Entre 1955 et 1970, l’impérialisme français a mené une guerre impitoyable aux masses du Cameroun, dans le but de préserver sa domination sur ce territoire. Alors que les crimes de l’impérialisme français en Algérie, à la même époque, sont désormais reconnus (de mauvaise grâce) par la plupart des politiciens bourgeois, ceux-ci continuent de nier ou de minimiser jusqu’à l’absurde les crimes de la classe dirigeante française au Cameroun.

Au Cameroun comme en France, des voix s’élèvent régulièrement pour exiger que cette histoire soit reconnue et enseignée. Le mouvement ouvrier français doit répondre à ces appels. C’est son devoir élémentaire d’un point de vue internationaliste, mais c’est aussi l’occasion d’étudier les leçons – toujours d’une grande actualité – de ces événements tragiques.

Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa ont publié deux livres qui retracent l’histoire de cette guerre coloniale cachée [1]. Ils y racontent la lutte menée par les militants de l’Union des Populations du Cameroun (UPC) contre la domination française, ainsi que leur défaite finale. Si les conclusions politiques de ces deux livres sont trop limitées, ils montrent néanmoins de façon concrète les méthodes par lesquelles l’impérialisme français a maintenu sa domination sur le Cameroun, malgré son indépendance officielle en 1960. A l’insu de leurs auteurs, ces deux ouvrages sont aussi une démonstration de l’impasse du réformisme dans la lutte contre l’impérialisme.

La colonisation

Le Cameroun n’était pas une colonie française comme les autres. La France n’en fut pas le premier colonisateur. Dans le courant des années 1860, ce sont des entreprises allemandes qui implantèrent leurs comptoirs sur la côte du golfe de Guinée, dans le but d’écouler leurs marchandises vers l’intérieur du continent. En 1885, la Conférence de Berlin confirma la souveraineté allemande sur ce qui devient alors le « Kamerun ».

La grande vague de colonisation du XIXe siècle qui a partagé l’Asie et l’Afrique entre une poignée de puissances impérialistes n’était motivée ni par la soif de conquêtes de quelques militaires ou politiciens mégalomanes, ni par l’intention de « civiliser » ces continents. La colonisation visait essentiellement à garantir aux grandes puissances capitalistes des marchés sur lesquels écouler leurs marchandises et leurs capitaux. Placer les nouveaux marchés sous la domination directe de la métropole coloniale permettait de les protéger de la concurrence des autres puissances par un monopole légal – ou, a minima, par des tarifs douaniers exorbitants.

Dans cette course à la domination impérialiste, l’Allemagne est arrivée en retard. Le capitalisme allemand s’est développé plus tardivement que ses rivaux. Lorsqu’il se lance à la conquête de colonies, dans les années 1880, une bonne partie des territoires d’Afrique et d’Asie sont déjà occupés par la Grande-Bretagne, la France, l’Espagne et le Portugal.

La situation du capitalisme allemand est alors intenable. Au fur et à mesure que son économie se développe, l’Allemagne est de plus en plus à l’étroit, faute de débouchés pour écouler ses produits et ses capitaux. Berlin se lance alors dans une confrontation avec les puissances coloniales déjà bien établies, au premier rang desquelles la France et la Grande-Bretagne. C’est cette confrontation qui débouche sur la Première Guerre mondiale.

Après la défaite de l’Allemagne en 1918, ses quelques colonies sont partagées entre les vainqueurs. Pour donner une coloration « humaniste » à ce partage, la Société des Nations (SDN, ancêtre de l’ONU) donne à ces colonies un statut particulier : celui de territoires « sous mandat ». Officiellement, la puissance mandataire est chargée d’œuvrer au « développement » des indigènes jusqu’à ce qu’ils puissent devenir indépendants ou autonomes. Dans les faits, les territoires sous mandat sont gérés comme toutes les autres colonies par leurs nouveaux colonisateurs. Quant à la SDN – cette « cuisine des bandits impérialistes », selon la formule de Lénine –, elle n’y trouve rien à redire.

Le Kamerun ex-allemand est donc divisé en 1919 : au Nord-Ouest, deux petits territoires reviennent à la Grande-Bretagne, tandis que la majeure partie devient le Cameroun français. Privée de tout droit démocratique, la population indigène est soumise au travail forcé. Les entreprises françaises dominent complètement l’économie du territoire. L’huile de palme, les bananes, le caoutchouc, le cacao, etc. : toutes les ressources enrichissent la bourgeoisie française, qui y trouve aussi un marché d’autant plus indispensable, dans les années 30, que la crise économique vient en fermer beaucoup d’autres.

