Au lendemain de sa victoire électorale massive, le 3 décembre dernier, Hugo Chavez a annoncé une série de mesures radicales contre le capitalisme vénézuélien, dont la nationalisation de plusieurs grandes entreprises et la formation du Parti Socialiste Unifié du Venezuela. Chavez a également insisté sur l’idée que la révolution bolivarienne devait « réaliser le socialisme », et a ouvertement critiqué la bureaucratie réformiste qui mine le processus révolutionnaire. La presse capitaliste mondiale a parfaitement interprété ces discours comme un nouveau tournant vers la gauche. Quatre mois plus tard, où en est-on ? Après les annonces, quelles ont été les réalisations pratiques ?
Sabotage patronal
Dès le mois de janvier 2007, l’oligarchie vénézuélienne a réagi à la réélection de Chavez en augmentant les prix de biens de première nécessité. L’inflation a bondi en janvier. L’indice de pénurie de la Banque Centrale du Venezuela est passé de 9,2%, en décembre, à 14,3% le mois suivant. Cette situation était le résultat aussi bien d’une spéculation économique que d’un sabotage conscient, de la part des capitalistes. Le fait est que la politique sociale de Chavez pèse sur les marges de profit de la classe dirigeante, qui en réponse refuse de produire et d’investir, quand elle ne se livre pas à un sabotage économique pur et simple, dans le but d’affaiblir le pouvoir. Par exemple, des capitalistes du secteur agro-alimentaire ont caché leurs marchandises, refusé de les mettre sur le marché, et fait circuler le bruit – repris par les grands médias privés – que leurs stocks étaient épuisés.
Nous touchons ici à une contradiction centrale de la révolution vénézuélienne. Il faut savoir que le gouvernement a fait voter une loi qui impose une limite à l’inflation des produits de base. C’est évidemment une loi progressiste, qui vise à sauvegarder le pouvoir d’achat des masses. Mais les capitalistes contrôlent toujours des secteurs décisifs de l’économie vénézuélienne, et entendent bien se servir de cet énorme pouvoir économique pour imposerleur loi.
La seule réponse efficace au sabotage patronal, c’est l’expropriation des capitalistes qui s’y livrent. De fait, Chavez a exproprié Fricapeca, une entreprise de conservation de viande. Les masses vénézuéliennes appuient de telles mesures avec enthousiasme. Il faut les généraliser. Mais la direction du mouvement bolivarien est constituée, pour une part significative, de réformistes qui refusent obstinément d’engager la révolution dans cette voie. Les décisions de Chavez et des dirigeants les plus révolutionnaires du mouvement bolivarien sont sans cesse entravées par des éléments pro-capitalistes qui, dans l’appareil d’Etat et au sommet des partis, militent pour une politique de « compromis » avec l’oligarchie et l’impérialisme.
A cela s’ajoute un autre facteur : les grandes ressources générées par l’industrie pétrolière permettent, dans une certaine mesure, de contourner le problème. Par exemple, le gouvernement a réagi à la pénurie de produits alimentaires en recourrant à des importations massives. De cette façon, un certain équilibre a été restauré, sur le marché intérieur. Mais cette politique a ses limites, et génère de nouvelles contradictions. Par exemple, un retournement du marché mondial, et notamment du marché pétrolier, réduirait considérablement la marge de manœuvre de Chavez. Il n’y a pas de solution durable sur la base du capitalisme.
Les nationalisations
Début février, le gouvernement a nationalisé CANTV – une grande entreprise de télécommunications – et Electricité de Caracas. En décembre, Chavez avait annoncé que ces entreprises seraient expropriées, et que l’éventuelle indemnisation des capitalistes serait étudiée après coup. Mais sous la pression du sabotage économique et des secteurs réformistes de l’appareil d’Etat, le gouvernement a acheté les deux entreprises à un prix « raisonnable ».
Ces nationalisations sont des mesures progressistes, que nous devons appuyer. Cependant, l’indemnisation des capitalistes est à juste titre perçue par de nombreux vénézuéliens comme un compromis inutile. Les patrons ont accumulé des fortunes colossales en exploitant les travailleurs. Leur indemnisation apparaît comme une dépense superflue, au regard des besoins brûlants des masses vénézuéliennes. Et après tout, il ne sera pas possible de construire le socialisme en rachetant toute l’économie capitaliste !
