Le 17 décembre dernier, les députés du Parti Socialiste Unifié du Venezuela (PSUV) ont voté une nouvelle loi d’habilitation qui permet à Hugo Chavez de prendre des mesures rapides, par décret, au cours des 18 prochains mois. Le Président du Venezuela pourra légiférer dans les domaines suivants : infrastructure, transports, services publics, logement, finances, fiscalité, utilisation des terres urbaines et rurales, sécurité civile, défense nationale, coopération internationale et « système socio-économique ».
L’un des objectifs de cette loi est de répondre à l’urgence sociale provoquée par les récentes inondations, qui ont laissé 100 000 Vénézuéliens sans logement. Mais Chavez a clairement expliqué que son objectif dépasse la nécessité de répondre aux besoins immédiats des victimes de cette catastrophe naturelle. Dans son billet hebdomadaire,Las líneas de Chávez, le Président explique : « Il ne s’agit pas seulement de faire face aux conséquences des inondations. Il s’agit aussi de répondre à certains problèmes structurels, inhérents au modèle capitaliste, qui ont aggravé la crise actuelle. » (Últimas Noticias, le 19 décembre 2010).
L’oligarchie vénézuélienne a réagi avec fureur. Le journal d’opposition Tal Cual a écrit, en « une » : « Vers une dictature ». El Universal a comparé Chavez à Hitler et Mussolini. Les impérialistes américains ne sont pas en reste. Philip Crowley, porte-parole du Département d’Etat américain, a déclaré que cette loi d’habilitation « inquiète » son gouvernement, qui y voit une « atteinte à la volonté du peuple vénézuélien ». Une dépêche de l’agence Reuters affirme que « les banquiers et propriétaires se préparent à subir une nouvelle vague de nationalisations ».
Offensive contre les latifundia
La classe capitaliste craint de perdre ses propriétés et les privilèges qui vont avec. Cette crainte est fondée. Chavez a déjà pris des mesures contre les spéculateurs dans le secteur du logement, en nationalisant des entreprises de construction qui escroquaient des gens. Chavez a également pris des mesures contre 47 propriétaires terriens qui possédaient d’immenses terres dans le sud-ouest du pays. Cela fait partie d’une nouvelle offensive de la Réforme Agraire, qui jusqu’alors n’a redistribué que 3 millions d’hectares, sachant que dans la plupart des cas il s’agissait d’une reconnaissance formelle de rapports de propriété existant. Les organisations paysannes, dont le Front Ezequiel Zamora, ont demandé une accélération de la lutte contre les latifundia, dans le but de réduire la dépendance du Venezuela à l’égard des importations de nourriture.
Ces nouvelles expropriations ont rencontré la résistance des propriétaires terriens, qui ont notamment organisé des barrages dans le village de Santa Barbara. Ces actions sont soutenues par des dirigeants de l’opposition tels que le député Abelardo Díaz, qui a appelé les manifestants à bloquer l’autoroute pan-américaine, afin « d’envoyer un message au Président ». Hermann Escarrá – une autre figure de l’opposition – a appelé à une « grève illimitée » et à descendre dans la rue pour « manifester une résistance civile et militaire ». Le député Miguel Ángel Rodríguez en appelle à un « soulèvement populaire » contre les nouvelles expropriations.
A ce jour, il n’y a eu que des accrochages mineurs entre les propriétaires terriens et les soldats que le gouvernement a envoyés pour protéger les terres expropriées. Mais on peut s’attendre à de nouveaux actes de sabotage et de violence, comme ce fut le cas lors des expropriations de 2003.
L’opposition a appelé à une nouvelle marche pour « défendre la propriété privée », le 23 janvier prochain. Elle fera tout pour rallier les forces de la réaction et créer une situation de chaos et d’insécurité, à tous les niveaux de la société. Le nouveau Parlement se réunira le 5 janvier. La contre-révolution, qui y détient environ 40% des sièges, combinera probablement les actions parlementaires, légales, avec une agitation extra-parlementaire et violente.