L’Union des Populations du Cameroun

La Deuxième Guerre mondiale ébranle l’empire colonial français. Son prestige est mis à mal par la défaite de 1940 et l’occupation de la métropole. Par ailleurs, pour obtenir le soutien des colonies, De Gaulle a promis de nouveaux droits aux indigènes.

A la fin de la guerre, le bilan de ces réformes est dérisoire. Les quelques droits concédés permettent à une poignée d’indigènes privilégiés de siéger à l’Assemblée nationale, à Paris. Mais dans l’ensemble, la situation reste la même. Le pouvoir colonial soumet la population à un contrôle et une répression féroces. En septembre 1945, par exemple, une grève des travailleurs des chemins de fer éclate à Douala et, très vite, prend le caractère d’un mouvement de masse. La répression fait près d’une centaine de morts. Un avion est utilisé par la police pour bombarder la foule.

C’est à cette époque que se constituent des Cercles d’Etudes Marxistes dans les colonies françaises d’Afrique de l’Ouest. Réunis autour de syndicalistes français membres du PCF, de jeunes travailleurs indigènes découvrent les idées du mouvement ouvrier européen et discutent des problèmes politiques qui se posent dans les colonies. Au Cameroun, l’instituteur Gaston Donnat organise un petit cercle auquel participent plusieurs fonctionnaires indigènes. Donnat sera finalement expulsé par la police, mais c’est de ce cercle que vont sortir les dirigeants du principal mouvement politique de la lutte pour l’indépendance : l’Union des Populations du Cameroun (UPC).

L’UPC est officiellement fondé en 1948 et grandit très vite, notamment grâce à ses liens serrés avec le mouvement ouvrier et les syndicats camerounais, d’où sont issus la plupart des cadres du parti, à commencer par son principal dirigeant : Ruben Um Nyobé. Alors qu’il réunit une centaine de militants en 1948, il en compte 7000 en 1949 et 14 000 en 1950. Dans la première moitié des années 1950, il regroupe près de 20 000 membres dont les activités couvrent la quasi-totalité du pays.

Les militants « upécistes » sont déterminés et n’hésitent pas à braver la répression coloniale, mais leur programme est relativement modéré. Leur objectif officiel est d’obliger la puissance coloniale à respecter les termes du mandat confié par la SDN et confirmé par l’ONU en 1946 : préparer le Cameroun à l’indépendance. Pour cela, l’UPC entend respecter strictement le cadre légal et se tenir au-dessus de toutes les « divisions idéologiques » – c’est-à-dire, en fait, les divisions de classe. L’idée est de regrouper « tous les Camerounais » dans la lutte contre le colonialisme. En 1953, Nyobé affirme que « les peuples coloniaux ne peuvent faire ni la politique d’un parti, ni celle d’un Etat, ni, à plus forte raison, celle d’un homme. Les peuples coloniaux font leur propre politique, qui est la politique de libération du joug colonial ». Cette absence d’un point de vue de classe nettement défini était l’une des failles majeures de la politique de l’UPC.

Révolution permanente

Le premier obstacle sur la voie de l’UPC est sa propre conviction – totalement infondée – que l’ONU peut aider les peuples colonisés. Comme la SDN en son temps, l’ONU n’est pas indépendante des classes sociales ou des grandes puissances impérialistes. Les plaintes de l’UPC adressées à cette institution n’y suscitent que de l’indifférence ou, aux mieux, des protestations purement verbales.

Les illusions des dirigeants de l’UPC dans le rôle de l’ONU sont un prolongement de leur refus d’adopter un point de vue de classe clairement défini. Ils cherchent à se tenir « au-dessus » des classes sociales. Il faut dire qu’à l’époque, cette grave erreur est conforme à ce que les militants staliniens du PCF enseignent dans les « Cercles marxistes » qu’ils organisent dans les colonies. L’idée qui sous-tend cette erreur est très bien résumée par un théoricien du PCF de l’époque, Yves Benot, en 1960 : « L’existence du fait colonial fait passer au premier plan l’unité dans la lutte nationale, au-delà des différenciations qui pourraient se manifester dans la nation colonisée. […] Tant que la domination coloniale existe, le processus de différenciation des classes se trouve nécessairement masqué et ralenti par les exigences de la lutte nationale, alors que ce processus ne peut que s’accélérer après l’indépendance » [2]. Autrement dit, au nom des « exigences de la lutte nationale », la classe ouvrière camerounaise ne doit pas chercher à diriger cette lutte et à lui donner un caractère socialiste.

