Le coup d’Etat de l’armée birmane, le 1er février, a déclenché un gigantesque mouvement d’opposition. Les militaires pensaient pouvoir mettre fin tranquillement à l’expérience de « démocratie sous contrôle ». Mais le peuple s’est massivement mobilisé, et il semble déterminé à empêcher les militaires de reprendre tout le pouvoir.
La parenthèse « démocratique »
Pour comprendre cette situation, il faut revenir quelques années en arrière. Après plus de 50 ans de dictature militaire sans partage, et alors que la contestation ne cessait de croître, la junte birmane a accepté, en 2011, de partager le pouvoir avec des civils. L’opposante libérale Aung San Suu Kyi, en résidence surveillée depuis 1990, a été libérée et a même pris la tête du gouvernement en 2015.
Loin de s’opposer aux généraux, Aung San Suu Kyi et sa Ligue Nationale pour la Démocratie (LND) en sont devenus les fidèles partenaires. Ils ont poursuivi les politiques d’austérité et les privatisations entamées par les militaires. Suu Kyi a même fait le voyage aux Nations Unies pour justifier le génocide mené par l’armée contre la minorité musulmane des Rohingyas. Son gouvernement était un relais fidèle des exigences des puissances impérialistes, qu’il s’agisse de la Chine ou des Etats-Unis, quitte à jouer l’équilibriste entre leurs exigences contraires.
Mais dès lors, pourquoi l’armée s’est-elle attaquée au gouvernement de la LND ? La réponse est évidente : les chefs de l’armée voulaient être sûrs de garder le contrôle total de la situation. Or les élections de novembre 2020 ont donné une nette majorité au parti d’Aung San Suu Kyi, ce qui lui donnait la possibilité de remettre en cause l’équilibre des forces entre son parti et les généraux. Ces derniers ont donc décidé de régler ce problème à leur manière. Ils ont cru qu’ils pouvaient reprendre tout le pouvoir au moyen d’un coup d’Etat qui ne ferait pas trop de vagues. Il est clair qu’ils se sont lourdement trompés !
Grève de masse
Dès le lendemain du coup d’Etat, un mouvement de grève a été lancé dans la plus grande ville du pays, Yangon, par le petit syndicat du textile FGWM. Sa dirigeante, Moe Sandar Myiny, est devenue l’une des principales figures du mouvement de contestation. Comme elle l’explique, « les travailleurs étaient déjà en colère [...]. Ils ne pouvaient plus rester silencieux. Ils cherchaient simplement quelqu’un à suivre – et c’est la raison pour laquelle j’ai osé lancer la grève. »
En plus des manifestations de masse, des grèves spontanées ont éclaté partout dans le pays. Un front uni de plusieurs syndicats a fini par se former. Aujourd’hui, la mobilisation est immense : les fonctionnaires et les professions médicales ont été rejoints par les ouvriers d’usine, les cheminots, les enseignants, les avocats, les ingénieurs, les agriculteurs… La première banque du pays, KBZ, a été contrainte de fermer ses portes, tout comme la banque d’Etat, qui verse les salaires des membres du gouvernement.
Dépassé par l’ampleur du mouvement, le gouvernement putschiste a intensifié la répression. L’armée a tiré à balles réelles sur plusieurs manifestations. Une nouvelle loi a été promulguée, qui punit de 20 ans d’emprisonnement quiconque tente de gêner les opérations militaires sur la voie publique. 23 000 criminels de droit commun ont été relâchés dans le but de semer le chaos et de terroriser les masses. Mais ces manœuvres désespérées n’ont fait que renforcer la radicalité et la détermination des masses.
En finir avec le régime !
Pour l’heure, les mots d’ordre qui dominent s’opposent au coup d’Etat et réclament le « retour de la démocratie ». Les dirigeants de la mobilisation veulent montrer la force de l’opposition pour contraindre les militaires à rendre le pouvoir à la LND. Le problème, c’est que même si les militaires finissaient par jeter l’éponge (ce qui n’est pas garanti), le retour de Suu Kyi au pouvoir signifierait un retour aux mêmes politiques réactionnaires qu’entre 2015 et 2020 : privatisations, austérité et oppression des minorités nationales.
Le développement d’une grève de masse a changé la nature du mouvement, qui dépasse largement, désormais, la lutte pour les droits civiques. L’entrée en scène de la classe ouvrière montre que les travailleurs ont le pouvoir de changer la société. Ils sont capables de paralyser tout le pays. Le mouvement ne peut pas se limiter à des revendications démocratiques, ni à un appui à la LND. La grève doit être coordonnée au niveau national pour abattre le régime. Pour se défendre contre les attaques de l’armée et des criminels à sa solde, des comités de défense doivent être organisés.
Les comités de grève doivent se structurer à tous les niveaux pour doter le mouvement d’une direction qui soit sous son contrôle et qui puisse être une alternative au gouvernement militaire. Pour mettre fin aux fléaux engendrés par le capitalisme et l’impérialisme, les travailleurs birmans ne peuvent et ne doivent compter que sur leurs propres forces.