Avec sa « réforme » de la sécurité sociale, le gouvernement s’attaque à une conquête du mouvement ouvrier qui remonte à près de 60 ans. La Sécu figurait dans le programme du Conseil National de la Résistance (CNR) de mars 1944. Pour « mettre définitivement l’homme à l’abri du besoin, en finir avec l’indignité, la souffrance, le rejet, l’exclusion », le CNR proposait la mise en place d’« un plan complet de sécurité sociale visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail [...] ». L’année suivante, en 1945, le ministre communiste du Travail, Ambroise Croizat, mettait en place ce nouveau système de protection sociale.
Financé par le « salaire direct », centralisé sous forme de cotisations, le système est encore aujourd’hui socialisé. Une partie de la rémunération de la force de travail est payée directement. Une autre partie est socialisée, puis redistribué solidairement sous forme de prestations. Notre système collectif garantit aux salariés et à leurs familles un droit égal à la couverture des « risques sociaux » : maladie, vieillesse, famille, décès, invalidité, chômage.
La sécurité sociale reste ainsi l’institution majeure de la solidarité entre actifs et inactifs, bien portants et malades, générations actuelles et futures, et ce malgré tous les coups que les gouvernement successifs lui ont portée : ordonnances De Gaule, CSG Rocard, loi Balladur, Plan Juppé et loi Aubry.
En 2002, le budget de la protection sociale s’élevait à 437 milliards d’euros, soit une fois et demi le budget de l’Etat. Aussi aiguise-t-il bien des appétits, à commencer par ceux des assureurs, banquiers et autres spéculateurs, qui rêvent de mettre la main sur cet énorme pactole.
Tel est l’objectif, évidemment inavouable, du gouvernement Raffarin III, qui prétend réformer l’assurance maladie en s’appuyant sur le « diagnostic partagé » du Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie. La « réforme » qu’il prépare aujourd’hui est en réalité une contre-réforme destructrice.
En pleine campagne pour l’élection présidentielle de 2002, le MEDEF avait déjà rendu public un plan de démantèlement du système de sécurité sociale, dont le but affiché était de faire place à des organismes privés obéissant aux règles du marché capitaliste.
Le MEDEF veut supprimer d’un trait de plume toute participation des entreprises à l’assurance maladie et à la « branche famille », soit 128 milliards d’euros transférés vers l’impôt via la CSG. Mais si le MEDEF ne veut plus financer l’assurance maladie, il ne renonce pas, bien au contraire, à s’en occuper. Suite aux annonces du plan Douste Blazy - lequel prévoit de faire payer les malades, les salariés, les retraités, et d’épargner les revenus du capital - il a décidé de donner son accord pour rentrer dans le futur « conseil d’orientation ». Sur tout le dossier, le gouvernement sait bien qu’il doit être plus prudent que le MEDEF, tout au moins dans la forme, mais il avance dans le même sens - et avec détermination.
Depuis des mois s’est engagé un processus visant à mettre en œuvre une véritable privatisation de l’assurance maladie - après celle du système des retraites. Pour justifier ce gigantesque recul social, le prétexte avancé réside dans le prétendu déficit « abyssal » de la sécurité sociale. Des chiffres mirobolants sont avancés et répétés quotidiennement dans le but de conditionner les assurés sociaux. Or, en réalité, nous avons affaire à un véritable mensonge d’Etat que les gouvernements successifs répètent comme une litanie depuis des décennies. En effet, le « diagnostic partagé » présenté par le Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie passe délibérément sous silence le pillage et les politiques de rationnement dont la sécurité sociale est victime depuis plus de 30 ans.
Pas un mot sur la prise en charge par la branche maladie des accidents du travail et des maladies professionnelles. Or, cela représente 15 milliards d’euros de dépenses supplémentaires pour la Sécu. Pas un mot sur les éléments de revenus exonérés de cotisations sociales (intéressement, stock-option, épargne salariale...), soit 10,5 milliards d’euros en moins pour la sécu. Il ne parle pas non plus des exonérations de cotisations sociales accordées au patronat, soit 20,5 milliards d’euros en 2002 et 19,6 milliards d’euros en 2003. Rien n’est dit des dettes patronales : 2 milliards d’euros par an prélevés sur les salaires, mais jamais reversés à la Sécu. Pas un mot, enfin, sur les 15,5 milliards d’euros ponctionnés en 2002 pour financer les exonérations liées aux 35 heures.
En 2003, selon la Cour des comptes, entre les recettes fiscales qui ne lui ont pas été versées par l’Etat et les coûts indus qu’elle a supportés, la Sécu a été privée de 20,8 milliards d’euros du fait de choix gouvernementaux, dont 3,3 milliards de taxes sur les alcools et 7,8 milliards de taxes sur le tabac.
Si les cotisations des assurés sociaux n’étaient pas littéralement pillées et détournées de leur destination d’origine, il n’y aurait pas ce déficit fabriqué de la sécurité sociale. Par conséquent, la contre-réforme de l’assurance-maladie n’aurait plus aucune apparence de fondement.
