Les Vénézuéliens sont confrontés à une situation économique qui s’est dramatiquement détériorée durant Noël. Les problèmes déjà présents ont empiré : les prix se sont envolés hors de tout contrôle, le système de transport s’est effondré, et les pénuries (de nourriture, de combustible, et de cash) s’accentuent, menant à des manifestations diverses et à des pillages.
L’élection de l’Assemblée Nationale Constituante, en juillet 2017, avait soulevé de nombreux espoirs parmi les masses bolivariennes, qui attendaient des mesures pour résoudre les problèmes économiques auxquels elles font face. Elles ont été cruellement déçues. Les lois, les projets et les annonces à grand bruit se sont succédé, alors que, la situation empire sur le terrain.
Manifestations et pillages
Pour encourager la participation aux élections municipales du 10 décembre, le gouvernement et la direction du PSUV avaient lancé toutes sortes de promesses (distribution de colis alimentaires par les CLAPs, livraisons spéciales de nourriture pour Noël, etc.), mais beaucoup n’ont pas été tenues. Suite à l’exaspération engendrée par cette situation, des manifestations ont éclaté avant Noël, sous forme de petits rassemblements de voisinage à travers tout le pays. Les habitants sont sortis spontanément pour protester contre l’augmentation du prix des transports, le manque de nourriture, les coupures d’électricité, le manque de combustible… Ces manifestations se sont intensifiées durant la dernière semaine de 2017 et, dans certains cas, des tentatives de pillages ont été rapportées. Les Vénézuéliens protestaient contre l’absence de livraison des colis de nourriture des CLAP subventionnés par le gouvernement ainsi que du traditionnel pernil (jambon) de Noël. Il faut souligner que ces manifestations ont principalement eu lieu dans des zones chavistes et n’avaient rien à voir avec l’opposition de droite. Elles se sont produites dans les Etats de Aragua, Nueva Esparta, Bolívar, Anzoátegui, Portuguesa, Guárico, Aragua, Táchira et à Caracas, la capitale.
La situation s’est détériorée avec la nouvelle année : il y a eu des cas de pillage d’entrepôts de nourriture et de supermarchés, ainsi que des attaques contre des convois de nourriture. A Cagua, dans l’Aragua, les habitants ont dressé des barricades et réquisitionné la nourriture des camions qui circulaient. Des pillages (ainsi que d’autres formes de protestation) se sont produits dans au moins six Etats, tous liés au manque de nourriture et à l’absence d’autres produits de base.
Les incidents les plus graves ont eu lieu sur la Panamericana, au nord de Merida, les 11 et 12 janvier. Dans plusieurs villes, des supermarchés ont été pillés, des convois attaqués, et dans un cas, des centaines de
personnes se sont introduites dans une ferme, tuant et emportant au moins cent bœufs. Durant ces incidents, quatre personnes ont été tuées et quinze blessées. Les circonstances sont encore floues ; certains rapports font état d’hommes lourdement armés (peut-être des paramilitaires) qui ont ouvert le feu contre les pilleurs d’Arapuey.
Le 16 janvier, un camion qui transportait des poulets vivants est tombé dans un blocage routier à Villa de Cura, dans l’Aragua. Des habitants ont surgi et ont pillé le camion, emportant les poulets. Le 18 janvier, un bateau de pêche plein de sardines a été vidé avant de pouvoir atteindre le rivage de Margarita Island.
Il est clair que dans toute situation de manifestations et de pillages spontanés des éléments criminels se retrouvent impliqués, avec leurs propres motifs. On a ainsi assisté à des pillages de magasins de liqueur et d’autres dont la raison n’était à l’évidence pas la quête désespérée de nourriture. Néanmoins, il faut noter que ces événements ont eu lieu en très grande majorité dans des zones pauvres et ouvrières qui supportent traditionnellement la révolution bolivarienne, et qu’ils ont été motivés par des revendications légitimes ainsi que par le manque de nourriture. Ils constituent l’expression désespérée de la colère des gens ordinaires et des pauvres. L’opposition a rapidement dénoncé les pillages et s’est clairement prononcée pour la défense de la propriété privée.
L’échec des tentatives violentes de l’opposition pour renverser le gouvernement entre mars et juillet 2017, ainsi que le reflux consécutif au sein du mouvement contre-révolutionnaire, ont probablement encouragé les gens à protester plus ouvertement, du fait qu’il n’y a plus le risque d’être assimilé à une opposition qu’ils détestent.