En outre, la nationalisation ne suffit pas, en elle-même. Les entreprises nationalisées doivent être placées sous le contrôle démocratique des salariés. Si les entreprises nationalisées devaient tomber sous le contrôle de la bureaucratie d’Etat, ce serait une catastrophe pour la révolution. L’expérience elle-même a déjà montré, au Venezuela, que cette bureaucratie joue un rôle contre-révolutionnaire, se livrant parfois ouvertement au sabotage. Elle est liée, par mille fils visibles ou invisibles, à la classe dirigeante et à l’impérialisme. On ne peut pas lui faire confiance.
Les travailleurs d’Inveval, nationalisée en 2005, en savent quelque chose. Cette entreprise, qui fonctionne sous le contrôle et la direction des ouvriers, est spécialisée dans la réparation des valves de l’industrie pétrolière, la PDVSA. Mais depuis le mois de mars, la bureaucratie de la PDVSA a signifié aux travailleurs d’Inveval qu’ils ne recevraient plus de valves à réparer. Cela veut dire la mort d’Inveval.
Il est absolument clair que cette décision a été prise par les éléments réformistes de la direction de la PDVSA, qui veulent miner l’expérience du contrôle ouvrier en cours chez Inveval. De même, malgré la mobilisation exemplaire des salariés de Sanitarios Maracay, une entreprise qui produit des sanitaires et qui fonctionne désormais sous le contrôle des salariés, la bureaucratie d’Etat refuse de procéder à sa nationalisation.
Le Parti Socialiste Unifié
Chavez a parfaitement conscience des dangers que la bureaucratie fait peser sur la révolution. Dans ses discours, il la cible de plus en plus ouvertement. Et c’est pour s’attaquer à ce problème qu’il a engagé le processus de formation du Parti Socialiste Unifié du Venezuela (PSUV) – que les médias capitalistes, en France et ailleurs, se sont empressés de présenter comme une tentative de créer un parti unique. Mais passons sur cet énième mensonge de nos médias « indépendants ». L’objectif de Chavez est assez clair : il s’agit de réunir l’avant-garde révolutionnaire dans un Parti véritablement démocratique et socialiste, débarrassé des éléments pro-capitalistes des différents partis de gauche qui se disputent sans cesse des postes, des positions éligibles – et qui foulent au pied les aspirations révolutionnaires de leur base électorale. C’est une tentative de briser le pouvoir de la bureaucratie, de placer fermement les leviers du processus révolutionnaire entre les mains du peuple.
A partir du mois d’avril, des bataillones (groupes de base) du PSUV doivent être formés dans tout le pays. Ils sont censés décider qui dirigera le parti. A partir du mois d’août, et jusqu’à la fin de l’année 2007, les congrès locaux et national du PSUV doivent se tenir pour fixer les règles de fonctionnement et le programme du parti. Ce processus verra d’énormes conflits entre les deux ailes – réformiste et révolutionnaire – du mouvement.
Dores et déjà, l’initiative de Chavez a provoqué une onde de choc dans la gauche vénézuélienne. Trois partis officiellement pro-chavistes – le Parti Communiste (PCV), Patria Para Todos (PTT) et Podemos – ont annoncé leur refus de se dissoudre dans le Parti Socialiste Unifié. La raison en est simple : leurs dirigeants craignent de perdre leurs divers postes et mandats. Mais ce faisant, ils prennent des risques énormes. Chavez a déclaré que ceux qui refusent la dissolution font le jeu de l’opposition. Etant donnée l’énorme autorité politique du Président, les partis en question sont menacés d’être marginalisés, s’ils s’obstinent à rester en dehors du PSUV.
Dans tous les cas, ces conflits reflètent la polarisation de classe qui se développe, au sein du mouvement bolivarien, entre ceux qui veulent « marquer une pause », dans le processus révolutionnaire, et ceux qui veulent aller jusqu’au socialisme. En dernière analyse, la victoire – ou la défaite – de la révolution vénézuélienne dépendra de l’issue de cette lutte.