Il revient, le printemps, et même en avance, car les expulsions ont pu reprendre dès le 15 mars, au lieu du 21, la date « légale ». Il n’y a vraiment plus de saisons ! Les locataires les plus pauvres voient donc fleurir, avec quelques jours d’avance, les ordres d’expulsions. Apparemment, passé le 15 mars, on ne peut plus souffrir d’hypothermie. La droite, qui aime tant les vieux adages, devrait pourtant savoir que jusqu’aux Saintes Glaces (du 11 au 13 mai), on n’est pas à l’abri du gel. Mais les vieux proverbes sont impuissants à améliorer la vie des locataires.
Chaque année, la Confédération Nationale du Logement (CNL), syndicat de locataires proche du PCF, organise à Moulins une rencontre avec la préfecture de l’Allier, afin de réclamer l’arrêt des expulsions. En effet, l’autorité du préfet est requise pour expulser manu-militari les « mauvais locataires ». Mais le préfet est aussi le relais du gouvernement dans le département. Or ce gouvernement, rappelons-le, vient de faire voter en grande pompe une loi sur le « droit opposable au logement ».
Pour la première fois, j’ai pu assister à l’entretien que « Monsieur le directeur de cabinet du préfet » a bien voulu accorder à la CNL, et je m’en vais vous en faire un petit compte-rendu.
Le directeur du préfet a bien entendu « pris note » des réclamations de la CNL, mais s’est refusé à donner le chiffre des demandes de recours à la force publique pour expulser des locataires. Il s’en est justifié en expliquant qu’il n’avait « pas eu le temps de consulter les dossiers ». Mais comme il s’est engagé à fournir les chiffres, nous veillerons à ce que ce soit fait.
Le directeur de cabinet a joué la comédie de la bonne conscience : « j’étudie chaque cas ». Il a même dit regretter le fait des expulsions, tout en expliquant qu’il ne pouvait pas refuser l’assistance de la force publique. Pourtant, il a reconnu que, parfois, il repoussait le recours. Mais, a-t-il soupiré, c’est alors l’Etat qui doit payer le bailleur.
On a répondu que la loi sur le « droit opposable » était supposée changer la donne. En effet, au nom de cette loi, si l’expulsé se retourne contre l’Etat, ce dernier devrait être condamné. On a donc fait remarquer au directeur qu’en refusant le recours à la force publique, on gagne une étape et, au passage, on évite un drame humain. Ce à quoi le directeur a répondu que les décrets d’application ne sont pas passés au Journal Officiel, et qu’il n’y avait donc rien de concret pour étayer nos hypothèses ! C’était une façon de reconnaître que la loi votée par l’UMP, sous la pression des « Don Quichotte », n’était qu’un écran de fumée et un somnifère.
En gros, cette rencontre n’a servi qu’a illustrer le double langage du gouvernement. A la télévision, c’est : « oui, il faut que tout le monde ait un toit » ; mais sous les alcôves des préfectures, c’est : « virez-moi ces gens-foutres ! »
Trop pauvre pour avoir un HLM
Nous avons également mis sur la table, lors de cette réunion, l’attitude scandaleuse de l’office HLM de l’Allier, qui a répondu défavorablement à la demande d’un F2 qu’avait déposée un RMIste. En effet, ce dernier s’est vu répondre, en substance : « vous n’avez pas droit à un logement car vous êtes trop pauvre ». C’est une honte ! L’office départemental est encore « public ». Mais que se passerait-il s’il devenait privé, comme le réclame sans cesse la droite ? Il faudrait, alors, justifier d’un « bon revenu » pour avoir droit à un HLM ? Mais où va-t-on ?
Le responsable local de la CNL a mis l’accent sur le fait que « Moulins Habitat » – ancien office public de la ville, devenu privé – ne voulait pas mettre en place une vraie commission des loyers impayés avec les représentants des locataires et des bailleurs. Or, cette commission pourrait éviter d’en arriver à l’irréparable. Mais apparemment, « Moulins Habitat » se soucie peu de ses locataires. Le directeur du préfet a « pris note » de nos demandes – et c’est tout.
Ce qui m’a surpris, sans vraiment m’étonner, c’est la capacité qu’ont ces hommes de pouvoirs à noyer le poisson. La CNL venait avec des réclamations exclusivement liées aux loyers et aux expulsions, mais le directeur a trouvé le moyen de nous parler longuement d’« insécurité ».
Le directeur de cabinet nous a également fait remarquer qu’il y avait eu « seulement » 10 000 recours à la force publique sur 100 000 jugements d’expulsion. Nous avons répondu que la CNL connaissait bien ce chiffre, et que l’écart entre les nombres de jugements et d’expulsions manu-militaris’explique par les pressions exercées sur les familles pour qu’elles quittent les lieux d’elles-mêmes. Ils utilisent le harcèlement et l’intimidation. Les locataires reçoivent des visites régulières d’huissiers, à coup de : « il faut partir, sinon la police va venir ». Même la police passe, pour une dernière tentative d’expulsion « pacifique ».
Ma conclusion de cette rencontre, c’est que même si l’administration est composée d’êtres humains avec une conscience, elle ne sert au final que les intérêts des riches et des puissants. Nous sommes bien dans un système où la classe possédante a tous les pouvoirs, alors que nous autres, salariés, nous n’avons que nos bras pour leur arracher nos moyens de subsistance. Mais un jour, ces bras se lèveront et refuseront de continuer à engraisser une infime partie de la société.