La manifestation nationale du 27 mai 2000 en faveur de l’extension du droit de vote aux personnes n’ayant pas la nationalité française a été un succès. La lutte doit maintenant continuer jusqu’à ce que ce droit démocratique élémentaire soit enfin arraché. On ne peut plus tolérer le maintien de cette discrimination "nationale" flagrante qui a pour effet d’exclure une partie importante de la population du suffrage.
On ne s’étonnera pas de l’hostilité des partis de droite à l’extension du droit de vote et d’éligibilité. Mais, à vrai dire, les directions du Parti Socialiste et du Parti Communiste n’ont jamais fait preuve de la moindre combativité sur cette question. Divers sondages réalisés dernièrement ont enregistré entre 52% et 58% des personnes interrogées se disant favorable au droit de vote des étrangers. Parmi les jeunes, le chiffre s’élève à 73%. Ces résultats sont importants, car ils enlèvent une excuse maintes fois évoquée par les dirigeants des partis de gauche, selon laquelle leur inaction se justifie par le fait que "l’opinion publique n’est pas prête".
Le projet initial des Verts était déjà d’une portée très limitée. Il proposait d’accorder le droit de vote aux étrangers pour les seules élections municipales, cantonales et régionales. Ensuite, sous la pression de l’appareil du PS, la proposition a subi des amendements encore plus restrictifs, limitant le principe du droit de vote des étrangers aux seules élections municipales.
Pire encore, au niveau du gouvernement, des prétextes "constitutionnels" sont mis en avant pour que même ce projet édulcoré reste sans suite.
Lionel Jospin et François Hollande soutiennent, en substance, que ce n’est pas la peine d’aller plus loin que le débat à l’Assemblée nationale du 2 mai dernier, puisque de toute façon le Sénat n’approuverait pas un projet de loi modifiant la Constitution. Ce n’est pas l’esprit combatif dont la gauche a besoin de la part de ses dirigeants !
Si, au lieu de chercher des prétextes à l’inaction, les dirigeants des partis de gauche se plaçaient à la tête d’une campagne vigoureuse d’envergure nationale, organisant des meetings et des manifestations pour mobiliser la population en faveur du droit de vote, il est fort possible que même le Sénat se sentirait obligé d’en tenir compte. Et dans le cas contraire, c’est l’abolition du Sénat qu’il faudrait mettre à l’ordre du jour.
Le Sénat est une institution qui est tout sauf démocratique. Les sénateurs sont élus pour neuf ans, par tranche d’un tiers tous les trois ans, et par un mini-électorat de soi-disant "grands électeurs". Ce mécanisme électoral vicié a été conçu précisément pour que le Sénat reste à l’abri des mouvements d’humeur de la population et pour qu’il serve de contre-poids réactionnaire à l’Assemblée nationale. Le Sénat assure à peu près la même fonction en France que la Chambre des Lords en Grande-Bretagne. S’il faut choisir entre le maintien de cette lamentable institution et les droits démocratiques élémentaires d’une partie significative de la jeunesse et du salariat, le choix est vite fait.
On s’emploie aussi à mettre en avant l’argument du "chiffon rouge" : toute tentative d’accorder le droit de vote aux étrangers ferait le lit du racisme. Cet argument, repris par Jospin lui-même, est inacceptable. On ne se bat pas contre le racisme en lui faisant des concessions. Pour commencer, si les étrangers avaient eu le droit de vote, le FN n’aurait jamais obtenu les scores élevés qu’il a parfois réalisé dans des circonscriptions à forte concentration d’étrangers. Il est arrivé souvent que des campagnes électorales se fassent sur le thème de l’immigration, et les seuls qui ne peuvent faire peser leurs voix sont les premiers concernés, à savoir les "immigrés" eux-mêmes. Ceci est intolérable. En Grande-Bretagne, les populations venus du Pakistan, de l’Inde ou de Jamaïque votent dans toutes les élections au bout de six mois de résidence. Pourquoi les populations étrangères en France n’auraient-elles pas de droits équivalents ?
Le fond du problème, c’est que la classe dirigeante et les partis de droite craignent le vote des étrangers. Et pour cause ! Pendant des décennies, cette population a été "importée" quand cela convenait aux patrons ou lorsque les chefs militaires manquaient de "chair à canon", puis stigmatisée en bouc émissaire et refoulée hors des frontières quand le capitalisme français n’en avait plus besoin. De manière générale, ce sont les "immigrés" qui ont subi les plus mauvaises conditions de travail, les plus basses rémunérations, qui ont été les plus mal lotis en matière de santé et de logement, tout en ayant à supporter des provocations racistes et une série de lois discriminatoires, dont par exemple celle concernant la "double peine", scandaleusement maintenue par le gouvernement actuel.
Le droit de vote en soi ne changera pas énormément de choses, mais il servira à renforcer la lutte contre de telles injustices, et renforcera du coup le rang de tous ceux qui aspirent à un changement. De nombreuses organisations politiques, syndicales et associatives, dont La Riposte, se sont regroupées notamment dans le collectif Même sol, mêmes droits, même voix.
Malheureusement, la plupart de ces organisations limitent leurs revendications au droit de vote pour les seules élections municipales. De cette façon, elles admettent tacitement le bien-fondé d’une certaine discrimination entre français et non français, et cède ainsi un point à ceux qui s’opposent complètement au droit de vote, y compris aux municipales. Pourquoi donner le droit de vote et d’éligibilité aux municipales et non pas aux législatives et aux présidentielles ? Les travailleurs et les jeunes concernés ne subissent-ils pas les conséquences des lois et de la politique des gouvernements, y compris des mesures racistes et discriminatoires ? Ne sont-ils pas imposables au même titre que tout le monde ? Si on a le droit d’être exploité en France, d’être mal payé et mal logé en France, d’être licencié en France, alors on doit aussi avoir le droit de voter en France, et ceci dans tous les scrutins et quelle que soit sa nationalité.
Pour La Riposte, le droit de vote n’est pas une question de nationalité. Il s’agit surtout d’une arme supplémentaire dans la lutte contre l’exploitation et les inégalités engendrées par le capitalisme, au même titre que d’autres droits démocratiques comme par exemple les droits syndicaux.
Nous devons lutter pour mettre fin à toutes les discriminations et pour obtenir le droit de vote et d’éligibilité dans tous les scrutins pour toutes les personnes majeures pouvant justifier plus de six mois de résidence en France. Au lieu de tergiverser, Jospin et la direction du Parti Socialiste devraient immédiatement présenter un projet de loi en ce sens, et en même temps mettre fin au scandale des "sans papiers" en régularisant la situation de tous les demandeurs.