Augmentation des prix
L’augmentation brutale des prix après le Nouvel An a joué un rôle majeur dans le déclenchement des manifestations et s’est posée comme le principal problème que les travailleurs doivent affronter. Quelques exemples : la farine de maïs a augmenté de 15 000 bolivars par kilo en octobre à 60 000 bolivars ; 500 grammes de margarine sont passés de 65 000 bolivars en décembre à 120 000 en janvier ; un kilo de viande coûtait 26 000 bolivars en septembre et maintenant 280 000 bolivars ; le poulet était vendu à 25 000 bolivars le kilo en octobre, 85 000 bolivars en décembre et 180 000 bolivars maintenant.
Ces augmentations ont eu lieu alors que le gouvernement annonçait une augmentation du salaire minimum. Il était de 177 000 bolivars, auquel il faut ajouter des tickets alimentaires d’une valeur de 279 000 bolivars (soit un total de 465 000 bolivars) ; il a augmenté à 248 000 bolivars plus des tickets d’une valeur de 549 000 bolivars (soit un total de 797 000 bolivars). Mais ces fréquentes augmentations de salaire sont annulées par l’inflation. Dans ce cas particulier, lorsque l’annonce de l’augmentation a été faite, les supermarchés ont retiré leurs produits pour les remettre en vente, au double de leur prix, une fois entrée en vigueur. [1]
En plus de la hausse des salaires, le gouvernement a annoncé une série d’avantages spéciaux et de bonus pour Noël, le Nouvel An et la nativité, à destination de 8 millions de familles. Dans son discours du Nouvel An à l’Assemblée constituante, le président Nicolas Maduro a annoncé une nouvelle série de mesures, dont une qui bénéficierait à 4 millions de familles (320 000 bolivars pour une famille de deux personnes, à 1 million de bolivars pour une famille de six personnes) ainsi qu’une nouvelle allocation de grossesse de 700 000 bolivars par mois.
Le problème de ces mesures est double : premièrement, elles ne s’attaquent ni à l’approvisionnement ni à la production ; deuxièmement, elles sont financées par l’émission de monnaie supplémentaire, ce qui en retour alimente l’inflation.
L’augmentation de la masse monétaire a atteint des niveaux inégalés : entre les élections du 10 décembre et la fin de l’année, la mesure M2 de la masse monétaire a augmenté de 26 %. Entre les élections régionales du 15 octobre et la fin de l’année, de 163 % ; entre l’élection de l’assemblée constituante et la fin de l’année, de 466 %. Au cours de l’ensemble de l’année 2017, la masse monétaire a bondi de 1 121 % [2] ! Malgré les protestations des économistes présents au sein du gouvernement, il est clair que l’augmentation massive de la masse monétaire dans un contexte de forte contraction économique est une des causes principales de l’actuelle spirale d’hyperinflation.
Les raisons des pénuries
En parallèle, l’approvisionnement du marché vénézuélien a été touché par une série de facteurs, au rang desquels l’effondrement de l’économie vénézuélienne pour la quatrième année consécutive. Selon les chiffres officiels, la croissance du PIB était de - 3,9 % en 2014 ; - 6,2 % en 2015 et - 16,5 % en 2016 [3]. Bien qu’il n’y ait pas encore de chiffres officiels pour 2017, le CEPAL avance - 9,5 %, ce qui représenterait une contraction de l’économie d’au moins un tiers depuis 2014.
Le principal facteur de cet effondrement est bien évidemment la chute du prix du baril de pétrole, de 100 dollars le baril en 2013 à 35 dollars en 2016. Le léger rétablissement à 56 dollars fin 2017 a été contrebalancé par la chute de la production due à un manque d’investissement dans la maintenance et le renouvellement des équipements (ainsi qu’à un sabotage ouvert et à la corruption). La production vénézuélienne de pétrole a chuté de 2,8 millions de barils par jour à 1,6 million en décembre 2017. Pour un pays qui tire 96 % de ses devises des revenus de l’exportation du pétrole, cela a de lourdes conséquences sur les finances publiques et la capacité du pays à importer des aliments et d’autres produits de base.
