Cet article ayant été écrit quelques heures après les attentats du 11 septembre 2001, nous avons supprimé les premiers paragraphes, qui rendaient compte de faits aujourd’hui largement connus.
Ces attaques terroristes ont un caractère tout à fait dément et criminel, et nous les condamnons. Mais nous ne les condamnons pas pour les raisons hypocrites avancées par Bush ou Blair. Les marxistes sont opposés au terrorisme individuel parce qu’il est totalement contre-productif, du point de vue du mouvement ouvrier, et parce qu’il fait le jeu des groupes les plus réactionnaires de la classe dirigeante des États-Unis. Il est évident que cette humiliation sanglante renforcera dans l’immédiat l’impérialisme américain. Ces attaques vont donner carte blanche à Bush au Moyen-Orient et dans le monde. L’opinion publique américaine est maintenant conditionnée à tolérer les politiques réactionnaires aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur.
L’effet causé dans l’opinion publique américaine est similaire à celui de l’attaque-surprise des Japonais à Pearl Harbour. L’attaque de Pearl Harbour avait été publiquement condamnée par le Président Roosevelt, mais il l’avait secrètement désirée [1]. L’opinion publique américaine est désormais prête à accepter toute l’atrocité des méthodes contre-insurrectionnelles et contre-terroristes, à l’étranger, ainsi que des législations encore plus réactionnaires et anti-démocratiques à l’intérieur de ses frontières.
Qui se cache derrière ces attaques ?
Aucun groupe n’a revendiqué la responsabilité de ces attaques. Nombreux sont les observateurs, par contre, qui accusent des forces du Moyen-Orient. Le premier groupe ciblé était le Front Démocratique pour la Libération de la Palestine. Le Front Démocratique a tout de suite nié toute participation à ces attaques. Sans doute qu’il dit la vérité. Une attaque d’une telle envergure, impliquant le détournement simultané de quatre avions sur le territoire américain, nécessite une grande logistique et une préparation s’étalant sur des mois, sinon des années. En réalité, aucun groupe palestinien de résistance ne dispose du niveau d’organisation, du soutien financier et de l’infrastructure nécessaires à une telle attaque. Il n’est pas possible de dire exactement qui se cache derrière ces attaques. Par le passé, d’autres attentats à la bombe ont été imputés au « terrorisme du Moyen-Orient », alors qu’il s’agissait d’attentats organisés et exécutés par des organisations d’extrême droite américaines.
Il saute aux yeux que cet attentat correspond aux objectifs et aux méthodes de Ben Laden, comme l’ont souligné bon nombre d’experts. Il dispose des moyens nécessaires pour exécuter un tel plan. Ben Laden n’a pas cessé d’appeler les musulmans du monde entier à attaquer et à tuer les Américains. Il y a trois semaines encore il menaçait de lancer « une attaque sans précédent » contre les intérêts américains à cause du soutien de Washington à Israël. Cet homme et son mouvement n’ont rien à voir avec le socialisme ni ne représentent rien de progressiste. Ce sont des éléments réactionnaires les plus acharnés qui soient. Néanmoins, il est insuffisant de décrier Ben Laden. Il faut expliquer d’où il sort et quel a été son rôle par le passé. N’oublions pas qu’à l’origine, Ben Laden a été financé, armé et soutenu par l’impérialisme américain. C’est une création des services de la CIA. Quand les intérêts de Washington exigeaient d’attiser le fondamentalisme islamique contre l’Union soviétique, aucun scrupule ne retenait la Maison-Blanche dans son soutien à ces réactionnaires et assassins de masse. Aussi longtemps que ces assassinats se déroulaient sur de terres lointaines comme l’Afghanistan ou le Moyen-Orient, ces hypocrites pouvaient faire semblant de ne rien voir. Mais voilà que soudainement ils découvrent que Ben Laden et ses acolytes sont des « ennemis de la civilisation ». A vrai dire cette menace contre la civilisation porte le cachet « Fabriqué aux USA ».
