Le 1er juillet dernier, au Mexique, Andres Manuel Lopez Obrador (AMLO) a remporté l'élection présidentielle dès le premier tour, avec 53 % des voix et un taux de participation record. Deux siècles après l'indépendance du Mexique, plus d'un siècle après la révolution de 1910 et tout juste 50 ans après les grandes luttes de 1968, ce pays a, pour la toute première fois de son histoire, un président de gauche. Il s'est engagé à tenir tête à la bourgeoisie et à défendre les intérêts des travailleurs et des paysans pauvres.
En réaction à la victoire d'AMLO, une partie de la presse a annoncé la venue d'un Chavez mexicain. Qu'en est-il ?
Le contexte de la victoire
Le Mexique a été frappé très violemment par la crise mondiale de 2008. La misère croissante et les conflits armés ont entraîné plus de 300 000 assassinats (dont 26 500 sur la seule année 2017), des disparitions, une augmentation des violences à l’égard des femmes et le déplacement forcé de milliers de personnes. 130 hommes politiques ont été assassinés pendant la campagne électorale. Enfin, le Mexique est le deuxième pays le plus dangereux au monde pour les journalistes.
En 2006, AMLO, ancien maire de Mexico, se présente une première fois à la présidentielle sous l'étiquette du Parti Révolutionnaire Démocratique (PRD, social-démocrate). Il « perd » suite à une fraude massive et manifeste, qui provoque au passage un puissant mouvement de masse. En 2012, AMLO quitte le PRD sur sa gauche et fonde son propre mouvement, Morena (pour « Mouvement de Régénération Nationale »), qui se transforme officiellement en un parti en 2014.
La victoire écrasante de Morena, en juillet dernier, a mis sur le carreau tous les autres partis traditionnels. Le Parti Révolutionnaire Indépendant (PRI, droite), qui a régné sans interruption sur le Mexique pendant près de 60 ans, a obtenu le score le plus faible de son histoire. Le Parti d'Action Nationaliste (PAN, droite) connaît également une crise énorme. Enfin, l'aile droite et corrompue du PRD a pratiquement détruit ce parti.
Perspectives
Le programme d'AMLO formule une dizaine d'engagements généraux. Il défend la « souveraineté économique » et déclare vouloir empêcher la privatisation de certains secteurs, mais sans pour autant proposer de nationalisations. Il annonce sa volonté de créer divers services publics (eau, nourriture, logement). Il dit vouloir combattre l’interventionnisme des Etats-Unis – et, en général, lutter pour l'autodétermination de tous les peuples. Il critique sévèrement le « néolibéralisme », mais ne parle jamais de « capitalisme ». En bref, ce programme va dans la bonne direction, mais reste très flou. Il est typiquement réformiste.
Ceci dit, malgré ses limites, ce programme suscite les espoirs de dizaines de millions de Mexicains, qui sont prêts à se battre pour sa mise en œuvre. Et c'est cela qui inquiète le plus la bourgeoisie.
La victoire de Morena se fait sentir dans toutes les organisations politiques et sociales du pays, qui doivent définir leur position vis-à-vis du nouveau gouvernement. Il est clair qu'AMLO ne pourra pas faire confiance aux directions des principaux syndicats du pays, car elles sont corrompues jusqu'à la moelle. Il ne pourra pas non plus s'appuyer sur les grands médias qui, bien sûr, sont contrôlés par la bourgeoisie nationale et les impérialistes.
La bourgeoisie mexicaine et son maître, l'impérialisme américain, ne sont pas disposés à faire la moindre concession aux jeunes, aux travailleurs et aux pauvres. Ils feront tout ce qui est en leur pouvoir pour empêcher la mise en œuvre des mesures progressistes annoncées dans le programme électoral de Morena.
Comment réagira AMLO ? On ne peut pas l'anticiper avec précision. Il est clair qu'il n'a pas le profil révolutionnaire d'un Chavez. En outre, une bureaucratie droitière, pro-capitaliste, s'est formée au sommet de Morena. Mais cela n'épuise pas la question. Les masses mexicaines n'en peuvent plus de la misère et de la pauvreté. Elles feront donc pression sur AMLO – y compris, sans doute, en se mobilisant dans les rues – pour qu'il tienne ses engagements électoraux.
AMLO subira donc les pressions contradictoires et colossales de sa base sociale, d'une part, et d'autre part de la bourgeoisie. Or il ne pourra pas satisfaire les deux. Il ne pourra pas, non plus, s'en tenir aux réformes progressistes de son programme officiel. Soit il cédera aux pressions de la classe dirigeante et renoncera à ses réformes, soit il devra compléter son programme par des mesures révolutionnaires, des mesures d'expropriation et de nationalisation des banques, des grandes entreprises et des multinationales qui dominent le Mexique.
Izquierda Socialista, l'organisation sœur de Révolution au Mexique, travaillera à convaincre les militants et sympathisants de Morena qu'il n'y a pas d'autre issue, pour les masses de ce pays, qu'une rupture avec le capitalisme et le développement de la révolution socialiste sur le reste du continent latino-américain.