Roberto Chavez, secrétaire général de la FSTBM (le Syndicat des mineurs boliviens), répond aux questions d’Alan Woods – éditeur de www.marxist.com – sur la situation des mineurs et leur rôle dans la lutte des classes en Bolivie. Ses propos montrent l’état d’esprit des mineurs boliviens, et leur désir d’un changement radical dans le pays.
AW : Quelle est la situation politique, aujourd’hui, en Bolivie ?
R.C : La droite cherche à déstabiliser le gouvernement – en vain jusqu’alors. Bien qu’Evo Morales ait gagné les élections, la droite a une certaine force au Sénat. Elle utilise cette position pour saboter le sessions et la législation.
Ils ont manœuvré contre la nouvelle loi agraire. Mais nos camarades paysans ont organisé une marche dans tout le pays. Les grands propriétaires terriens traitent les paysans comme des esclaves. La droite cherche à miner la réforme agraire, mais en même temps, il lui manque une base sociale à mobilier.
L’oligarchie s’efforce pourtant de mobiliser contre le gouvernement. Ils sont férocement engagés dans la lutte contre la nouvelle loi sur le gaz et le pétrole. Un grand capitaliste, Samuel Doria Medina, qui est à la tête d’une entreprise de ciment, a même engagé une grève de la faim « en défense de la propriété privée. »
A ce stade, cela n’a pas eu beaucoup d’effet. La droite – c’est-à-dire l’oligarchie de Santa Cruz – a dépensé des millions de dollars pour essayer de mobiliser, sans résultat réel. Le peuple y a vu une menace. Les gens ont compris que derrière tout le baratin sur la « défense de la démocratie », il y a la défense des intérêts de l’oligarchie.
AW : Et quelle est la situation du gouvernement Morales ?
R.C : Evo décrit son gouvernement comme un « gouvernement du peuple », mais nous n’avons pas un véritable gouvernement des travailleurs. Il y a de sérieuses contradictions dans sa politique, comme au sein du gouvernement lui-même. Evo a clairement commis une erreur en formant une alliance avec des gens liés, par le passé, à l’oligarchie. Je pense notamment à ces petits hommes d’affaire qui appellent leur business une « coopérative ».
Prenez le Vice Président, Alvaro Garcia Linera, par exemple. C’est un ancien guerillero, mais aujourd’hui c’est un social-démocrate. Il est aux côtés d’Evo, mais il reste en contact avec la droite. C’est un homme intelligent et cultivé, mais il n’est pas sur les mêmes positions qu’Evo sur des questions comme le gaz et le pétrole. Et dans les faits, il travaille contre Evo.
Morales a le soutien des paysans et des indigènes. Certains disent que les mineurs boliviens ne sont plus l’avant-garde de la classe ouvrière. Mais ce n’est pas vrai. Les mineurs restent l’avant-garde de la classe ouvrière, et nous somme plus que jamais déterminés à défendre les intérêts du peuple. Ce que la masse attend, c’est ce pourquoi elle a voté en octobre 2003 : un gouvernement ouvrier.
Ceci-dit, nous devons tenir compte la masse des paysans pauvres et d’autres couches de la population, qui étaient complètement négligés par l’oligarchie.
AW : Quels sont les rapports entre le Syndicat des Mineurs (FSTMB) et le gouvernement ?
R.C : Comme vous le savez, la FSTMB est pour une politique de classe, comme le montrent les documents de notre dernier congrès. Nous ne pouvons entrer en coalition avec des partis qui n’acceptent pas ces positions. Lorsque Morales a constitué son gouvernement, nous lui avons demandé de mettre en œuvre le programme de 2003. Nous voulons du changement et nous nous sommes battus pour. Mais comme le demandait notre propre base militante, nous ne sommes pas entrés dans le gouvernement. Morales nous a demandé d’y entrer, et nous a même offert le ministère des mines. Nous avons dit : « Non, mais nous sommes prêts à discuter de mesures concrètes pour l’industrie minière. »
Evo Morales est venu nous voir. Il a dit : « J’ai beaucoup de respect pour la FSTBM. Les mineurs sont l’avant-garde de la classe ouvrière. » Nous lui avons dit : « Si vous voulez notre soutien, appliquez le programme de 2003. Vous devez nationaliser les richesses du pays. C’est la seule politique conforme aux intérêts de la classe ouvrière et des classes moyennes. Si vous engagez cette politique, nous participerons au processus. »
AW : Que pensez-vous de la loi sur le gaz et le pétrole ?
R.C : Ce n’est pas exactement ce que nous demandons. Evo dit : « Peu à peu, nous mettrons en œuvre de véritables nationalisations. » Mais la politique du gouvernement n’est pas claire. Nous avons des mines d’Etat, mais aussi des « coopératives ». Morales avait donné le ministère des mines à un représentant des coopératives – Walter Villarreal. C’était un développement négatif. Nous lui avons dit : « Tu aurais dû choisir quelqu’un qui connaît vraiment l’industrie minière, pas un technocrate. »
AW : Quelle est la condition des mineurs boliviens, et que fait le gouvernement pour l’améliorer ?