Le World Trade Center avait déjà été la cible d’un attentat à la bombe en 1993. « Un deuxième incident de ce type semblait incroyable » avoue Ira Furber, l’ancien porte-parole de la National Transportation Safety Board. Plein d’énigmes entourent en effet ce dernier attentat. Comment se fait-il que les terroristes aient pu lancer une telle attaque sans alerter le moins du monde les agences de sécurité des États Unis ? Une telle entreprise se prépare et s’exécute avec une équipe assez large de personnes, une infrastructure élaborée et pas mal de temps de préparation. Est-il imaginable de penser que la préparation de cet attentat soit passée à travers le système de surveillance des services secrets américains ? Il est dit que l’infiltration d’organisations terroristes est une tâche difficile. Tout au contraire. La CIA dispose de fichiers très détaillés sur tous ces groupes. Elle a réussi à y insérer des agents, des informateurs et dispose d’agents provocateurs qui pourraient se faire remarquer par leur attitude extrémiste. Dans le passé, les services secrets semblaient avoir été assez efficaces dans la prévention d’attentats terroristes. Cette fois-ci, le travail des réseaux de renseignements ont fait spectaculairement défaut. Cet échec est inexplicable. Comment est-il possible que la CIA ait été si ignorante et inapte, qu’elle ait permis une attaque aussi destructrice contre le centre nerveux d’une nation ?
Il existe une explication qui jusqu’ici a été négligée. Selon cette explication, il s’agirait d’une opération de provocation qui a très mal tourné. Dans le monde obscur de l’intrigue, de la provocation et de la contre-provocation propre aux activités des services secrets, il n’est pas inconcevable qu’une frange de l’establishment militaire américain ait décidé d’autoriser les terroristes à aller au bout de l’exécution de leur plan au sein du territoire américain afin d’engager l’opinion publique dans un appui à une politique agressive et de réarmement. Ceci pourrait expliquer ce surprenant échec des services secrets américains. L’ampleur des destructions occasionnées signifie alors que la provocation aurait mal tourné. Cette hypothèse ne peut être complètement écartée.
Une seule chose pour l’instant est certaine : cet attentat va renforcer l’impérialisme et la droite aux États-Unis. Une fois de plus, nous assistons aux conséquences réactionnaires du terrorisme individuel, qu’il faut condamner sans restriction.
Les effets économiques
Les répercussions économiques de cet attentat sont immédiates et dramatiques. Les transactions à la Bourse de New York se sont arrêtées tout de suite et pour une durée indéterminée. Toutes les places financières du monde ont brusquement chuté. Le réseau Internet ne fonctionnait plus qu’à 20 % de ses capacités et le réseau de téléphonie mobile s’est arrêté complètement, amplifiant le vent de panique. Le cours des actions américaines était en chute libre avant que leur échange ne soit interrompu indéfiniment. Le cours de valeurs européennes suivait la même voie en perdant plus de 6 %. L’index pan-européen, le FTSE Eurotop 300, dégringolait de 4,5 %. « Les investisseurs se sont demandé s’il s’agissait du début d’une campagne d’attaques terroristes contre des institutions américaines à haute visibilité », remarque Andrew Milligan, patron du département de Stratégie Globale à la Standard Life Investment à Edinburgh.
Les actions des entreprises d’assurance ont été durement frappées par crainte d’une demande massive de dommage. « Quand les marchés s’ouvriront à nouveau, ils s’ouvriront très largement » annonce Stanley Nabi le managing director du Crédit Suisse First Boston qui gère des portefeuilles d’un montant de 110 milliards de dollars. Il ajoute que « le Dow Jones tombera au moins de plusieurs centaines de points. C’est absolument inévitable. » Mike Lenhof, un autre broker, affirme : « C’est un désastre. Tout l’environnement qui entoure les marchés financiers est devenu chaotique. Le Pentagone a été bombardé et personne ne sait vraiment comment les États-Unis vont réagir. A notre avis, la réaction va être très dure une fois les responsables identifiés avec certitude. Les valeurs refuges comme celles de l’or, du pétrole et du Franc suisse ont grimpé dans le sillage des attentats. La Bourse de Londres a entamé une chute libre. L’index londonien le FTSE a perdu 200 points donnant ainsi le tempo aux autres places boursières dans le monde. Le prix du baril de pétrole à augmenté de 2 US $. Beaucoup d’immeubles dans les capitales européennes ont été évacués rapidement par peur de nouvelles attaques. En Europe les bons de caisse ont connu leur plus forte baisse depuis 2 ans.
