En Afrique du Sud, le Congrès national africain (ANC), qui était au pouvoir depuis la fin de l’apartheid, a subi une défaite historique lors des élections législatives du 29 mai dernier. Il a perdu la majorité absolue qu’il détenait depuis les premières élections démocratiques en 1994 et n’a récolté que 40 % des suffrages, contre 62 % en 2019. Cette défaite est la dernière étape du long déclin de ce parti.

Succès et déclin de l’ANC

Dans les années 1980, la lutte contre l’apartheid, dirigée par l’ANC, déboucha sur une série de mobilisations révolutionnaires de la jeunesse et des travailleurs noirs. Après des années de grèves et de soulèvements, la classe dirigeante choisit de mettre fin à l’apartheid pour sauver le capitalisme sud-africain, qui risquait alors d’être renversé. Le régime entama des négociations avec l’ANC, qui accepta en échange de renoncer aux éléments anti-capitalistes de son programme (la nationalisation des terres, de l’industrie minière, des banques, etc.).

Lors des premières élections après la fin du régime d’apartheid, l’ANC obtint 62 % des suffrages. Une fois au pouvoir, le parti ne toucha pas au contrôle de la grande bourgeoisie blanche et des capitalistes étrangers sur les grands piliers de l’économie. Par contre, il favorisa l’apparition d’une « bourgeoisie noire » souvent issue des rangs de l’ANC lui-même, qui s’enrichit notamment en accaparant les contrats publics.

Une large partie de la population noire continua néanmoins à vivre dans des conditions misérables. Cela n’a fait que s’aggraver depuis la crise mondiale de 2008. L’Afrique du Sud est aujourd’hui le pays le plus inégalitaire au monde. Le chômage touche près de 32 % de la population. C’est ce qui explique le déclin de l’ANC : il a manqué à ses promesses d’améliorer les conditions de vie de la majorité des Sud-africains et, durant la dernière décennie, il a au contraire participé à leur appauvrissement.

Aucune alternative

Alors qu’une large partie des masses cherche une issue à la crise, aucun parti n’a mis en avant un programme qui s’attaquerait à son origine, c’est-à-dire au capitalisme sud-africain.

Les Combattants de la liberté économique (EFF) dirigés par Julius Malema sont le principal parti de gauche sud-africain. Malgré leur discours radical, les EFF ont multiplié les alliances sans principes avec des partis de droite et refusent de rompre avec le capitalisme. Malema s’est même adressé aux chefs d’entreprises noirs pour leur proposer de faire front commun contre le « capital monopolistique blanc ». En multipliant les zigzags opportunistes, les EFF n’ont pas réussi à attirer la masse des travailleurs et n’ont recueilli que 9,5 % des suffrages, alors qu’ils en avaient obtenu 10,8 % en 2019.

Le principal parti de l’opposition libérale bourgeoise, l’Alliance démocratique (DA) a obtenu 21,81 % des votes, un peu moins qu’en 2019. Le déclin de l’ANC a donc surtout profité à l’uMkhonto we Sizwe (MK), un parti fondé en décembre 2023 par l’ancien président Jacob Zuma. En 2018, celui-ci avait été contraint à la démission et exclu de l’ANC après une affaire de corruption. Depuis, il suit l’exemple de politiciens comme Trump ou l’argentin Milei en adoptant un discours mêlant démagogie « anti-système » et xénophobie, ce qui lui a permis de récolter 14,5 % des suffrages.

Face à l’absence de toute alternative sérieuse à l’ANC, l’abstention a atteint son plus haut niveau depuis la chute de l’apartheid. Malgré une campagne commune des partis politiques pour inciter les citoyens à s’inscrire sur les listes électorales, seulement 27,7 millions de personnes se sont inscrites sur 43 millions d’électeurs potentiels et 16 millions seulement se sont déplacées pour voter. Cette abstention record montre clairement la défiance des masses envers l’ensemble du système politique.

Impasse politique et lutte des classes

En l’absence de majorité, l’ANC a formé un gouvernement d’« unité nationale ». Le 30 juin, après un mois de négociations, le président Cyril Ramaphosa en a annoncé la composition : l’ANC conserve 20 ministères sur 32, la DA en obtient 6 et cinq autres petits partis se partagent les ministères restants.

Il est évident que cette coalition hétéroclite n’apportera aucune stabilité au régime de la bourgeoisie sud-africaine, bien au contraire. Tous les membres du gouvernement seront tenus par les masses pour responsables de la crise économique qui va se poursuivre. Cela provoquera des tensions croissantes au sein de la coalition. Par ailleurs, les EFF et le MK se sont tenus à l’écart de cette « unité nationale » et pourraient donc voir leur popularité grimper.

De son coté, la classe ouvrière ne restera sans doute pas passive. Il y a déjà eu ces dernières années plusieurs mobilisations d’étudiants et un nombre croissant de grèves illégales. On peut s’attendre dans la prochaine période à une nouvelle intensification de la lutte des classes. Pour s’arracher enfin à la crise et à la misère, la classe ouvrière sud-africaine a besoin d’un parti révolutionnaire doté d’un véritable programme socialiste, qui puisse la mener dans la lutte pour renverser le capitalisme.

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