Le 9 avril, le gouvernement vénézuélien a annoncé la nationalisation de l’immense aciérie SIDOR, dans l’Etat de Bolivar. Cette décision a été prise alors que le principal actionnaire, la multinationale italo-argentine Techint, refusait obstinément d’améliorer les conditions de travail des salariés.
Les travailleurs de SIDOR ont lutté pendant 15 mois pour améliorer leurs salaires, leurs conditions sanitaires et le niveau des retraites, qui sont inférieures au salaire minimum. Ils demandaient aussi l’intégration dans les effectifs des 9000 salariés en « sous-traitance » – sur les 15 000 travailleurs de l’usine.
SIDOR a été privatisée en 1997, sous le gouvernement de Caldera, puis cédée à la multinationale Techint, qui a fait d’énormes profits sur la base d’une exploitation massive. Le nombre d’accidents du travail – souvent graves, parfois mortels – a augmenté. En 10 ans, il y a eu 19 morts. José Rodriguez, dirigeant du syndicat SUTISS, décrivait les dix années de privatisation comme des années d’« humiliation et de traitement indignes, qui ont choqué les travailleurs et le pays ».
Lorsque Chavez avait appelé à « nationaliser tout ce qui a été privatisé », en janvier 2007, les travailleurs de SIDOR avaient répondu avec enthousiasme. Ils ont manifesté et planté le drapeau vénézuélien sur les toits de l’usine. Ils demandaient la nationalisation de SIDOR. Mais sous la pression du gouvernement argentin de Kirchner, un « accord » a été trouvé : l’entreprise devait vendre sur le marché intérieur à des prix préférentiels – sans nationalisation. Cependant, la direction de l’entreprise refusait d’améliorer les conditions de travail. Après 15 mois de négociations infructueuses, les travailleurs se sont engagés dans une série de grèves ponctuelles en janvier, février et mars 2008.
Quelle fut la réaction du ministre du Travail, José Ramon Rivero ? Il a d’abord tenté d’imposer un accord aux travailleurs. Puis la Garde Nationale a été lancée contre eux, le 14 mars, pendant une grève de 80 heures. Il y a eu plusieurs salariés arrêtés et de nombreux blessés (photo). La Garde Nationale a agi de façon particulièrement brutale et vicieuse, détruisant les voitures et d’autres biens des salariés. Les masses de toute la région ont vivement réagi, organisant des rassemblements de solidarité et menaçant d’étendre la grève à d’autres entreprises.
Cet incident était le plus sérieux, entre des salariés et la Garde Nationale, depuis l’arrivée au pouvoir de Chavez. Les travailleurs ont dénoncé le fait que le commandant local de la Garde Nationale agissait sous les ordres de la direction de SIDOR. On touche ici à l’un des défis majeurs de la révolution vénézuélienne. Le vieil appareil d’Etat capitaliste a été affaibli par la révolution, mais il reste largement intact et cherche toujours à servir la classe dirigeante. El Zabayar, un député bolivarien qui militait pour la nationalisation de SIDOR, explique : « Il y a des secteurs de l’appareil d’Etat qui utilisent l’autorité gouvernementale pour mener une politique pro-patronale ». Tel est le fond du problème : on ne peut pas mener une révolution socialiste avec un Etat capitaliste.
Même après cette répression brutale, le ministre du Travail a insisté pour qu’un référendum soit organisé sur la base des propositions de la direction. Le dirigeant syndical José Melendez critique sévèrement le rôle du ministère : « Ils nous accusent d’être des fauteurs de trouble parce que nous rejetons leur référendum. Plus d’une fois nous avons montré notre soutien à la révolution, mais cela ne signifie pas que nous allons laisser le ministre du Travail appliquer une politique anti-ouvrière qui, au final, ne profite qu’à la droite. »
Les travailleurs ont non seulement rejeté le projet de référendum, mais ils ont organisé leur propre consultation, le 3 avril, en présentant deux options : 1) accepter la proposition de la direction ; 2) mandater le syndicat pour poursuivre les négociations. La deuxième option l’a emporté à une écrasante majorité, par 3338 votes contre 65.