Cette politique est en contradiction frontale avec la réalité objective. Contrairement à ce qu’affirme Yves Benot, la population indigène est bel et bien divisée suivant des lignes de classe. Par exemple, pour asseoir son pouvoir, la puissance coloniale s’appuie sur les chefs « traditionnels » : elle favorise ceux qui lui sont loyaux et remplace les autres. La division de classe entre chefs « traditionnels » et paysans pauvres est ainsi renforcée par la domination française. Du fait du petit nombre d’Européens (2400 pour 3 millions de Camerounais), il s’est aussi développé une petite classe ouvrière indigène qui comprend les salariés des quelques entreprises modernes implantées dans les grandes villes telles que Douala et Yaoundé, mais aussi les nombreux petits fonctionnaires de l’administration coloniale. Enfin, le développement du capitalisme au Cameroun a suscité l’éclosion d’une petite bourgeoisie commerçante – et même l’apparition d’un embryon de bourgeoisie indigène, qui sert d’intermédiaire à la grande bourgeoisie française.

Toutes ces classes sociales n’ont pas les mêmes intérêts. La minuscule bourgeoisie indigène est complètement dépendante de l’impérialisme français, avec lequel elle n’a aucune envie de rompre. De leur côté, les chefs traditionnels sont radicalement hostiles à toute idée de réforme agraire, sans laquelle il est pourtant impossible d’arracher la masse des paysans à la misère. La classe ouvrière et les paysans pauvres font face non seulement au régime colonial, mais à la fraction des indigènes qui en bénéficient.

Cette situation n’est pas propre au Cameroun. On la retrouve dans tous les pays où le capitalisme a commencé à être implanté de l’extérieur, par l’afflux de capitaux étrangers, sans qu’une révolution bourgeoise soit menée à son terme. C’est pour trouver une solution à un problème similaire, en Russie, que le marxiste Léon Trotsky a élaboré sa théorie de la « révolution permanente », dès 1905. Puisque la bourgeoisie russe était tout à la fois soumise aux intérêts des investisseurs impérialistes, liée aux grands propriétaires terriens et dépendante de l’Etat tsariste, elle ne pouvait combattre sérieusement aucun de ces trois maux qui maintenaient la Russie dans un état d’extrême arriération.

En conséquence, expliquait Trotsky, la direction de la révolution devait revenir à la classe ouvrière, qui devait entraîner la paysannerie pauvre et, sur cette base, prendre le pouvoir. Alors, la classe ouvrière pourrait mener à bien les tâches de la révolution bourgeoise (indépendance nationale, réforme agraire, droits démocratiques, etc.) et commencer à réaliser les tâches de la révolution socialiste – qui ne pourront être consolidées que si la révolution se développe à l’échelle internationale.

Adoptée par les bolcheviks en 1917, c’est cette politique qui a permis la victoire de la Révolution russe. Malheureusement, cette théorie fut ensuite abandonnée par la contre-révolution stalinienne, qui cherchait à justifier ses alliances avec la bourgeoisie soi-disant « progressiste » des pays colonisés. La théorie de la révolution permanente n’en est pas moins restée incontournable, depuis, dans tous les pays soumis au joug colonial ou à l’impérialisme : la lutte pour une véritable libération nationale y était – et y demeure – indissociable de la lutte des classes et de la lutte pour le socialisme. L’histoire du Cameroun en est une parfaite démonstration – mais une démonstration négative, malheureusement.

Répression féroce

Si les revendications comme les méthodes de l’UPC sont relativement « modérées », l’idée d’une égalité réelle entre indigènes et colons n’en représente pas moins une attaque directe contre l’ordre colonial. Dès sa création, l’UPC s’attire l’hostilité de l’administration et des colons français, mais aussi de la couche privilégiée de la population indigène qui bénéficie de la colonisation et aspire au statu quo.

L’UPC est soumise à un véritable harcèlement. Les locaux du parti sont régulièrement perquisitionnés, ses archives saisies et ses militants arrêtés ou tabassés à chaque fois qu’ils tentent d’organiser un événement public. Par ailleurs, le pouvoir colonial orchestre une campagne de propagande systématique contre ce parti. Même les prêtres catholiques prêtent leur concours à cette croisade contre le soi-disant péril « communiste et païen ».

