le sont à des degrés divers : AG plus ou moins nombreuses, blocage partiel ou total, occupation partielle ou totale, etc. Reste qu’une large couche d’étudiants est entrée dans l’action. Clairement, les étudiants sont bien plus mobilisés que lors de la lutte contre la loi Travail, en 2016.
Coordinations nationales
Trois Coordinations nationales étudiantes (CNE) se sont tenues depuis le début du mouvement, réunissant des délégations d’une trentaine d’universités mobilisées. C’est l’une des forces traditionnelles du mouvement étudiant, en France, que de se doter d’une expression centralisée à l’échelle nationale, à partir des AG. Cependant, les CNE ont perdu trop de temps dans de longs débats sur les « modalités de vote » et autres questions formelles, au détriment de discussions de fond visant à doter le mouvement d’une stratégie nationale et offensive, en lien avec les mobilisations du mouvement ouvrier.
De manière générale, le mouvement étudiant déborde largement ses organisations. L’Unef est en crise et largement décrédibilisée (non sans raison). La France insoumise a du mal à structurer son action au niveau national. Face à ce vide politique, les tendances plus ou moins anarchistes occupent le terrain, au risque de couper les étudiants mobilisés de ceux qui ne le sont pas encore. Les blocages et les occupations sont trop souvent perçus comme des fins en soi, alors qu’ils doivent être des moyens de politiser et renforcer la lutte.
Politisation
Ceci dit, les débats en CNE et en AG permettent aux étudiants de se politiser et de radicaliser leurs revendications, comme leurs modalités d’action. De fait, la mobilisation étudiante découle non seulement de l’opposition à la loi ORE, mais aussi de l’opposition aux projets de fusion entre universités (comme à Toulouse) ou encore à la dégradation systématique des conditions d’étude (sélection en master, budgets insuffisants, suppressions de postes...).
Au-delà des conditions d’étude, beaucoup d’étudiants ont bien compris que la loi ORE s’insère dans un ensemble d’attaques contre les droits des travailleurs, dont ils se sentent solidaires. Dans sa déclaration finale, la CNE des 22 et 23 avril, à Saint-Denis, « affirme son soutien sans faille à tous les secteurs en lutte et à leurs revendications contre les mesures antisociales du gouvernement Macron : contre la casse des services publics, la précarisation générale du monde du travail et toutes les lois racistes et xénophobes ».
Répression
Pour le gouvernement, le mouvement étudiant est une menace sérieuse. Le spectre de Mai 68 hante toujours la classe dirigeante. Elle craint que la lutte des étudiants, par son caractère incontrôlable, ouvre une brèche dans laquelle s’engouffre l’ensemble du monde du travail.
La répression policière – ou les agressions fascistes – contre les occupations à Nanterre, Tolbiac ou encore Montpellier, reflète bien le dilemme qui est posé au gouvernement : laisser faire en espérant que le mouvement s’essouffle de lui-même – ou, à l’inverse, frapper fort dès le début, au risque de radicaliser davantage les étudiants. Macron a choisi la deuxième option. La brutalité de la répression a eu pour effet de renforcer la mobilisation, notamment à Nanterre et Montpellier.
Perspectives
Depuis le début du mois d’avril, les cheminots et les étudiants sont les deux secteurs les plus mobilisés. Mais le gouvernement est déterminé à ne rien céder – ni aux étudiants, ni aux cheminots – tant que le mouvement ne s’étendra pas à d’autres secteurs. Les étudiants les plus conscients l’ont bien compris et critiquent souvent le calendrier dispersé des directions syndicales. En cela réside l’un des rôles positifs du mouvement étudiant : il critique le conservatisme des sommets syndicaux. Dans sa déclaration finale, la dernière CNE a insisté sur cette idée essentielle, qui émerge dans de nombreuses AG : « la nécessité d’une grève générale reconductible pour faire plier le gouvernement ».
Pour que la mobilisation étudiante se renforce encore, courant mai, il faudra sans doute qu’elle trouve de nouveaux appuis dans le monde du travail. Elle doit donc rechercher ces appuis, développer ses liens avec les salariés en lutte – et les encourager par sa propre radicalité.