Sanitarios Maracay
Chavez a également décrété l’expropriation de Sanitarios Maracay et Alven, deux usines de l’Etat d’Aragua. C’est une victoire pour les travailleurs. Les ouvriers de Sanitarios Maracay avaient occupé l’usine dès 2006, lors d’un conflit avec l’employeur sur des questions de santé et de sécurité. Face au sabotage patronal, ils ont commencé à produire sous contrôle ouvrier et ont demandé l’expropriation de l’usine. Chavez a expliqué que les usines d’Alven et de Sanitarios Maracay ont été ruinées par le capitalisme et qu’elles devraient être réactivées et intégrées au plan d’urgence de construction de logements (Sanitarios Maracay produit des sanitaires et Alven des portes et des fenêtres).
De fait, les dégâts provoqués par les pluies torrentielles ont été aggravés par le capitalisme, qui a forcé des centaines de milliers de Vénézuéliens à vivre dans des masures et des logements mal construits, sur les collines de Caracas et d’autres villes. Ce problème ne peut être résolu que par une intervention de l’Etat et une planification de l’économie. Toute l’industrie du logement devrait être nationalisée et placée sous le contrôle des salariés. Les entreprises Sidor et Sidetur (poutres et barres d’acier), l’industrie du ciment et l’entreprise Inaf (matériaux de plomberie) ont déjà été nationalisés. Mais les entreprises de construction sont toujours dans des mains privées, alors que ce secteur est connu pour ses pratiques mafieuses, sa corruption, etc. Elles devraient être nationalisées pour satisfaire les besoins du peuple – et non plus les profits d’une minorité.
Face aux problèmes de bureaucratie et de sabotage, comme par exemple dans les entreprises de ciment récemment nationalisées, il faut introduire le contrôle ouvrier de la production et organiser l’élection de délégués ouvriers dans chaque usine, qui formeront un large conseil ouvrier de cette industrie. Il devrait joindre ses forces à celles des organisations de locataires, des conseils communaux et du gouvernement national pour coordonner un plan d’urgence de construction de logements. Pour financer un tel plan, les banques et les compagnies d’assurance devaient être nationalisées.
Pour un plan socialiste de production
Cette loi d’habilitation est un grand pas en avant, dans la situation actuelle. Elle coupe court à toutes les excuses légales des réformistes qui ne veulent pas mener la révolution à son terme. C’est pour cela que les masses bolivariennes la soutiennent : elles y voient un instrument dans la lutte des classes. Le Front Ezequiel Zamora a d’ores et déjà déclaré son soutien total à cette loi.
Cela dit, il faut souligner qu’en elle-même, cette loi d’habilitation n’est pas la garantie d’un changement révolutionnaire. En 2007, l’année avait commencé par une loi d’habilitation, mais le gouvernement l’avait insuffisamment utilisée. Moins de 12 mois plus tard, l’opposition avait réussi à remporter une courte victoire lors du référendum sur la Réforme Constitutionnelle. Si, cette fois-ci, la loi d’habilitation n’est pas utilisée pour s’en prendre sérieusement au capitalisme, cela génèrera une énorme déception dans la masse des travailleurs, des paysans et des pauvres.
Il est clair que la pression d’en bas a joué un rôle clé dans cette décision de Chavez. Il a récemment expliqué avoir écouté les demandes et aspirations des milliers de personnes qui vivent dans des camps de réfugiés, à la suite des inondations. Par ailleurs, il y a eu récemment des manifestations de paysans et de travailleurs demandant une radicalisation de la révolution.
La loi d’habilitation doit être rapidement utilisée dans le but de nationaliser les banques, l’industrie, le secteur agro-alimentaire et la terre. Il faut un plan socialiste de construction de logements et d’infrastructures. De même, un décret légalisant les comités d’usine et généralisant le contrôle ouvrier de la production rencontrerait une réponse enthousiaste de la classe ouvrière, qui prendrait l’initiative d’occuper les usines et mettrait un terme au sabotage patronal.
Patrick Larsen (PSUV), à Caracas, le 21 décembre