200 000 barils de pétrole par jour : voilà ce que TotalEnergie attend de ses deux nouveaux projets d’exploitation pétrolière en Afrique centrale, baptisés TILENGA et EACOP. Pour les justifier, l’entreprise prétend qu’ils auront un « impact positif net sur la biodiversité ». En réalité, leur « impact net » sera surtout de remplir les poches des actionnaires de Total – et de chasser de chez eux des dizaines de milliers de personnes.
Zones « protégées »
Le projet TILENGA prévoit d’implanter environ 400 forages pétroliers dans le lac Albert, en Ouganda. Des millions de personnes vivent à proximité de ce grand lac, dont ils pêchent les poissons et utilisent l’eau pour boire, mais aussi pour irriguer leurs champs et nourrir leurs bêtes. En outre, contrairement aux racontars « écoresponsables » de Total, au moins un tiers des forages seront implantés dans la réserve naturelle de Murchinson Falls.
Le second projet, EACOP, est complémentaire du premier. Il s’agit d’un oléoduc de 1443 kilomètres qui longera le lac Victoria (la plus grande source d’eau douce d’Afrique), puis traversera la Tanzanie et, au passage, 16 zones naturelles protégées, pour acheminer le pétrole de TILENGA jusqu’au port de Tanga, dans l’océan Indien. Comme si cela ne suffisait pas, l’oléoduc traversera une zone de forte activité sismique, ce qui augmentera la probabilité d’une marée noire sur le lac Albert ou le lac Victoria.
Outre l’impact environnemental, le bilan humain de ces projets est loin d’être « nettement positif », puisque 100 000 personnes vont être expropriées et chassées de leurs foyers pour laisser la place aux chantiers de construction. Total se défend en affirmant qu’un plan est prévu pour reloger tous ces gens. C’est vrai, mais ce plan ne tient pas compte de l’augmentation du prix de la terre, suite à la spéculation engendrée par TILENGA et EACOP. Faute de pouvoir racheter des terres cultivables, une grande partie des paysans chassés de leurs foyers par Total n’auront d’autre choix que rejoindre les bidonvilles de Kampala.
La « souveraineté » de l’Ouganda
Critiquée sur tous ces aspects, la direction de Total affirme que « l’exploitation de ce pétrole est la décision souveraine de l’Ouganda, dont un quart de la population vit avec deux dollars par jour ». Mais comme souvent dans ces cas-là, le problème est que la majorité de la population ougandaise ne touchera pas un sou de l’exploitation du pétrole. Ce sont en premier lieu les actionnaires de Total, mais aussi la classe dirigeante ougandaise, et tout particulièrement les proches du président Yoweri Museveni, qui vont gagner beaucoup d’argent.
Par ailleurs, la population ougandaise n’a pas vraiment eu son mot à dire. Au pouvoir depuis 1986, le président Museveni ne refuse rien à Total et à son premier actionnaire, l’Etat français, qui a soutenu sa réélection dans des conditions scandaleuses, en 2021. Lors du scrutin, l’accès à Internet a été coupé, des opposants ont été arrêtés préventivement et le principal candidat d’opposition a été assigné à résidence. Ce qui n’a pas empêché Emmanuel Macron d’envoyer ensuite un courrier personnel à Museveni pour le féliciter de cette victoire obtenue sans coup férir.
De son côté, l’ambassade de France en Ouganda, dirigée par un ancien camarade d’Emmanuel Macron à l’ENA, Jules-Armand Aniambossou, affiche son solide soutien à Total. En 2020, l’ambassadeur déclarait en effet « être très fier que Total, une compagnie française, fasse partie du secteur pétrolier et minier en Ouganda », et réaffirmait l’engagement de la France dans ces projets.
Loin des salons de l’ambassade, cet engagement prend une forme très concrète : ce sont des soldats ougandais entraînés par des « coopérants militaires » français qui menacent et chassent de chez elles les populations locales vivant dans les zones où vont être implantées TILENGA et EACOP.
Solidarité internationale !
Après la révélation du scandale écologique et humain que représentent ces projets africains de Total, le Parlement européen a voté, le 15 septembre dernier, une résolution réclamant leur arrêt d’urgence… Sans aucun effet, puisque cette résolution est non-contraignante.
Cet automne, la députée insoumise Manon Aubry déclarait : « il faut en finir avec l’impunité des multinationales ». Très bien ! Que proposait-elle ? De mener une bataille juridique devant le tribunal de Paris et de faire voter une nouvelle résolution au Parlement européen. Hélas, Total se moque autant des jugements des tribunaux que des résolutions « non-contraignantes » du Parlement européen.
En 2021 et 2022, Total a réalisé des profits records sur les dos des travailleurs et des populations de tous les pays où sévit cette multinationale. Dans le cas de ses projets en Ouganda, le mouvement ouvrier français doit manifester sa solidarité dans l’action. De manière générale, seule une lutte commune des travailleurs d’Ouganda, de France et d’ailleurs, pour la nationalisation de Total sous le contrôle des travailleurs, permettra d’en finir avec l’exploitation et la destruction de l’environnement auxquelles se livre le mastodonte du CAC 40.