Le Président Bush a présenté la capture de Saddam Hussein comme la preuve du « progrès sur le terrain » qu'aurait réalisé l'administration américaine en Irak. Il n'en est rien. L'objectif primordial du Pentagone en Irak, à savoir l'installation d'un régime irakien au service des intérêts économiques et stratégiques des Etats-Unis, n'est pas plus prês d'être atteint qu'il ne l'était avant l'arrestation de l'ancien dictateur. En réalité, cet objectif ne sera jamais atteint, et une partie importante de la classe dirigeante américaine commence à en prendre conscience.
En Afghanistan, les Etats-Unis se trouvent réduits au rôle d'arbitres et de bailleurs de fonds auprès des fractions armées concurrentes qui occupent les différentes régions du pays. En Irak, les forces d'occupation s'enlisent progressivement dans une guerre qu'elles ne pourront pas gagner. L'invasion d'un pays économiquement dévasté et mal défendu ne présente pas de sérieuses difficultés pour la première puissance militaire du monde. Mais cette même puissance et ses alliés se sont montrés totalement incapables d'affirmer leur autorité sur le peuple irakien. Les forces de la coalition n'ont pu consolider leur emprise sur une seule région de l'Irak. Le « gouvernement intérimaire » est à juste titre considéré par le peuple irakien comme une flopée de traîtres chèrement payés et dont le rôle est de masquer l'occupation impérialiste.
Les répercussions de ces guerres se font sentir à travers tout le Moyen Orient. Sur le plan économique, les économies de l'Egypte, de la Jordanie, d'Israël, de l'Arabie Saoudite, du Pakistan et de l'Iran en ont été gravement affectées. Cela a entraîné une hausse du chômage et une baisse sensible du niveau de vie des populations concernées. Sur le plan politique, l'hostilité et la haine contre l'impérialisme américain se retournent, notamment dans les pays arabes, contre les régimes en place, accusés de complicité avec l'envahisseur. Les discours d'avant-guerre de Bush, Powell, Cheney et Rumsfeld, dans lesquels ils prétendaient que l'invasion de l'Irak apporterait stabilité et prospérité à toute la région, doivent aujourd'hui sonner particulièrement creux aux oreilles des dirigeants égyptiens, jordaniens et saoudiens.
Mais les ondes de choc de la guerre et de l'occupation ne se limitent pas aux pays du Moyen Orient. Elles atteignent aussi jusqu'aux fondements économiques de tous les pays industrialisés du monde, et en particulier ceux des Etats-Unis. Le déficit de l'Etat fédéral a dépassé la barre des 500 milliards de dollars et pourrait bien atteindre 650 milliards à la fin de l'année 2004. La « rallonge » de 87 milliards obtenue par Bush ne suffira pas pour financer le maintien des 170 000 soldats stationnés en Irak et dans les pays avoisinants. Les « faucons », dans le camp américain, exigent une augmentation massive du nombre de militaires et du budget de la défense. La guerre en Irak est en train de siphonner les ressources monétaires des Etats-Unis. Si le déficit continue à se creuser, il y a le risque — on pourrait même dire la certitude — qu'il finira tôt ou tard par miner le dollar sur les marchés financiers. Ceci provoquerait une crise monétaire aux conséquences internationales incalculables.
Plus la guerre durera, et plus cette perspective deviendra une menace imminente. Comme en France à l'époque de la guerre d'Algérie et aux Etats-Unis à l'époque de la guerre du Vietnam, l'inquiétude croissante des capitalistes provoque des divergences au sujet de l'opportunité des guerres en question. En France, la division de la classe dirigeante a abouti à la tentative de coup d'Etat militaire menée à partir d'Alger, en 1958. La Quatrième République s'est effondrée comme un château de cartes. Concernant les guerres actuelles en Irak et en Afghanistan, compte tenu de la fragilité de la monnaie américaine et de la stagnation de l'économie mondiale, les divisions qui existent déjà au sein de la classe capitaliste américaine ne peuvent que s'aggraver dans les mois à venir.
Les stratèges du Pentagone et de la Maison Blanche font face à un dilemme d'une extrême gravité. L'impérialisme américain ne pourra consolider son emprise ni sur l'Irak, ni sur l'Afghanistan, et ce quelles que soient les ressources financières et militaires qui y seront consacrées. Les populations sur place n'accepteront jamais l'occupation de leur pays. Mais les forces impérialistes ne peuvent pas pour autant se permettre de lâcher prise. Un retrait des forces américaines, ou même une réduction significative de l'étendue des opérations militaires sur place, reviendrait à livrer les pays concernés à leurs adversaires, et créerait une situation bien plus menaçante du point de vue des intérêts stratégiques américains que celle qui existait avant la guerre. Par conséquent, le gouvernement américain n'a pas d'autre choix que de s'accrocher.
Quant aux travailleurs américains, malgré le barrage de propagande qui s'abat sur eux, ils comprennent, dans leur grande majorité, quels sont les véritables enjeux de cette guerre. C'est une guerre pour le pétrole et pour les profits des grandes entreprises, disent-ils. De telles réflexions sont monnaie courante, aussi, parmi les soldats américains actuellement en Irak.
L'arrogance et la puissance destructrice de la classe capitaliste américaine l'avaient incitée à imaginer qu'au moyen d'une combinaison de menaces, d'embargos, de bombes et de dollars, elle pouvait façonner le monde entier selon ses désirs et ses besoins. L'expérience des guerres en Irak et en Afghanistan est en train de démontrer qu'il s'agissait d'un mauvais calcul. L’invasion de ces deux pays n'a fondamentalement rien réglé du point de vue de l'impérialisme américain. Pire, étant donné le contexte d'instabilité sociale et économique qui caractérise la situation internationale, le coût financier et politique de ces interventions pourrait bien finir par saper les bases mêmes de la puissance américaine.