Cessez-le-feu à Gaza

Le 19 janvier, un cessez-le-feu est enfin entré en vigueur à Gaza, après 18 mois de carnage. D’après les chiffres officiels, plus de 46 000 Gazaouis – dont 13 000 enfants – ont été tués par l’armée israélienne. Ces chiffres sont très probablement en dessous de la réalité. Une étude publiée dans The Lancet, le très respecté journal médical, estimait en octobre 2024 que le nombre de morts devait probablement se situer entre 70 000 et 186 000.

90 % de la population a été contrainte de fuir son logement. Pour les survivants, Gaza est un champ de ruines. Les hôpitaux, les installations médicales, les écoles et les universités ont été ravagés par les frappes israéliennes.

L’accord conclu n’est pas un cessez-le-feu définitif. Il ne prévoit qu’une trêve constituée de trois « phases » de 42 jours chacune. Pendant cette trêve, l’armée israélienne doit se retirer de la bande de Gaza et le Hamas libérer ses otages israéliens en échange de la libération de milliers de Palestiniens détenus en Israël. Malgré l’entêtement des médias occidentaux à les qualifier de « prisonniers », voire de « terroristes », la grande majorité de ces Palestiniens sont en réalité des otages, eux aussi, dont beaucoup de femmes et d’enfants arrêtés par l’armée israélienne sans raison ou pour des faits mineurs (parfois un simple post sur les réseaux sociaux).

Un échec pour Israël

Cet accord est essentiellement identique à celui qui avait été accepté au printemps par le Hamas, mais rejeté par le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou. Ce dernier était soumis à la pression des sionistes les plus radicaux, qui veulent profiter de la guerre pour intensifier la colonisation (voire exterminer ou chasser tous les Palestiniens) et menaçaient de faire tomber le gouvernement si un cessez-le-feu était signé. Pour Netanyahou, cela signifiait la fin de sa carrière politique et peut-être même son incarcération pour diverses affaires de corruption.

Pour rester au pouvoir, le Premier ministre israélien a donc systématiquement saboté toutes les propositions de cessez-le-feu, en avançant de nouvelles exigences à chaque fois qu’un accord était conclu ou en passe de l’être.

Plusieurs raisons expliquent qu’il ait aujourd’hui accepté de signer un accord. L’armée israélienne est épuisée par un an et demi de guerre à Gaza, à laquelle s’ajoutent la répression meurtrière des Palestiniens de Cisjordanie, l’invasion du Liban en octobre, l’occupation de portions de la Syrie depuis décembre et les frappes menées par l’Iran contre les installations militaires israéliennes. Des centaines de ses soldats ont été tués, des milliers d’autres blessés. Le nombre de déserteurs augmente. Au début de la guerre, la quasi-totalité des réservistes appelés à servir se présentaient dans les casernes ; en novembre, ils n’étaient plus qu’entre 75 et 85 %. L’économie israélienne a souffert, elle aussi. D’après la Bank of Israel, la guerre pourrait coûter près de 10 % du PIB national.

Il était aussi de plus en plus évident que la guerre était une impasse pour Israël. Netanyahou lui avait assigné deux « objectifs » : la libération des otages et la « destruction » du Hamas. Pour ce qui est des otages, seule une poignée a été libérée. Par contre, plusieurs ont été tués par l’armée israélienne elle-même. Quant au Hamas, il est loin d’être « détruit ». Au contraire : comme nous l’avions prévu, le Hamas recrute à tour de bras parmi les jeunes Palestiniens radicalisés par le génocide des Gazaouis. Le 14 janvier, le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken a dû reconnaître que, depuis le début de la guerre, le Hamas avait recruté autant d’hommes qu’il en avait perdus.

La responsabilité des impérialistes

Mais ce cessez-le-feu est surtout le fruit des pressions exercées par Donald Trump avant même qu’il ne devienne officiellement président des Etats-Unis. D’après plusieurs sources israéliennes, son envoyé spécial, Steve Witkoff, a été jusqu’à rabrouer et menacer Netanyahou pour qu’il signe cet accord au plus vite. Trump n’est pas un ami des Palestiniens, comme l’a clairement montré sa proposition de déporter tous les Gazaouis vers « certaines nations arabes ». Mais il veut que les Etats-Unis se désengagent du Moyen-Orient pour se concentrer sur la Chine. Il veut aussi satisfaire l’opinion publique américaine, qui est majoritairement hostile aux aventures militaires à l’étranger.

Les menaces de Trump ont été un brutal rappel à la réalité pour Netanyahou : sans le soutien économique et militaire des Etats-Unis, la guerre n’aurait pas pu continuer plus d’une semaine. Quelles que soient les promesses faites à Netanyahou pour qu’il signe cet accord, cet épisode est une humiliation pour l’impérialisme israélien.

Cela démontre aussi que, si Joe Biden l’avait voulu, ce cessez-le-feu aurait pu être conclu il y a des mois. Il lui aurait suffi de menacer Netanyahou de stopper l’aide militaire américaine à Israël. Au lieu de cela, les Etats-Unis et la quasi-totalité des puissances occidentales ont apporté à Israël leur total soutien militaire et politique.

Entre octobre 2023 et octobre 2024, les Etats-Unis ont offert 17,9 milliards de dollars à Israël – sous forme d’argent, d’armes ou de munitions. Les forces américaines, françaises et britanniques ont elles aussi directement aidé l’armée israélienne, notamment en interceptant des missiles iraniens. Enfin, les gouvernements occidentaux ont systématiquement réprimé, dans leurs propres pays, le mouvement de solidarité avec la Palestine. La responsabilité des impérialistes dans ce carnage est donc écrasante. Sans eux, Netanyahou n’aurait jamais pu massacrer les Gazaouis et semer le chaos dans la région.

