Depuis la victoire électorale de Donald Trump, de nombreux commentateurs se perdent en conjectures sur l’avenir des relations internationales aux plans économique, diplomatique et militaire. Une question domine leurs hypothèses : le prochain président des Etats-Unis fera-t-il ce qu’il a annoncé pendant sa campagne électorale ? Et sinon, quelle quantité d’eau versera-t-il dans son mauvais vin ?
Les principales inquiétudes des impérialistes occidentaux – y compris la majorité de la bourgeoisie américaine, qui a fait campagne contre Trump – portent sur le commerce mondial, la guerre en Ukraine, l’escalade militaire au Moyen-Orient et les relations avec l’impérialisme chinois.
Non que, dans ces domaines, Joe Biden ait mené une politique particulièrement habile, intelligente, prudente et, au total, conforme aux intérêts à long terme des impérialistes occidentaux. Par exemple, c’est son administration qui, en 2021, a décidé de maintenir coûte que coûte le projet d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, malgré les avertissements très clairs de Vladimir Poutine. C’est la même administration qui, une fois l’invasion russe engagée, a nourri le vain espoir d’affaiblir la Russie en jetant des centaines de milliards de dollars dans cette guerre, quitte à la mener jusqu’à la dernière goutte de sang… ukrainien. Résultat : l’impérialisme américain doit désormais faire face à l’inévitable humiliation d’une victoire russe.
C’est le même duo Biden-Harris qui a fermement soutenu – politiquement, financièrement et militairement – le génocide des Gazaouis perpétré par l’Etat israélien, puis le bombardement et l’invasion du Liban, au risque d’étendre la guerre à l’ensemble du Moyen-Orient et de détruire le fragile équilibre de cette région. Là aussi, ce n’est pas conforme aux intérêts à long terme des impérialistes occidentaux.
En bref, on ne peut pas dire que l’administration Biden ait brillé par la profondeur stratégique de ses décisions criminelles. Mais il est clair que le retour de Trump à la Maison-Blanche ajoute à la situation internationale un élément supplémentaire d’incertitude qui tient à la personnalité et aux méthodes singulières du 47e président des Etats-Unis. L’éléphant s’apprête à revenir dans le magasin de porcelaine, où il pourra donner libre cours à sa « diplomatie » empirique et pragmatique de businessman – faite de bravades, d’humiliations grossières et de « deals » aussi bruyants que fragiles.
La stabilité du capitalisme mondial n’en sortira pas renforcée. Cependant, les éditorialistes bourgeois qui le déplorent oublient souvent l’essentiel : c’est précisément la crise organique du capitalisme, aux Etats-Unis comme ailleurs, qui a créé les conditions de l’ascension de Donald Trump et d’un certain nombre de politiciens « populistes » du même genre, aux quatre coins du monde.
L’ascension du RN
Nous connaîtrons bientôt les conséquences concrètes de la victoire de Trump sur l’évolution des relations internationales. Mais nous pouvons d’ores et déjà en tirer de précieuses leçons pour l’analyse de la situation politique en France.
Les dirigeants de la France insoumise l’ont immédiatement souligné, à juste titre : si Trump l’a emporté, c’est parce que Kamala Harris et les Démocrates ne constituaient pas une alternative de gauche à sa démagogie populiste. De fait, les Démocrates sont perçus par de très nombreux travailleurs américains comme un parti de « l’establishment », c’est-à-dire comme l’instrument politique d’une toute petite couche d’Américains privilégiés et indifférents aux souffrances du peuple. Or c’est bien ce que sont les Démocrates : un parti bourgeois.
Certes, le Parti républicain ne l’est pas moins. Trump lui-même est un milliardaire et un ennemi du mouvement ouvrier. Mais il a su exploiter à son profit le puissant rejet des politiciens démocrates dans de larges fractions de la classe ouvrière américaine – y compris parmi les femmes, les noirs et les latinos, au grand étonnement des « libéraux » sans cervelle. Il a notamment fustigé la politique économique de Biden, dont le mandat a été marqué par la grave crise inflationniste qui a frappé de plein fouet la masse des Américains.
Combinée à une démagogie raciste et sécuritaire, la propagande « anti-système » de Trump lui a permis de rallier non seulement de larges fractions de la petite-bourgeoisie réactionnaire, mais aussi des dizaines de millions de travailleurs ulcérés par la dégradation constante de leurs conditions de vie et par les promesses creuses, jamais tenues, des dirigeants démocrates.
En France, l’ascension du Rassemblement National relève du même processus fondamental : celui d’une polarisation politique croissante, sur fond de crise économique et sociale, dont Marine Le Pen et ses sbires profitent d’autant plus que « la gauche » déçoit systématiquement la masse des travailleurs.