Pour fragiliser le parti, l’administration française n’hésite pas à monter de toutes pièces des partis indigènes rivaux de l’UPC, qui reprennent ses mots d’ordre indépendantistes en leur donnant un contenu différent. Soutenus par le pouvoir colonial, ces partis fantoches remportent toutes les élections grâce au bourrage des urnes. Dans ses mémoires, le fonctionnaire colonial Guy Georgy se vantera d’avoir lancé la carrière politique du futur président camerounais Ahmadou Ahidjo : «Je l’avais fait élire délégué à l’Assemblée territoriale. On avait quasiment fait voter pour lui, en mettant des paquets de bulletins dans l’urne. » Ce simulacre de démocratie est d’autant plus utile au pouvoir colonial qu’il lui permet d’avoir à sa disposition des « représentants élus » du peuple camerounais, qu’il peut ensuite exhiber dans les assemblées de l’ONU.

Dans ces conditions, l’UPC se radicalise et, en 1955, revendique l’accession immédiate du Cameroun à l’indépendance. Fin mai 1955, après que des manifestations de l’UPC ont à nouveau été interdites par le pouvoir colonial, des émeutes éclatent dans de nombreuses villes et sont férocement réprimées. L’administration coloniale saisit ce prétexte pour déclencher une véritable campagne de terreur contre l’UPC. Dans tout le pays, ses locaux sont saccagés et incendiés. Le pouvoir mobilise aussi les chefs traditionnels pro-français, qui mettent sur pied des milices pour massacrer les upécistes. En juillet 1955, l’UPC est officiellement interdite. Ses militants et ses cadres qui ont échappé aux arrestations et aux assassinats prennent le maquis. C’est le début d’une véritable guerre coloniale qui va se dérouler dans l’ombre.

Guerre coloniale

Pendant que la guerre d’Algérie, qui a éclaté fin 1954, fait les gros titres de l’actualité, la répression de la rébellion upéciste est largement passée sous silence. Elle est pourtant de grande ampleur. Dénués de soutien matériel, privés de toute arme moderne, mais bénéficiant dans de nombreuses régions d’un solide appui populaire, les maquis de l’UPC sont traqués par l’armée et la gendarmerie françaises, ainsi que par leurs supplétifs camerounais.

Comme en Indochine et en Algérie, les forces de répression ciblent la population civile pour priver la rébellion de sa base de soutien. Des villages entiers sont « déplacés », c’est-à-dire déportés. Au passage, les intérêts économiques directs des impérialistes ne sont pas négligés : les populations déplacées sont parfois contraintes au travail forcé pour des entreprises françaises.

La torture et les exécutions sommaires, souvent suivies de l’exposition publique des corps, deviennent monnaie courante. Après sa mort en 1958, le corps de Ruben Um Nyobé est exhibé dans son village natal par les forces françaises. Dans certaines régions, notamment dans l’Ouest du pays, ce sont des villages entiers qui sont massacrés par l’armée française et ses supplétifs. La répression dépasse même les frontières du Cameroun : un des dirigeants de l’UPC, Felix Moumié, est assassiné par les services secrets français à Genève. Au total, la répression fera plusieurs dizaines de milliers de morts, peut-être même jusqu’à 200 000, et d’innombrables blessés.

Malgré cette répression acharnée, la rébellion de l’UPC fait preuve d’une résilience héroïque et tient bon jusqu’au début des années 1960. Les derniers maquis ne sont « liquidés » qu’en 1970, soit une décennie après l’accession officielle du Cameroun à son « indépendance ».

Indépendance de façade

Sur la question de l’indépendance, l’impérialisme français a changé son fusil d’épaule à partir de 1958. Face à la multiplication des mouvements de libération nationale, il choisit de remplacer le contrôle direct, colonial, par une domination indirecte. L’idée est simple : il s’agit de transformer les colonies africaines en petits Etats formellement indépendants, mais en réalité dirigés par des despotes pro-français. Leur économie, leur défense et leur politique étrangère seront soumises au contrôle direct de la France, sous couvert de « coopération » et d’« assistance ».

Envisagée dès 1956 sous le nom d’« autonomie territoriale », cette politique prend plusieurs formes successives avant de déboucher, en 1960, sur la vague des indépendances africaines. Quatorze territoires français d’Afrique deviennent alors des pays officiellement indépendants. Mais dans leur immense majorité, ils restent complètement dépendants de l’impérialisme français.

Des « coopérants » français organisent leur budget, dirigent leur armée et encadrent leurs administrations. Leur monnaie est imprimée à Paris par la Banque de France. Des accords de défense secrets autorisent la France à intervenir militairement quand elle le souhaite. Elle ne s’en privera pas : entre 1960 et 1990, les troupes françaises interviennent près de 20 fois en Afrique subsaharienne. Bien sûr, les entreprises françaises sont choyées par les nouveaux régimes, qui reçoivent en retour des pots-de-vin – dont une partie finit dans les poches de politiciens français. C’est le début de la « Françafrique ».