Ce désastre a sapé les liquidités disponibles sur les marchés européens des actions, car les investisseurs ont directement fui vers des valeurs plus sûres. La nervosité était déjà perceptible parmi les investisseurs avant ces attentats. Aujourd’hui un nouvel élément de volatilité s’est ajouté. La valeur du dollar américain a aussi souffert par rapport à l’Euro et au Yen juste après l’explosion. L’Euro s’achetait à 0,9050 US$ après les explosions. Juste avant il s’achetait à 0,8978 US$. Le Franc suisse a connu une courte pointe à 1,4901 face au dollar. A l’ouverture des marchés, le niveau était de 1,6882, mais il est vite retombé à 1,66. La nervosité des investisseurs est illustrée par les propos suivants entendus à Londres : « Je ne crois pas que l’on puisse parler sérieusement d’un comportement de marché. Au moment où nous parlons, les marchés britanniques chutent de 20 à 30 %. Voilà de conditions de marché très rapides. Ce sont les banques et les compagnies d’assurance qui vont perdre le plus. Tout le monde est exposé à de telles chutes. Les valeurs pétrolières se portent bien et les prix au baril augmentent. Le prix du pétrole est déjà presque à 30 US$ le baril comparé à 27,5 US$ ce matin ». Si on tient compte de la faiblesse de l’économie américaine, la santé du dollar semble avoir défié les lois de la gravité. Jusqu’à ce jour le dollar paraissait un placement sûr. Il va sans dire qu’à un certain moment les investisseurs étrangers retireront leurs fonds des caisses américaines. En faisant cela, ils provoqueront une poussée des taux d’intérêt aux USA, poussant ainsi l’économie nord-américaine un peu plus dans la récession. Ce processus est déjà engagé. Après 10 années de croissance aux USA, l’économie mondiale est au bord d’une sérieuse récession. L’intégration très poussée de l’économie mondiale, sous l’écrasante domination américaine, a pour corrélat le caractère nécessairement mondial d’une crise économique aux USA.
La raison sous-jacente de toute crise capitaliste est la surproduction. Une fois le point critique atteint dans le développement du cycle économique, la quantité se transforme en qualité. Le moindre incident peut faire glisser l’économie dans la récession. Le choc pétrolier de 1973-74 est un cas d’école. Il faut se rappeler que l’augmentation du prix du pétrole était liée à des événements au Moyen-Orient. Et il est possible que ce scénario historique se répète aujourd’hui.
Nouveau Désordre Mondial
En quelques instants, la plus grande puissance mondiale de l’histoire a révélé sa nature de géant aux pieds d’argile. La plus grande puissance militaire de la planète semble impuissante face au terrorisme. Avant la Seconde Guerre mondiale, Trotsky prédisait que les États-Unis allaient émerger triomphalement de ce cataclysme et établir une hégémonie planétaire. Mais il prenait soin d’ajouter que les fondations de cette hégémonie seraient truffées de dynamite. Cette perspective se voit aujourd’hui pleinement vérifiée. Il y a dix ans, juste après l’implosion de l’Union soviétique, le père de l’actuel président des États-Unis nous promettait un Nouvel Ordre Mondial. Quel cruel démenti de l’histoire ! Le pillage de la planète par le capitalisme a créé un monde plein de misère, de guerres et de chaos. C’est dans ces éléments précis que résident les véritables explications des atrocités auxquelles nous assistons.
C’est le terrorisme quotidien de la famine, des maladies et de la misère, vécu dans le monde entier, c’est l’exploitation et l’oppression qui tourmentent des millions d’hommes, de femmes et d’enfants tous les jours de leur vie qui sont à la racine des désordres et de l’instabilité qui balayent la planète en ce début du 21e siècle.
Cette évidence s’impose dans le cas de la Palestine. Les populations de Cisjordanie et de Gaza sont soumises quotidiennement aux attaques sanglantes de l’impérialisme israélien. Leurs maisons sont détruites, des jeunes gens sont abattus, leur vie est réduite à néant. Comment donc pourrait-on s’étonner de voir des groupes de jeunes Palestiniens poussés dans le terrorisme par le désespoir ? N’est-il pas évident que la haine féroce à l’égard de l’impérialisme américain s’explique par la position des États-Unis, qui restent largement muets face aux atrocités commises par l’armée israélienne ? Le Président Bush n’a jamais condamné l’assassinat du dirigeant du FPLP (Front Populaire pour la Libération de la Palestine) par un tir de roquette israélien. Que signifient tous ces bavardages au sujet de » l’attaque contre la civilisation », quand des centaines de civils palestiniens sont abattus par Tsahal ?