R.C : La condition des travailleurs boliviens est incroyablement mauvaise. Leur travail est dur, dangereux, et entraîne de sérieux dommages pour la santé. Il suffit de rappeler que l’espérance de vie d’un mineur est de 40 à 45 ans. Nombreux sont ceux qui commencent à 15 ans. Après 30 années au fond, leur santé est ruinée.
Evo fait certaines bonnes choses. Il essaye par exemple de modifier la loi sur les retraites. Par le passé, un mineur pouvait prendre sa retraite à 50 ans, une femme à 45, ce qui est entièrement justifié par la dureté des conditions de travail dans les mines. Aujourd’hui, après avoir cotisé toute leur vie à une caisse de retraite, les mineurs ne touchent rien !
La loi actuelle fixe l’âge de la retraite à 70 ans. Cela signifie que la plupart des mineurs meurent avant la retraite. Et lorsqu’un mineur meurt avant d’avoir atteint l’âge de la retraite, ils disent à sa veuve : « Avant de toucher quelque chose, vous devez attendre l’année où votre mari aurait eu l’âge de la retraite. » J’espère que le gouvernement abolira cette injustice et introduira une nouvelle loi sur les retraites.
AW : Quelle est la position du syndicat sur les nationalisations ?
R.C : Nous considérons les nationalisations comme une conquête de la classe ouvrière, qui doit être défendue. Lozada avait privatisé les mines – de façon sournoise et déguisée, par le biais des « coopératives »…
AW : Il y a eu des affrontements violents entre mineurs, à Huanuni, en octobre dernier. Comment expliquez-vous ces affrontements, et qu’y a-t-il derrière ?
R.C : La cause fondamentale de ce conflit, c’est le fait qu’Evo a donné le ministère des mines à un représentant des coopératives, Walter Villaroel. Ce dernier, appuyé par les dirigeants des coopératives à l’échelle nationale, est le véritable responsable des évènements de Huanuni.
Huanuni est une région minière importante. Dans les années 80, ils ont mené une politique de privatisation. Mines privées et coopératives se sont multipliées. C’était un développement négatif.
La condition des mineurs est dure, en général, mais au moins, dans les mines d’Etat, il y a une législation du travail. A l’inverse, les travailleurs des coopératives sont théoriquement « indépendants » (sans autre employeur qu’eux-mêmes). Il n’y a aucune espèce de contrôle ou de régulation. On dit aux mineurs : « Descendez là-dedans et remontez-en ce que vous pouvez. » Il n’y a pas de règles sanitaires ou de sécurité. Enfin, dans les mines d’Etat, les salaires sont beaucoup plus élevés que dans les coopératives, où il n’y a d’ailleurs pas de retraites.
Les propriétaires des mines privées veulent prendre le contrôle des mines d’Etat par la force. Ils ont organisé un violent assaut sur les mines d’Etat. C’était une attaque sérieuse, avec de la dynamite et d’autres armes. L’affrontement fut sanglant. Les travailleurs des mines d’Etat se sont défendus, et il y a eu de nombreux morts et blessés. Mais nous avons eu le dessus.
Après la bataille, les blessés ont été pris en charge, et aujourd’hui, la plupart sont retournés au travail. Nous avons soutenu les familles endeuillées. Tout cela en valait-il la peine ? La mort de camarades est une tragédie. Mais il fallait faire ce sacrifice pour défendre les intérêts des mineurs et les nationalisations. Par ailleurs, nous avons réussi à gagner la plupart des mineurs qui travaillaient précédemment dans les coopératives. Nous leur avons proposé de les intégrer dans les mines d’Etat, avec de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail.
AW : Quel est le bilan de la bataille de Huanuni ?
R.C : Evo Morales nous a dit : « C’est une tragédie. » Nous lui avons répondu : « Oui, et tu en es partiellement responsable. » Nous avons proposé au gouvernement une solution politique au problème de Huanuni : toutes les concessions minières à venir devrait être données aux compagnies d’Etat. Cela a été finalement accepté, et la plupart des camarades, désormais, travaillent dans les mines nationalisées.
AW : Quelles sont les perspectives pour la Bolivie ?
R.C : Les élections n’ont pas résolu grand chose. Evo Morales n’a pas de majorité au Congrès, et les choses sont pires au Sénat. L’oligarchie et la droite vont se battre pour défendre leurs intérêts. Nous devons les combattre. Les masses vont jouer un rôle décisif dans ce processus. Nous lutterons contre le droite, tout en faisant pression sur le congrès pour pousser à des changements structurels.
Il faut un changement radical. Il n’y a aucune raison pour qu’un pays aussi riche en ressources soit si pauvre, et à l’avenir, la Bolivie ne sera plus un pays pauvre. Mais pour atteindre nos objectifs, nous devons nous battre, et la lutte n’est pas terminée. Camarades ! La lutte doit continuer ! Avec le soutien de nos camarades des autres pays, je suis sûr que nous vaincrons !