De leur côté, les réserves en devises étrangères ont fondu de 30 milliards de dollars en 2012 à 22 milliards en 2014 et moins de 10 milliards aujourd’hui. Les importations du pays se sont effondrées, d’une valeur totale de 57 milliards de dollars en 2013 à 47 milliards en 2014, 33 milliards en 2015 et 16 milliards en 2016 [4]. Les chiffres pour 2017 ne sont pas encore publiés, mais l’on peut s’attendre à une chute supplémentaire. Pendant ce temps, les revenus décroissants en devises étrangères ont été utilisés par le gouvernement pour rembourser ponctuellement ses obligations étrangères. Dans un discours du 8 janvier, au cours duquel le président Maduro a tiré un bilan de 2017, il a expliqué que le Venezuela avait payé 74 milliards de dollars de dette étrangère.
C’est bien évidemment un facteur majeur créant de la pénurie, qui à son rend la contrebande, le racket, le marché noir et l’ensemble de la corruption si rentables. Y sont impliqués des membres du gouvernement, des capitalistes et des officiers militaires travaillant dans l’appareil d’Etat et dans les compagnies publiques à tous niveaux. L’enrichissement obscène de ces individus sans scrupules ajoute de la rage aux gens ordinaires qui doivent déjà endurer les conséquences des pénuries.
Confronté à l’effondrement des revenus du pétrole, le gouvernement a eu recours à la planche à billets. Selon les chiffres officiels, le déficit était de 8,8 % du PIB en 2014, 10,3 % en 2015 et 17 % en 2016. Et la masse monétaire a augmenté de 64 %, 100 % et 156 % sur ces trois années, avec un record de 1 121 % en 2017 [5].
Les Etats-Unis ont rajouté de l’huile sur le feu de l’économie vénézuélienne en lui imposant des sanctions ciblées, qui affectent principalement la capacité du gouvernement à contracter de nouvelles dettes ou à renégocier la dette actuelle, ainsi que la capacité des compagnies étrangères à payer le gouvernement vénézuélien. Le but est d’asphyxier le gouvernement, jusqu’à la soumission.
L’absence d’une monnaie forte a augmenté la valeur du dollar, qui est devenu un objet de spéculation. Le système officiel grâce auquel le gouvernement alloue des dollars aux importateurs à un taux préférentiel est devenu une forme extrêmement lucrative de fuite des capitaux. Les importateurs, de mèche avec les représentants du gouvernement, recevaient un dollar pour 10 bolivars à une époque où le prix du marché noir était de 10 000 bolivars pour un dollar. Bien entendu, plutôt que d’utiliser cet argent pour importer, les dollars préférentiels subventionnés par le gouvernement se retrouvaient au marché noir ou sortaient directement du pays. Selon certains calculs, 300 milliards de dollars ont ainsi été siphonnés sur une période de 15 ans par les capitalistes, les hommes d’affaires et les membres corrompus du gouvernement.
Ce système s’est presque effondré mais n’a été remplacé par aucun autre. L’année dernière, le gouvernement a organisé des ventes aux enchères de dollars à travers le système DICOM, où le taux de change a atteint 10 000 bolivars par dollar ; mais sur le marché noir, ce taux était alors de 23 000 bolivars. DICOM a été fermé en septembre car le gouvernement n’était plus capable d’y investir de l’argent. Depuis, le taux de change du dollar sur le marché noir a bondi à plus de 200 000 bolivars.
Alors que le gouvernement dénonce la manipulation des prix du marché noir par ceux qui essayent de ruiner l’économie vénézuélienne, à travers le site DollarToday, il est clair que sans une certaine demande pour ces dollars, même à un tel prix, personne n’accepterait une telle manipulation du marché. Nous assistons à une dévaluation massive du bolivar, qui est bien sûr l’autre face de l’inflation. En retour, cela aggrave l’inflation dans un pays qui importe la majorité des biens qu’il consomme.
En plus de ces problèmes, la crise économique a eu un impact négatif sur toute une série de secteurs, des transports publics au système de santé. L’ensemble de ces éléments a poussé un nombre important de Vénézuéliens à émigrer vers d’autres pays d’Amérique Latine, l’Europe et les Etats-Unis. Bien évidemment, ce phénomène concerne les classes moyennes et les travailleurs qui ont assez d’argent pour payer un billet d’avion et déménager.
Contrairement à ce que les médias capitalistes clament, la crise économique au Venezuela n’a rien à voir avec un « échec du socialisme ». Bien au contraire. En 2003, le président Chavez avait introduit une série de mesures visant à réguler le capitalisme après un lock-out pétrolier extrêmement destructeur, organisé par l’opposition réactionnaire et la grande industrie. Le contrôle du change et des prix a été mis en place pour empêcher la fuite des capitaux et protéger les familles travailleuses de l’inflation et de la spéculation. Le gouvernement avait également introduit une interdiction de licenciements. Mais le capitalisme ne peut pas être régulé ; ses représentants ont trouvé différentes façons, légales et illégales, de contourner les contrôles existants.
