« Le succès est un état d'esprit. Si vous voulez réussir, commencez par penser à vous comme gagnant. » Ainsi les professionnels du « coaching » abordent-ils l’épanouissement personnel et la réussite professionnelle. En théorie, leur objectif est d’aider leurs clients à développer leurs compétences grâce à une approche comportementale. En pratique, leurs services sont surtout sollicités par des entreprises pour accroître la productivité des salariés et répondre à l’augmentation de la souffrance au travail. Pour s’assurer un retour sur investissement (le consultant étant payé en moyenne entre 300 et 500 euros de l’heure), les séances en entreprise sont bien souvent obligatoires. Devant un public captif, les coaches peuvent alors réciter leurs mantras, sortes de condensés de l’idéologie de la « start-up nation ».
Une question de volonté ?
« L'échec n’est qu’une opportunité de recommencer plus intelligemment » : cette phrase, qui peut sembler de bon sens au premier abord, claque pourtant comme une gifle et un déni de réalité pour une majorité de personnes. Car aucune « pensée positive » ne pourra combler le fossé entre les réelles opportunités d’un travailleur lambda et celles de l’auteur de cette citation : le grand capitaliste Henry Ford. Pour un salarié victime d’un plan social, l’échec est la promesse du chômage plus que l’ouverture de nouvelles « opportunités ». Quant à l’idée qu’avec un peu de bonne volonté le travail peut être un vecteur d’accomplissement personnel, elle sonne faux pour tous ceux qui voient leurs conditions de vie et de travail se dégrader.
D’après un sondage Odoxa datant de juin dernier, 28 % des français ont déjà fait une dépression. Les premiers facteurs évoqués sont liés au travail, qu’il s’agisse des conditions de travail (54 %) ou de la pression et des problèmes avec la hiérarchie (56 %). Cela s’explique par l’accentuation de l’exploitation dans les entreprises, qui cherchent à rester compétitives malgré la crise, au prix d'une intensification des rythmes et de la charge de travail. A cela s'ajoute la menace permanente du chômage. Les travailleurs sous pression se sentent d’autant plus aliénés, dépossédés du travail qu’ils effectuent. Cela renforce les sentiments d’isolement et d’insécurité. Selon une étude pour l’Observatoire du Stress au Travail [1], 24 % des salariés français présentent une forme aiguë de stress, ce qui multiplie les risques pour leur santé : accidents cardiovasculaires, épuisement professionnel (burn-out) ou dépression.
L'émergence des métiers du « développement personnel » est révélatrice du manque de solution dont dispose le capitalisme pour résoudre les maux qu’il engendre. Au lieu de considérer l’augmentation massive des burn-out et des dépressions liées au travail pour ce qu’elle est – un symptôme de la souffrance sociale –, les professionnels de la « psychologie positive » brassent de l’air. Ils prétendent pouvoir régler les problèmes de la société, un individu après l’autre, avec de la méditation et des « changements d’attitude ».
La « réussite » comme modèle
Cette idéologie est symptomatique du capitalisme en décadence, dans lequel le bonheur lui-même est devenu un business. Les standards de réussite personnelle s’affichent dans les médias de masse et sont relayés à travers les réseaux sociaux. L’objectif : « devenir acteur de sa vie ». Chacun s’approprie ainsi des idéaux inatteignables, parfois jusqu’à en devenir malade. Car, comme le résume la sociologue Eva Illouz, ce culte du bonheur a pour effet pervers de privatiser la souffrance sociale, de la réduire à une question personnelle.
En effet, si le bonheur n’est qu’une question de volonté et d’attitude face à la vie (« celui qui veut réussir trouve un moyen, celui qui ne veut rien faire trouve une excuse », nous explique le coach), le malheur devient une question de responsabilité personnelle. Les pensées négatives doivent être cachées honteusement – ou « transformées en positif ». La dépression elle-même est perçue comme un signe de faiblesse : parmi les personnes ayant connu une dépression, 57 % en parlent à la médecine du travail, mais seulement 22 % à leurs collègues [2]. Cette pression s’ajoute à la souffrance déjà ressentie du fait des conditions de travail, et culpabilise les individus en situation de mal-être.
La société actuelle nous proclame que si seulement nous nous aimions nous-mêmes, tous nos problèmes s’évanouiraient. Mais il est absurde de croire que nous pouvons nous immuniser contre les pressions du capitalisme, qui est pourtant la cause fondamentale de l’état de pourriture de la société. Notre objectif est de bâtir une société nouvelle, socialiste, dans laquelle le travail ne sera plus le cœur de nos préoccupations. La baisse du temps de travail nous permettra de faire beaucoup plus de choses qui nous intéressent ! Ceci anéantira l’anxiété liée au travail – et permettra aux hommes et aux femmes de trouver les moyens de s’épanouir pleinement.
[1] Stimulus, novembre 2017.
[2] Sondage Odoxa du 15/06/18