Puis, le 4 avril, les travailleurs se sont mis en grève et ont manifesté jusqu’à l’Université de Bolivar, où Chavez assistait à une cérémonie officielle. Ils ont demandé à être entendus. Suite à ces pressions, Chavez est intervenu dans un programme TV, le 6 avril, pour prendre position. Il a notamment rappelé que les travailleurs de SIDOR s’étaient opposés au lock-out de 2002, « avaient reçu des menaces de mort [….] et n’avaient pas hésité à affronter la police ». Il a ajouté que les conditions de travail des salariés étaient « horribles », et que « le gouvernement révolutionnaire doit exiger de toute entreprise, nationale ou multinationale, qu’elle respecte les lois vénézuéliennes » – en référence à la loi du 1er mai 2007 qui interdit la sous-traitance.
« J’essaye toujours de trouver un compromis par la négociation », a dit Chavez, « mais dans le cas de SIDOR, je pense que trop c’est trop. » L’intervention de Chavez était un camouflet au gouverneur régional et, surtout, au ministre du Travail. Leur autorité a été contournée et le gouvernement s’est clairement rangé du côté des travailleurs. La direction de l’entreprise, qui jusqu’alors refusait de rencontrer les travailleurs, accepta immédiatement d’organiser une nouvelle réunion.
Une réunion tripartite entre la direction de SIDOR, le syndicat et le vice-président du Venezuela, Carrizalez, a eu lieu le 8 avril, au cours de laquelle les patrons ont fait des concessions mineures. Juste après minuit, Carrizalez a demandé une dernière fois à la direction de faire une nouvelle contre-proposition sur les salaires. Lorsque celle-ci a refusé, le vice-président a demandé que ce soit noté dans le procès verbal. Puis il est sorti appeler Chavez. A son retour, il annonçait la re-nationalisation de SIDOR. Des milliers de travailleurs ont immédiatement fêté leur victoire.
Cette nationalisation est un événement d’une très grande importance pour la révolution vénézuélienne, et une indication de la direction qu’elle devrait prendre. SIDOR n’est pas une petite entreprise en faillite : c’est le seul producteur d’acier du pays et le quatrième en Amérique latine. Cette décision va provoquer de vives réactions de la part de Techint et du gouvernement argentin. La révolution vénézuélienne et tous ses soutiens à l’échelle internationale – surtout en Argentine – doivent se tenir prêts à défendre cette nationalisation. Les travailleurs de SIDOR devraient immédiatement prendre des mesures pour introduire le contrôle ouvrier, afin d’empêcher la compagnie de procéder au sabotage, à la saisie des installations ou des stocks, etc. Surtout, ils doivent ouvrir les comptes de l’entreprise.
La question des compensations va être discutée. Les patrons demanderont sans doute une somme exorbitante. La meilleure façon de régler cette question est d’ouvrir les comptes de l’entreprise. Si on regarde ce qu’a payé au départ la multinationale (très peu), ce qu’elle a investi depuis dans l’entreprise (très peu), et les profits qu’elle a réalisés au cours des 10 dernières années (beaucoup), on parviendra facilement à la conclusion qu’aucune compensation ne devrait être payée.
Cette nationalisation est essentiellement le résultat de la pression des travailleurs en lutte, qui ont été encouragés par la récente décision de nationaliser l’industrie du ciment. Les salariés de SIDOR sont debout, mobilisés : ils vont à présent exiger le contrôle ouvrier de l’entreprise.
Comme le savent les travailleurs vénézuéliens, la nationalisation en elle-même ne garantit pas les intérêts des travailleurs et du peuple vénézuélien. Après tout, la PDVSA – l’industrie pétrolière –, qui est depuis longtemps propriété d’Etat, a vu une énorme bureaucratie se développer à sa tête et obéir aux intérêts de l’oligarchie et des multinationales.
La re-nationalisation de SIDOR est un nouveau pas dans la bonne direction. Ces derniers mois, l’oligarchie a accéléré sa campagne de sabotage économique, en particulier dans le secteur de l’alimentation. Dans le même temps, l’impérialisme multiplie les provocations. Il est temps de prendre des mesures décisives en nationalisant les leviers fondamentaux de l’économie, sous contrôle ouvrier, et de mener la révolution jusqu’à son terme.