Tant que le gouvernement possédait encore de nombreux fonds, l’impact négatif de ces contrôles ne se voyait pas. Le gouvernement pouvait utiliser les revenus des exportations de pétrole pour importer de la nourriture et garantir l’approvisionnement en aliments subventionnés pour les travailleurs et les pauvres. Dès que le prix du pétrole s’est effondré, le gouvernement n’a pu se permettre de continuer. Si les capitalistes refusent de produire des aliments – car ils devront les vendre à des prix régulés – et si le gouvernement ne peut plus importer de la nourriture pour la vendre à ces prix régulés, les pénuries éclatent.
Ce qui a échoué au Venezuela, ce n’est pas le socialisme, mais la tentative de réguler le capitalisme pour le mettre au service des travailleurs. Il n’y a que deux solutions à cette crise : la première serait de lever tous les contrôles et laisser l’économie capitaliste fonctionner « normalement », ce qui veut dire pour le profit privé. Ce serait un désastre total pour les travailleurs et les pauvres. La nourriture reviendrait sur les étals des supermarchés mais à des prix inabordables. On assisterait également à des licenciements massifs dans les secteurs privé et public.
Jusque-là, la politique du gouvernement a été une combinaison de concessions au secteur privé (les prix régulés ont presque été abolis et vont maintenant être remplacés par des prix « convenus »), d’impression massive de monnaie pour subventionner l’augmentation des salaires, et de subventions alimentaires ciblées (à travers les colis alimentaires des CLAPs). Cette politique ne résout pas le problème des travailleurs, qui voient leurs revenus dévorés par l’inflation, mais ne satisfait pas non plus la classe capitaliste, qui demande une levée complète de toutes les régulations et le redémarrage de la production.
Impact politique
La crise économique et l’incapacité du gouvernement à y faire face, en dépit de grandioses annonces, a eu un impact sévère sur le soutien à la révolution bolivarienne. C’est ce qui a mené à la défaite aux élections de l’Assemblée nationale en décembre 2015. La caractéristique de 2017 est que, sous le fouet de la contre-révolution, l’esprit révolutionnaire des masses s’est ravivé, et s’est notamment exprimé lors de la participation massive à l’élection de l’Assemblée constituante.
Un noyau dur de la population, environ 30 %, reste fidèle à l’esprit révolutionnaire du chavisme. Malgré sa violence campagne au début de 2017, l’opposition n’a pas réussi à faire pencher les travailleurs et les pauvres de son côté. Guidées par un instinct de classe très sain, les masses savaient que l’arrivée au pouvoir d’une opposition réactionnaire et pro-impérialiste n’aurait pas résolu les problèmes de pénurie.
La bureaucratie du PSUV et de l’Etat en a tiré de mauvaises conclusions. Elle a cru que le soutien des masses était acquis, et a voulu les mobiliser à travers deux campagnes électorales supplémentaires : pour les gouverneurs régionaux en octobre et pour les conseils municipaux en décembre. Entre temps, aucun des problèmes auxquels la population est confrontée n’a été traité. La corruption rampante, l’inflation galopante et les pénuries n’ont pas faibli.
A l’occasion des élections d’octobre et de décembre, il y avait déjà un courant d’opposition critiquant la direction pour avoir échoué, une nouvelle fois, à s’attaquer à la crise économique. Les membres officiels du PSUV ont traversé ces élections grâce au clientélisme : les candidats PSUV ont promis des colis alimentaires CLAP et d’autres subventions pour mobiliser leur électorat. Aux yeux de militants révolutionnaires, ces pratiques sont répugnantes ; elles sont identiques à celles qu’Accion Democratica (la social-démocratie, NDT) utilisait sous la Quatrième république pour acheter des voix.
En outre, lors des élections municipales, le PSUV et l’appareil d’Etat ont eu recours à des méthodes non démocratiques pour étouffer les tentatives de certains candidats bolivariens de gauche [6] qui s’opposaient aux candidats officiels. Cela concerne un nombre isolé de cas mais a eu un profond impact sur l’avant-garde révolutionnaire impliquée dans ces campagnes, à Caracas et dans une demi-douzaine d’autres conseils locaux (principalement en zones rurales).