Le capitalisme est désormais synonyme de régression sociale. Ils est contraint de s’attaquer à tout : aux salaires, aux conditions de travail, aux retraites, aux systèmes de santé et d’éducation. Il n’y a plus un seul domaine où le niveau de vie de la grande majorité de la population ne soit pas en régression. Face à la crise de leur système, il ne reste qu’une seul voie aux capitalistes : mener une attaque frontale contre tout ce qui contribue à rendre la vie tolérable aux salariés et à leur famille.
Par ailleurs, plus le chômage et la pression sur les salaires augmentent, plus la part du profit dans le partage de la valeur ajoutée grandit au détriment des salariés. En 1983, 70 % de la richesse créée allait au travail et 30% au capital. En 2000, le même rapport était ramené à 60 % pour le travail contre 40 % pour le capital.
Face aux détournements systématiques des prélèvements fiscaux et à la manipulation des chiffres qui en découle, le mouvement syndical doit rejeter purement et simplement l’argument de la « crise financière » de la Sécu. Nous ne devons pas nous mettre dans la position de négocier une régression « moins grave » que celle prévue par le Plan Douste Blazy. Ce n’est pas aux salariés et leurs familles de renflouer une caisse sociale préalablement pillée par les capitalistes !
De manière générale, la crise du capitalisme pousse le patronat à rogner plus ou moins largement sur toutes les dépenses qui ne servent pas directement à accroître la rentabilité de leurs investissements. Autrement dit, il doit transférer le poids de la crise sur les épaules des salariés, des jeunes, des retraités et des chômeurs. La dette publique (1000 milliards d’euros) atteint des proportions vertigineuses qui alimentent les plus vives inquiétudes dans les milieux patronaux. Pour restaurer un certain équilibre budgétaire tout en sauvegardant les marges de profits des capitalistes, le gouvernement doit entreprendre la mise en pièce de tous les budgets sociaux. Tel était le but de la « réforme » des retraites, tel est le but de la « réforme » de la Sécu - et telle est la ligne générale de la politique gouvernementale.
Nous devons défendre la sécurité sociale, faire obstacle à sa privatisation et, en général, à la destruction de tous nos acquis sociaux. Mais tous ceux qui veulent mener cette lutte doivent également comprendre que, dans le contexte actuel, le gouvernement Raffarin, malgré sa faiblesse, ne reculera pas facilement. Le mouvement de mai et juin dernier a prouvé que des journées de manifestations - mêmes massives - et de grèves partielles ne suffiront pas à le faire reculer.
Il est désormais indispensable que nos directions syndicales organisent la mobilisation la plus large des salariés du privé et du public dans un mouvement de grève, à commencer par exemple par une grève de 24 heures. Une grève générale de 24 heures, certes, ne suffirait sans doute pas à faire plier Raffarin et Douste Blazy. Mais elle constituerait une première étape dans la mise en place d’un front syndical massif contre la politique réactionnaire du gouvernement. Elle aurait un effet positif sur la conscience qu’ont les travailleurs de leur propre puissance sociale et de leur capacité à lutter. Le résultat des élections régionales a montré l’ampleur du mécontentement à l’égard du gouvernement. Il est temps de lui donner une expression sur le plan syndical !
Enfin, tout en appuyant énergiquement la mobilisation syndicale des salariés, le PS et le PCF devraient rompre une fois pour toute avec l’approche réformiste qui consiste à tenter de trouver des solutions durables aux problèmes de la jeunesse et des travailleurs sans remettre en cause le système capitaliste, qui en est pourtant le seul et unique responsable. Dans le domaine de la sécurité sociale, les partis de gauche devraient non seulement s’opposer à la privatisation rampante de ce secteur, mais également défendre un programme audacieux d’élargissement de la sphère publique. Toutes les entreprises privées qui font des profits sur le dos des malades - mutuelles, assurances, cliniques, entreprises pharmaceutiques - devraient être intégrées au système de santé publique. Coordonné à un plan massif de formation et d’embauche de personnel médical, un tel programme permettrait, non seulement de « sauver » la Sécu, mais d’améliorer sensiblement le niveau de santé publique.
Dans tous les autres domaines - l’éducation, l’emploi, les retraites, les conditions de travail, etc... - le problème se pose dans les mêmes termes. La mainmise d’une classe de profiteurs sur les ressources économiques du pays signifie le recul, la régression sociale. Dans le contexte actuel, celui d’une crise majeure du système capitaliste, la voie du réformisme est bouchée, parce que ses bases matérielles font défaut. Pour inverser la tendance actuelle, pour jeter les bases d’une amélioration durable et substantielle des conditions de vie de la grande majorité de la population, la seule voie qui reste ouverte est la transformation socialiste de la société, c’est-à-dire la socialisation des grandes entreprises et banques du pays, leur gestion démocratique par les salariés eux-mêmes et la planification rationnelle d’une économie enfin libérée de la camisole de force capitaliste.