L’arrestation au Venezuela et l’extradition vers la Colombie des réfugiés politiques colombiens Joaquín Pérez Becerra et Julian Conrado ont suscité un profond malaise et de sérieuses interrogations, chez les révolutionnaires vénézuéliens, sur la stratégie suivie par la direction de la révolution bolivarienne.
Pérez Becerra a été arrêté par la police vénézuélienne à son arrivé à l’aéroport de Caracas, le 23 avril dernier. Quant à Julian Conrado, membre des FARC, il a été arrêté sur les renseignements des services secrets colombiens opérant sur le sol vénézuélien.
Dans les deux cas, le président colombien Santos a affirmé avoir personnellement appelé Chavez, pour lui demander que ces militants lui soient remis. Le gouvernement colombien accuse Becerra d’être un représentant des FARC en Europe. Ce qui est sûr, c’est qu’il était conseiller municipal de l’Union Patriotique (UP), en Colombie, dans les années 90. A cette époque, l’UP a fait l’objet d’une campagne systématique d’assassinats de la part des paramilitaires colombiens, qui étaient appuyés par le gouvernement. Deux candidats à l’élection présidentielle, 8 sénateurs, 11 maires, 13 députés, 70 conseillés municipaux et 5000 militants de l’UP ont été assassinés, à l’époque.
Perez Becerra a fui en Suède, où il a obtenu l’asile politique et a crée le site d’informationNew Colombia News Agency (ANNCOL). Il s’est rendu à plusieurs reprises au Venezuela. Bien que la justice vénézuélienne l’ait décrit comme un citoyen colombien, il est de nationalité suédoise – depuis qu’il a renoncé à sa nationalité colombienne, en 2000. Les autorités suédoises n’ont été informées de son arrestation que 48 heurs plus tard, alors que Perez Becerra était déjà extradé vers la Colombie.
Cette arrestation a choqué de nombreux militants révolutionnaires et syndicaux, au Venezuela et à l’échelle internationale. Les critiques ont d’abord visé les ministres vénézuéliens des affaires étrangères, Nicolas Maduro, et de l’information, William Izarra. Mais une semaine plus tard, le président Chavez lui-même a publiquement assumé la responsabilité de cette action.
Pour se défendre, le gouvernement vénézuélien explique qu’il y avait une « note rouge » d’Interpol sur Becerra, et qu’en conséquence il lui fallait appliquer « la loi internationale ». Mais cet argument ne tient pas même d’un point de vue étroitement juridique. D’après le site internet d’Interpol, les « notes rouges » d’Interpol « ne sont pas des mandats d’arrêt », mais de simples requêtes relatives à la recherche d’un individu. Même si on s’en tient au point de vue strictement légal, l’extradition de Becerra aurait du être précédée d’un long processus judiciaire, au cours duquel il aurait pu déposer des recours devant la justice vénézuélienne. En outre, en sa qualité de citoyen suédois, Perez Becerra aurait du être remis aux autorités de son pays, seules habilitées à extrader un de ses citoyens. Au lieu de quoi le gouvernement vénézuélien l’a simplement livré aux autorités colombiennes.
Ceci étant dit, nous ne voyons pas pourquoi le gouvernement vénézuélien devrait se conformer aux « notes rouge » d’Interpol, une institution qui s’arroge le droit de retirer les « notes rouges » visant des banquiers vénézuéliens réfugiés aux Etats-Unis et recherchés pour corruption par la justice vénézuélienne. Par ailleurs, le gouvernement vénézuélien ne devrait pas collaborer avec le système judiciaire d’un pays qui abrite et protège Pedro Carmona, le dirigeant du coup d’Etat contre Chavez, en avril 2002.
Pour se défendre, Chavez a expliqué qu’un piège lui avait été tendu par l’impérialisme, qui l’aurait mis dans une position où « je suis perdant si je le livre – et perdant si je ne le livre pas ». Mais cet argument a été contredit le 1er juin dernier par l’arrestation de Julian Conrado, membre des FARC, et la décision du gouvernement vénézuélien de le remettre, lui aussi, aux autorités colombiennes.
Wikileaks a récemment révélé la stratégie du gouvernement colombien de Santos : il cherche à utiliser les relations diplomatiques et économiques avec le gouvernement vénézuélien pour le contraindre à modérer ses positions politiques. Il cherche notamment à l’impliquer dans la soi-disant « lutte contre le terrorisme » en lui demandant d’arrêter des militants de l’ELN ou des FARC basés ou de passage au Venezuela. Dans le même temps, le gouvernement colombien poursuit ses activités cachées et illégales visant à miner la révolution vénézuélienne.
Le gouvernement vénézuélien a parfaitement le droit de tenter de briser son isolement en recherchant des accords diplomatiques et commerciaux avec d’autres gouvernements. Mais les manœuvres et accords diplomatiques ont leurs limites. Les travailleurs et les paysans du monde entier constituent la seule base de soutien solide à la révolution vénézuélienne. Tout ce qui renforce ce soutien est révolutionnaire ; tout ce qui l’affaiblit est contre-révolutionnaire.
Récemment, le gouvernement américain a imposé des sanctions contre PDVSA, la grande compagnie pétrolière vénézuélienne. Ce faisant, les Etats-Unis visent la collaboration économique du Venezuela avec l’Iran. Ils cherchent à contraindre le Venezuela à suivre le chemin qu’ils veulent imposer à toute l’Amérique latine.
Face aux énormes difficultés économiques que connaît le Venezuela, les bureaucrates et les réformistes cherchent des compromis avec la bourgeoisie vénézuélienne et l’impérialisme américain. Ils prétendent rassurer les « classes moyennes » et éviter de nouvelles sanctions économiques. Ils veulent stopper la révolution à son stade actuel de développement, où le bureaucratisme étouffe la démocratie sociale dans les entreprises publiques. Ils veulent donner toujours plus de gages à la bourgeoisie vénézuélienne en accordant des crédits, des aides et des investissements à ces parasites qui se contentent d’importer à prix d’or les biens de consommation courante.
Tout ceci ne renforce pas la révolution, bien au contraire. Les dernières élections ont été marquées par un recul du PSUV. Elles ont montré l’effritement de la base chaviste, sous l’effet des scandales de corruptions, de l’inefficacité économique de la bureaucratie et du sabotage économique des capitalistes vénézuéliens, qui ne sont pas inquiétés.
La révolution vénézuélienne doit avancer de façon décisive. L’expropriation des grands monopoles privés, des banques et des latifundia, sous le contrôle des travailleurs, est le seul moyen de résoudre les problèmes les plus pressants de la masse de la population : le manque de logements, le chômage, l’inflation, la criminalité, etc. De telles mesures ranimeraient l’enthousiasme révolutionnaire des masses non seulement au Venezuela – mais au-delà, dans toute l’Amérique latine et à travers le monde. A l’heure de la crise du capitalisme et de la révolution arabe, l’abolition du capitalisme au Venezuela serait une source d’inspiration pour les travailleurs et la jeunesse du monde entier.