Le Cameroun fait partie de ces quatorze pays formellement indépendants. Le politicien pro-français Ahidjo y instaure dès 1960 une dictature féroce. Encadrées par des conseillers français, la police et l’armée traquent les opposants, et d’abord les upécistes survivants. L’UPC est alors dans une situation d’autant plus difficile que son principal objectif, l’indépendance, a été formellement obtenu. Privé de toute perspective, le mouvement va progressivement disparaître sous les coups de la répression.

En 1961, l’impérialisme français réussit à mettre la main sur des parcelles d’ex-colonies britanniques. Au nom de l’« unité nationale », la moitié du Cameroun britannique est annexée. Moins d’une décennie plus tard, la plus grande partie des droits démocratiques de la minorité anglophone sont abolis.

Perspectives

Aujourd’hui, la domination de l’impérialisme français sur ses anciennes colonies est contestée par de nouveaux rivaux, notamment la Chine et la Russie. Mais la France est toujours omniprésente au Cameroun. Les entreprises françaises représentent près de 10 % des importations du Cameroun et continuent de piller les richesses du pays.

Les conséquences de cette domination impérialiste sont évidentes. Alors que le Cameroun regorge de richesses naturelles (cacao, bananes, pétrole, cobalt, fer, uranium…), 40 % de sa population vit sous le seuil de pauvreté, 34 % n’a pas accès à l’eau potable et près de 65 % est en situation de sous-emploi (chômage ou travail partiel subis).

Le régime de terreur mis en place par Ahidjo, en 1960, n’a pas disparu avec son départ en 1982. Son remplaçant, Paul Biya, en a maintenu l’esprit, sinon la forme. Au pouvoir depuis plus de 40 ans, il a été réélu en 2018 après avoir obtenu plus de 70 % des voix dans des élections largement truquées. Cela n’a pas empêché le ministre français des Affaires étrangères de l’époque, Jean-Yves Le Drian, d’adresser à Biya tous ses « vœux de réussite [...] pour ce nouveau mandat». Quelques mois avant ce message bienveillant, le régime de Biya avait déclenché une guerre civile – qui fait toujours rage – contre les populations des régions anglophones du pays.

La question reste donc entière : comment libérer le Cameroun de la domination impérialiste ? La bourgeoisie camerounaise – faible et complètement corrompue – est incapable de la contester, sans même parler de la renverser. Elle vit essentiellement des subsides que lui versent les entreprises étrangères et du pillage des budgets publics. Elle n’est capable de s’opposer sérieusement ni au régime de Biya, ni à ses protecteurs impérialistes.

En fait, les partis d’opposition bourgeois ou réformistes sont incapables d’imaginer un avenir pour le Cameroun hors de la domination impérialiste. Démoralisés par la longue et féroce dictature de Paul Biya, des intellectuels « progressistes » camerounais débattent la question de savoir s’il ne serait pas préférable que le Cameroun, s’émancipant de Paris, passe sous la domination des impérialismes chinois ou russe ! C’est ce qui s’appelle tomber de Charybde en Scylla.

Aujourd’hui comme avant l’indépendance, la seule issue pour le peuple camerounais reste la révolution socialiste. Certes, la classe ouvrière du Cameroun est bien plus petite que la classe ouvrière française, par exemple. Mais elle reste la seule force sociale capable de s’organiser de façon indépendante et d’entraîner dans une révolution victorieuse toutes les autres couches exploitées et opprimées du pays.

Les révolutionnaires camerounais doivent s’inspirer des meilleures traditions de l’UPC et des Cercles d’Etudes Marxistes de l’époque d’Um Nyobé – sans les scories du réformisme et du stalinisme. Sur la base de la théorie et des méthodes révolutionnaires du marxisme authentique, il sera possible de construire une organisation plongeant ses racines dans la jeunesse et la classe ouvrière du pays, une organisation capable de renverser la dictature de Biya ou de son successeur, d’expulser l’impérialisme et d’engager la transformation socialiste du Cameroun.

Il va sans dire que cette perspective est indissociable du développement de la révolution dans l’ensemble du golfe de Guinée, et en particulier au Nigeria, dont la classe ouvrière est la plus puissante de la région. Armés des idées du marxisme et de cette perspective internationaliste, les révolutionnaires camerounais peuvent jouer un rôle de premier plan dans la lutte pour la victoire du socialisme à l’échelle du continent africain.


[1] Kamerun ! (2011) et La guerre du Cameroun – l’invention de la Françafrique (2016), tous deux publiés aux éditions La Découverte.

[2] L’Afrique en mouvement – La Guinée à l’heure du plan, La pensée, n° 94, Novembre 1960.

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