Au fil des décennies, le RN a bénéficié des trahisons et capitulations successives des gouvernements Mitterrand, Jospin et Hollande. A partir de 2016, la FI a proclamé sa volonté de rompre radicalement avec les politiques d’austérité – et, ce faisant, a ouvert la possibilité de briser l’ascension du RN. Mais, très vite, les dirigeants de la FI ont eux-mêmes miné le potentiel de leur mouvement en virant à droite, jusqu’à reconstituer l’unité formelle avec la « vieille gauche » discréditée, sous la forme de la Nupes et du NFP. A l’époque, nous insistions sur le fait que cela profiterait au RN. Les élections législatives de juin dernier l’ont confirmé : le RN y a recueilli deux fois plus de voix qu’en juin 2022.
Lutte des classes
Il est vrai qu’il y a des différences non négligeables entre les situations politiques française et américaine. Par exemple, il n’y a pas aux Etats-Unis l’équivalent de la FI, laquelle conserve – malgré tout – une base de masse. Ceci complique un peu l’équation des chefs du RN. En particulier, un sérieux virage à gauche de la FI minerait le potentiel du parti de Marine Le Pen. Il en irait de même, d’ailleurs, si la direction de la CGT jetait toutes les forces de cette organisation dans une lutte sérieuse contre le gouvernement Barnier et la classe dirigeante.
Cependant, il faut bien constater que ni la FI, ni la CGT – sans parler du reste de « la gauche » et du mouvement syndical – ne s’orientent dans cette voie, à ce stade.
Au lieu d’expliquer aux jeunes et aux travailleurs que seules de puissantes mobilisations sociales pourront faire échec à la politique réactionnaire du gouvernement Barnier, les dirigeants de la FI s’enferment dans un Palais Bourbon à moitié déserté, y mènent la « lutte » contre le grand Capital à coups d’amendements mort-nés, célèbrent chaque jour des « victoires » fictives – bref, se livrent une fois de plus aux joies stériles du « crétinisme parlementaire », selon la formule de Friedrich Engels.
Il est vrai que les députés de la FI s’efforcent, au passage, de démasquer les contradictions et l’hypocrisie des députés du RN. Mais il ne faut pas surestimer la portée de ces joutes et manœuvres parlementaires, dont le détail n’intéresse pas la masse des travailleurs, en ce moment.
Par exemple, ce que votent et ne votent pas la FI ou le RN, à l’Assemblée nationale, n’est pas la préoccupation centrale des salariés qui sont menacés par l’actuelle vague de fermetures et de licenciements, dont l’ampleur pourrait concerner près de 200 000 emplois, selon diverses estimations. Ce n’est pas un amendement du groupe parlementaire de la FI qui va régler leur problème.
Il ne sera pas davantage réglé par l’appel platonique de Sophie Binet (CGT) à un « moratoire sur les licenciements », à des « assises de l’industrie » et au « conditionnement des aides publiques aux entreprises ».
Contre le saccage de l’économie et de l’emploi par une bourgeoisie assoiffée de profits et gavée de subventions publiques, il faut lutter pour l’occupation et l’expropriation, sous le contrôle des travailleurs, des entreprises qui ferment ou licencient. Cette revendication devrait occuper une place centrale dans la préparation systématique d’un vaste mouvement social, sous la forme de grèves reconductibles, contre l’ensemble de la politique réactionnaire du gouvernement et de la bourgeoisie. Alors, les « trumpistes » français – le RN et ses alliés – ne seraient pas seulement démasqués ; ils seraient aussi marginalisés par le développement de la lutte des classes, qu’ils craignent comme les vampires redoutent la lumière.
Sommaire
Une leçon américaine - Editio du n°85
Succès de nos écoles communistes
Participe au congrès fondateur du Parti Communiste Révolutionnaire !
Production du Doliprane : nationalisation de l’industrie pharmaceutique !
Face à la vague de licenciements : passer à l’offensive !
La lutte contre la vie chère en Martinique
L’industrie de l’armement et la crise de l’impérialisme français
Les « viols de Mazan » et l’oppression des femmes
Inondations en Espagne : les profits avant les vies humaines
Election de Trump : une humiliation pour l’establishment bourgeois
Escalade militaire : les impérialistes américains sont-ils devenus fous ?
Les Graines du Figuier Sauvage : la révolution iranienne sur grand écran
Le programme du Parti Communiste Révolutionnaire - Extraits
« Le capitalisme a beaucoup changé, depuis Marx… »