Les dirigeants du parti sont vus de plus en plus comme d’impitoyables bureaucrates qui ne veulent rester en place que par amour du pouvoir et qui sont incapables de résoudre les problèmes auxquels les masses sont confrontées. Ce qui nourrit également la vague actuelle de protestations.
Alors que les masses souffrent de la crise, le gouvernement s’engage dans des discussions avec l’opposition réactionnaire, en République Dominicaine. Nombreux sont ceux qui se demandent pourquoi le gouvernement est en train de parler à ces terroristes plutôt que de dialoguer avec les pauvres, les travailleurs, les paysans… Et la peur est grande d’une répétition de l’infâme pacte de Punto Fijo de 1958 : un accord entre élites pour partager le pouvoir.
Les discussions en République Dominicaine sont centrées sur un certain nombre de questions : l’une est la reconnaissance de l’Assemblée constituante par l’opposition en échange de la reconnaissance de l’Assemblée nationale par le gouvernement. Une autre concerne les conditions dans lesquelles aura lieu l’élection présidentielle de 2018, et la composition du Conseil National Electoral qui la supervisera.
On ne peut dire avec certitude si un accord sera trouvé. Le gouvernement a courtisé une partie de l’opposition (Un Nuevo Tiempo de Manuel Rosales) ; d’autres, comme l’Accion Democratica de Ramos Allup, sont tellement prêts à tout pour partager le pouvoir, qu’ils pourraient également être inclus ; d’autres sont totalement opposés à tout accord avec le gouvernement et soutiennent le renversement violent de la « dictature » (surtout ceux autour de Maria Corina Machado). Entre ces deux ailes se trouve le reste de la MUD (Table d’Unité Démocratique), composé de partis qui vacillent d’une position à l’autre. En réalité, pour la plupart des dirigeants de l’opposition réactionnaire, ce n’est pas une question de principes mais de tactique. Ils souhaitent renverser le gouvernement de Maduro et prendre le pouvoir ; s’ils pensent pouvoir y arriver par la force (par des méthodes terroristes, une intervention impérialiste, un coup d’Etat militaire), ils prendront cette voie. Pour le moment, comme ils sont faibles et divisés, et que leurs rangs sont démoralisés par les défaites de l’an passé, ils pencheront sans doute vers une sorte d’accord avec le gouvernement en espérant battre Maduro lors d’une élection. Si ce chemin se bloque, ils n’hésiteront pas à retourner aux violences de rue et au terrorisme.
Pendant ce temps, une autre section de la classe dirigeante fait campagne pour l’homme d’affaires Lorenzo Mendoza, le propriétaire du monopole de distribution Polar, pour une candidature à l’élection présidentielle de 2018. Ce serait un candidat semblable à Macron, prétendant représenter le « centre », mettant en avant « son expérience en entreprise », et donnant l’apparence d’une solution « non partisane » ou « transversale » aux problèmes de la société. Ils espèrent qu’un tel candidat, non entaché des violences de l’opposition, pourrait conquérir une partie de ceux qui se trouvent entre les deux camps, même une section des chavistes mécontents.
La lutte des travailleurs
Au cours des dernières semaines, nous avons observé de très notables signes d’un renouveau de la lutte des travailleurs. Le 9 novembre, un groupe de travailleurs et de syndicalistes a occupé les locaux du ministère du travail, exigeant une solution à leurs problèmes. En janvier, des travailleurs de la cimenterie nationalisée Vencemos, à Anzoategui, sont descendus dans la rue pour protester contre la demi-paralysie de leur entreprise, craignant pour l’avenir de leur emploi. Encore plus significatif : une manifestation des travailleurs pétroliers de Petrocedeno, une joint-venture de Total, PDVSA et Statoil, qui ont demandé un complément de fin d’année car ils ne pouvaient pas survivre avec leur seul salaire. Ces travailleurs ont souligné qu’ils n’avaient rien à voir avec les guarimbos (les émeutiers de l’opposition) et qu’ils ne souhaitaient pas paralyser la production (une action qui pourrait sérieusement endommager l’économie et fait écho aux lock-out pétroliers menés par l’opposition en 2002).
Pour l’instant, ce ne sont que des cas isolés, mais ils sont symptomatiques d’une ambiance générale dans la société et de la traduction de celle-ci parmi les travailleurs. Les travailleurs et les pauvres sont ceux qui souffrent le plus de l’effondrement économique. Ils ne veulent clairement pas que l’opposition réactionnaire arrive au pouvoir, mais sont poussés dans la bataille pour défendre leur existence.