Contradictions en Israël

Et maintenant ? Si l’on peut se réjouir du fait que les bombes aient cessé de pleuvoir sur Gaza, ne serait-ce que provisoirement, il faut aussi souligner que ce cessez-le-feu ne résout aucune des causes fondamentales qui ont mené à l’éclatement de la guerre. Tout ce qu’il propose, c’est la vague promesse de futures négociations pour un « processus de paix »… Cette promesse a déjà été faite plusieurs fois aux Palestiniens ; chaque fois, les « Accords de paix » ont débouché sur la continuation de l’oppression. Comme pour mieux démontrer la vacuité de cette promesse de paix, l’armée israélienne a lancé plusieurs raids meurtriers contre des villes de Cisjordanie, y compris un assaut contre un hôpital de Jénine, après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu à Gaza.

Le cessez-le-feu lui-même pourrait ne pas durer au-delà de sa « première phase » de 42 jours. Le 21 janvier, le ministre israélien de la Coopération régionale, David Amsalem, a déclaré : « Israël reprendra la guerre de manière décisive une fois la première phase mise en œuvre et ne passera pas à la deuxième ». La veille, un de ses collègues, Bezalel Smotrich, avait affirmé qu’il quitterait le gouvernement si, après la première phase, la guerre n’était pas relancée « avec une intensité accrue et à pleine échelle ». Un autre ministre, Itamar Ben-Gvir, a d’ores et déjà démissionné pour protester contre le cessez-le-feu. La coalition gouvernementale de Netanyahou est donc amputée d’une partie de son soutien parlementaire ; le Premier ministre israélien est d’autant plus sensible aux pressions de l’extrême droite sioniste, qui peut faire s’effondrer son gouvernement quand elle le souhaite.

Quoi qu’il en soit, la guerre a déjà eu des conséquences politiques très importantes en Israël, où elle a ébranlé plusieurs piliers importants de l’idéologie du régime sioniste. L’incapacité de l’armée israélienne à détruire le Hamas a fait voler en éclat sa réputation d’invulnérabilité. Les attaques du 7 octobre, mais aussi l’impuissance de l’armée israélienne face aux missiles lancés par l’Iran en octobre 2024, ont démontré que l’Etat sioniste n’était pas un havre de sécurité pour les Juifs, mais bien un « piège sanglant », comme l’écrivait déjà Léon Trotsky, en 1940 [1]. En conséquence, des dizaines de milliers d’Israéliens ont quitté le pays et le nombre de Juifs émigrant d’autres régions du monde vers Israël (« l’Alyah ») a baissé de 42 % en 2024.

Pendant de longs mois, les divisions de la classe dirigeante sur la question des otages et du cessez-le-feu se sont étalées au grand jour. Elles ont ébranlé la fiction de l’« unité nationale juive ». Le journal Haaretz a récemment publié un article soulignant le malaise qui se développe au sein de la population israélienne : « seuls 56 % des Israéliens juifs seraient prêts à inciter un membre de leur famille qui a déjà servi comme soldat réserviste à le refaire », tandis que seuls 57 % d’entre eux seraient prêt à « encourager leurs enfants à accomplir leur service militaire ». Le même article explique aussi que la proportion de ceux qui ne les y encourageraient pas du tout a quasiment doublé entre juin et novembre (de 7,5 à 13 %). Compte tenu de l’importance de l’armée pour l’impérialisme israélien, ces chiffres sont très inquiétants pour la classe dirigeante sioniste.

« L’ennemi principal est dans notre pays »

Du fait de leur soutien massif à la guerre génocidaire contre les Gazaouis, les puissances impérialistes occidentales sont comptables de la défaite de l’impérialisme israélien. Cela aura de profondes conséquences en Occident. Pendant que les impérialistes dépensaient des milliards pour soutenir la guerre menée par le régime israélien, ils multipliaient chez eux les mesures d’austérité. Un nombre croissant de travailleurs de ces pays réalisent l’hypocrisie de leurs dirigeants bourgeois, qui parlent de démocratie tout en réprimant ceux qui s’opposent au génocide des Palestiniens. Cette prise de conscience, qui est liée à la vague montante de la lutte des classes, représente un espoir pour la lutte de libération des Palestiniens.

Malgré la défaite d’Israël à Gaza et l’héroïsme des masses palestiniennes, il est impossible de vaincre l’Etat sioniste par des moyens purement militaires. Les Palestiniens ont été plongés dans un abîme de barbarie et sont enfermés dans de petites enclaves territoriales isolées. Alors qu’ils ne sont que faiblement armés, l’armée israélienne est équipée de pied en cap par les puissances impérialistes.

Pour vaincre l’oppression sioniste, la lutte pour la libération des Palestiniens doit tout d’abord s’attacher à briser l’Etat d’Israël suivant une ligne de classe, en s’adressant à tous les travailleurs israéliens qui vont être amenés, dans la prochaine période, à remettre en cause leur propre classe dirigeante. Elle doit aussi frapper l’approvisionnement d’Israël en armes et en argent par les puissances occidentales. Cela ne peut être accompli que par des mobilisations de masse de la classe ouvrière d’Occident contre les manœuvres impérialistes de ses propres classes dirigeantes. Le meilleur moyen d’aider la lutte pour la libération de la Palestine est de lutter pour renverser notre propre gouvernement bourgeois. Comme le disait le révolutionnaire allemand Karl Liebknecht en 1914, « l’ennemi principal est dans notre pays ! »


[1] « Une seule voie de salut pour les Juifs », juillet 1940.