La France et l’Europe vivent l’une des plus importantes révoltes agricoles des dernières décennies. Le climat de tension dans lequel s’est ouvert le Salon de l’Agriculture, fin février, a souligné que les multiples annonces de Gabriel Attal n’ont pas répondu aux attentes et aux souffrances des couches les plus pauvres de la paysannerie.
La masse des petits agriculteurs est écrasée par l’agro-industrie, la grande distribution et les banques. Elle est exposée à la concurrence internationale et aux aléas du changement climatique, lésée par un système de subventions qui favorise les plus gros exploitants, confrontée à une double inflation : celle des frais de production et celle des biens de consommation courante. Pour ne rien arranger, l’entrée massive de denrées ukrainiennes sur les marchés européens a fait chuter divers prix agricoles.
Le gouvernement des riches
Le 1er février, Gabriel Attal déclarait : « Notre exception agricole française, ce n’est pas une question de budget, mais de fierté et d’identité ». C’est une rhétorique bien connue des travailleurs de la Fonction publique – et qui signifie : « débrouillez-vous ! ». La « fierté » et « l’identité » remplacent les solutions concrètes. Ceci ne pouvait pas convaincre les nombreux agriculteurs qui vivent sous le seuil de pauvreté – ni ceux qui vivent à peine au-dessus, malgré des 50 à 70 heures de travail hebdomadaires.
Ce gouvernement est organiquement incapable de résoudre la crise agricole. Et pour cause : Macron et sa clique travaillent pour le compte des gros capitalistes, des banques, de la grande distribution et des géants de l’agro-alimentaire, c’est-à-dire pour ceux-là mêmes qui écrasent les petits agriculteurs. Parmi les mesures annoncées par le gouvernement figurent la suspension du plan « Ecophyto » (censé réduire l’utilisation des pesticides) et l’abrogation des « chartes de voisinage » (qui limitent les épandages à proximité des habitations et des écoles). Ces deux mesures sont conformes aux intérêts des plus gros producteurs, mais ne règleront rien aux problèmes des plus petits.
Le RN, bien sûr, en rajoute dans la rhétorique nationaliste. Dans une lettre ouverte aux agriculteurs, Jordan Bardella propose « une grande loi “Mangeons français !” de patriotisme économique », qui fixerait l’objectif d’atteindre 80 % de produits agricoles français dans les cantines scolaires. Autrement dit, le dirigeant du RN évite soigneusement de pointer la responsabilité des grands capitalistes qui dominent ce secteur. C’est que le RN, comme le gouvernement, roule pour la classe dirigeante.
En ce qui concerne les dirigeants de la gauche réformiste, FI en tête, ils dénoncent le rôle des gros bonnets de l’agro-industrie et de la grande distribution, dont les marges ont nettement augmenté pendant que les petits agriculteurs s’enfonçaient dans la misère. Mais pour le reste, les dirigeants réformistes placent tous leurs espoirs dans des mesures telles que les « prix planchers » payés aux agriculteurs par l’agro-industrie et la grande distribution. Problème (parmi d’autres) : dans une économie de marché ouverte aux quatre vents de la production mondiale, ces « prix planchers » pousseront les gros acteurs à se tourner vers la concurrence internationale. Au passage, le caractère illusoire de cette mesure est aussi démontré par le fait que Macron lui-même s’est « engagé » à la mettre en œuvre !
Agriculture et révolution
Le révolutionnaire Léon Trotsky soulignait qu’« on ne peut pas aider les paysans sans porter atteinte aux intérêts du grand capital ». C’est le fond du problème. La crise agricole ne peut être résolue que sur la base d’un programme d’expropriation et de nationalisation – sous le contrôle démocratique des travailleurs – des banques, de la grande distribution et des géants de l’agro-alimentaire. Or ceci, à son tour, suppose un gouvernement ouvrier, un gouvernement des travailleurs. Ce dernier garantirait aux petits paysans des conditions de crédit, de production et de débouchés leur permettant de vivre dignement de leur travail. Dans le même temps, un gouvernement ouvrier donnerait aux petits exploitants tous les moyens de se regrouper en coopératives agricoles. Ce serait une étape dans la généralisation de l’agriculture collectivisée, qui démontrera sa supériorité sur la petite production privée.
Tel est le programme et la perspective que défendent les sections de la Tendance Marxiste Internationale en Allemagne, en Pologne, en Italie, aux Pays-Bas, en Espagne et en Belgique, où des mobilisations de paysans ont éclaté. Les petits agriculteurs ne peuvent pas s’en sortir seuls. Ils doivent s’allier aux salariés des villes et des campagnes. Le problème, c’est que les dirigeants officiels de la classe ouvrière s’arrêtent, pétrifiés, devant la grande propriété capitaliste, qu’ils n’osent pas toucher.
La lutte des paysans pauvres est donc indissociable, au fond, de la lutte pour doter la classe ouvrière d’une direction déterminée à en finir avec le système capitaliste. Dans l’immédiat, des millions de travailleurs ont pris note des méthodes combatives des paysans, qui ont immédiatement jeté le gouvernement Macron sur la défensive. Cette leçon ne sera pas perdue pour tout le monde !