Les effets de cette répression ont des terribles conséquences sur la conscience des masses palestiniennes. Quelques heures après les attentats à New York et Washington, les rues de Naplouse en Cisjordanie étaient en liesse. C’est la terrible souffrance infligée au peuple palestinien par l’impérialisme israélien soutenu par Washington qui provoque de telles réactions. Mais ces réactions sont très malheureuses. Les scènes de joie venant de jeunes Palestiniens après l’annonce du massacre de milliers de civils américains sont très dommageables à la cause palestinienne, aux États-Unis et internationalement. La solidarité des travailleurs américains et ceux d’autres pays face à la souffrance des Palestiniens opprimés par Israël sera balayée par la vague d’indignations au vu de ces images. Cette indignation sera utilisée par les réactionnaires américains afin d’attiser les sentiments anti-palestiniens et anti-arabes. A son tour ceci servira de tremplin pour une nouvelle vague de répression et d’autres monstruosités contre les Palestiniens. Mais cette fois-ci cette répression pourra compte sur une plus grande tolérance de la part de l’opinion publique mondiale qui précédemment l’aurait condamnée.
Les Américains vont être obligés de frapper un pays arabe. Probablement s’agira-t-il de l’Irak. Les États unis compteront sur la collaboration des services de renseignement israéliens pour mettre en œuvre une telle attaque. Loin d’affaiblir Israël, cela renforcera sa position. Inutile de dire que la cause des Palestiniens en souffrira. C’est là que réside la nature réactionnaire des attentats aux USA. Il faut être aveugle pour ne pas s’en rendre compte. L’attaque terroriste la mieux organisée et la plus spectaculaire ne réussira jamais à détruire ni même affaiblir sérieusement l’impérialisme.
George Robertson, le secrétaire général de l’OTAN, n’a pas perdu le nord, et a immédiatement sauté sur l’occasion pour proposer un renforcement de la puissance militaire de l’alliance. L’impérialisme américain est mis sous pression pour organiser une riposte militaire. Les militaires américains ne feront pas dans la dentelle et ne s’arrêteront pas à la perte de quelques vies humaines.
L’Irak est déjà pointé d’un doigt accusateur. De nouveaux bombardements et de nouvelles destructions seront leur réponse, alimentant une spirale diabolique d’assassinats et de contre-assassinats. En ce qui concerne les peuples du Moyen-Orient, les attentats terroristes ne feront en rien avancer leur cause. Le peuple palestinien n’en tirera aucun bénéfice. L’impérialisme américain sera poussé encore plus dans les bras d’Israël. La brutalité israélienne contre les Palestiniens sera « justifiée » par la soi-disant menace terroriste. Après l’attaque terroriste contre une ambassade américaine en Afrique, les impérialistes américains ont bombardé la Libye et le Soudan bien qu’aucun de ces pays n’ait été impliqué dans cet attentat. Il fait peu de doute qu’ils vont reprendre leur bombardement contre le peuple sans défense de l’Irak – comme si un crime sanglant en justifiait un autre. En agissant ainsi ils aggraveront les contradictions à une échelle mondiale, fabriquant de nouvelles victimes et de nouvelles haines, et semant les graines de nouvelles vagues de terrorisme. C’est ce qu’ils appellent « la défense de la civilisation ». Lénine n’a pas hésité à décrire la vie sous le capitalisme comme « une horreur sans fin ». Ces dernières années, les gouvernements américain et européen ont repris leur course à l’armement dans la perspective d’intervenir contre les mouvements des masses en Afrique, en Asie, au Moyen-Orient et en Amérique latine, comme c’est déjà le cas avec le Plan Colombie. Les attentats que l’on vient de vivre vont accélérer ce programme agressif de réarmement. Ceci n’augure rien de positif pour les travailleurs et les paysans du monde. Ce qui se passe aujourd’hui est une manifestation des crises et des convulsions du capitalisme à l’échelle de toute la planète. Quant à la propagande officielle, en Europe et aux États-Unis, qui prétend défendre la « paix » et la « liberté », elle nous rappelle ces mots de l’historien romain Tacite : « Et quand ils auront créé un désert ils l’appelleront la Paix ».
Londres, le 11 septembre 2001
[1] En effet, il est de notoriété publique maintenant que le gouvernement américain était au courant, à l’époque, de l’imminence de l’attaque japonaise. Toutefois, l’industrie américaine s’étant massivement engagée dans la production militaire, les dirigeants attendaient avec impatience l’incident qui allait leur permettre de justifier leur entrée en guerre.