La situation est hautement inflammable et les manifestations spontanées qui ont eu lieu au début de l’année pourraient grossir et se transformer en des pillages de plus grande ampleur. Seuls les travailleurs organisés peuvent donner d’autres formes d’expression à cette colère.
Quelle voie suivre ?
En tant que marxistes, nous avons expliqué pourquoi nous ne pouvons accorder aucun soutien aux politiques de ce gouvernement. Depuis qu’il est arrivé au pouvoir, il n’a pris aucune mesure sérieuse pour combattre la crise économique. Il a au contraire insisté pour concéder toujours plus aux capitalistes (en levant le contrôle des prix, en mettant en place une nouvelle loi pour les investissements étrangers, etc), ce qui n’a aucun impact réel.
Il nous faut bien évidemment être très clairs sur un point : si l’opposition réactionnaire arrivait au pouvoir, ce serait un désastre absolu pour les travailleurs et les pauvres. Elle déverserait le fardeau de la crise économique sur les travailleurs, détruirait toutes les protections sociales et les droits qui existent encore. Au lieu d’émettre de la monnaie pour financer le déficit, elle mettrait en œuvre des coupes massives dans les dépenses publiques, détruisant ce qui reste des programmes sociaux bolivariens (misiones). Elle abrogerait immédiatement la loi contre les licenciements et licencierait massivement dans le public et le privé. Elle mettrait un terme aux colis de nourriture subventionnés des CLAPs, plongeant des millions de familles en situation difficile dans la famine pure et simple. Du point de vue des libertés démocratiques, l’opposition commencerait une chasse aux sorcières contre les activistes bolivariens et leurs organisations, détruisant tout élément qui pourrait survivre des communes, des conseils et du contrôle ouvrier.
Le gouvernement de Maduro et les dirigeants du PSUV se sont montrés totalement incapables de changer les choses. Les bureaucrates au sommet du PSUV et de l’Etat ne semblent intéressés qu’à garder le pouvoir. Les travailleurs, les pauvres et les paysans ne peuvent faire confiance qu’à leurs propres forces.
Les organisations de travailleurs et les courants de gauche de la révolution bolivarienne ont la responsabilité de proposer un programme qui offre une véritable solution à la crise économique, un programme qui sera en contradiction avec les politiques du gouvernement mais qui rejette également fondamentalement les plans de l’opposition.
Un tel programme inclurait au moins les points suivants :
- Un monopole d’Etat sur le commerce extérieur, afin qu’aucun dollar n’arrive plus dans les mains de la bourgeoisie.
- Un audit des travailleurs sur les allocations des dollars préférentiels au cours des 15 dernières années. La confiscation des propriétés et la prison pour tous ceux coupables de vol ou de mauvaise gestion (les capitalistes et les bureaucrates).
- La nationalisation et la centralisation des assurances et des banques pour que toutes leurs ressources soient mises au service d’un plan rationnel de production, sous le contrôle démocratique des travailleurs.
- La nationalisation, sous le contrôle des travailleurs, de toutes les compagnies impliquées dans l’accumulation, la spéculation et le marché noir.
- L’expropriation de toutes les grandes propriétés foncières au bénéfice des paysans organisés en communes, qui seraient responsables de l’achat des semences, des engrais, des machines…
- La nationalisation de toutes les entreprises de production, transformation et distribution alimentaires, sous le contrôle démocratique des communes de paysans, des travailleurs et des consommateurs.
- Des comités de ravitaillement révolutionnaires dans chaque quartier, avec le pouvoir de contrôler et d’organiser la distribution de nourriture sur la base des besoins.
- La suspension de tous les paiements de la dette étrangère. Les importations de nourriture et de médicaments doivent être une priorité.
- Tout le pouvoir à la classe ouvrière et au peuple organisé ! A bas la bureaucratie !
- Un appel international à tous les travailleurs et paysans d’Amérique Latine et du monde pour venir à l’aide de la révolution vénézuélienne contre l’intervention impérialiste.
[1] Toutes les informations sur l’augmentation des prix sont tirées de la déclaration de la section vénézuélienne de la TMI
[2] Banque Centrale Vénézuélienne
[3] Rapport du gouvernement vénézuélien
[4] https://www.sec.gov/Archives/edgar/data/103198/000119312517376486/d505622dex99d.htm
[5] https://www.sec.gov/Archives/edgar/data/103198/000119312517376486/d505622dex99d.htm