Depuis sa nomination comme premier ministre de l’Italie en février dernier, Matteo Renzi est régulièrement cité en France comme un modèle à suivre pour le gouvernement Hollande. On loue sa politique combinant rigueur budgétaire et relance de l’économie par des mesures incitant à la consommation. Son exemple est revendiqué dans les médias internationaux, dans la presse économique libérale, parmi les ministres et cadres du PS, mais aussi chez certains éléments de « l’aile gauche » de ce parti, qui y voient un allié potentiel pour renégocier les conditions de la politique d’austérité à l’échelle européenne.
S’il est vrai que Renzi a parlé de « pacte de stupidité » pour désigner le pacte de stabilité européen (qui limite à 3 % les déficits), il n’a à aucun moment exprimé une quelconque velléité d’atténuer les mesures d’austérité qui frappent les travailleurs italiens. Au contraire. La dette italienne dépasse 130 % du PIB ; le défaut de paiement est possible à court terme. Les capitalistes demandent à Renzi d’augmenter les coupes budgétaires, ce qu’il fera. Dès son arrivée au pouvoir, il est allé rassurer Angela Merkel : l’austérité continuera et il n’y aura pas de demande de renégociation de son application dans l’immédiat.
Qu’a donc fait de particulier Matteo Renzi pour mériter tant d’attention médiatique ? En bon démocrate-chrétien, il propose une politique de charité aux travailleurs italiens, qui ont vu leur niveau de vie chuter de manière dramatique depuis le début de la crise. Il a promis (sans l’avoir financé, pour le moment) une augmentation généralisée de 80 euros par mois pour les salariés gagnant moins de 25 000 euros par an, sous la forme d’une réduction fiscale – comme le proposent également des dirigeants du PS et de la CFDT, en France.
Bien sûr, en temps de crise, 2,73 euros par jour, c’est « mieux que rien » : de quoi remplir la cuisine d’un kilo de pain. Mais c’est loin de modifier réellement le niveau de vie de la population concernée. Surtout, c’est un exemple typique d’aumône pour mieux accepter les plans d’austérité et une contre-réforme majeure du marché du travail. Cette dernière, nommée « Jobs Act » et adoptée en urgence, prévoit la généralisation du CDD, le développement de l’apprentissage (ce qui poussera tous les salaires à la baisse, par effet de concurrence), la facilitation des licenciements, la réduction des allocations chômage et des aides sociales et enfin la destruction du cadre national des contrats de travail et de leurs négociations, ce qui soumettra les travailleurs au chantage permanent des patrons… Renzi propose de ramener l’Italie aux conditions de vie et de travail du XIXe siècle.
Renzi fait adopter ces mesures par décret, pour démontrer « en urgence » sa loyauté au patronat qui l’a mis en poste. Du fait de la crise, les formes classiques de la démocratie bourgeoise montrent leurs limites. Le Parti Démocrate, que dirige Renzi, représente la dernière étape de l’évolution de la social-démocratie européenne. Les dirigeants historiques qui ont liquidé le Parti Communiste Italien ont été peu à peu mis de côté par les forces « centristes » (représentées par Renzi) qui ont fusionné dans ce nouveau parti né en 2007. Le Parti Démocrate exprime désormais uniquement les intérêts du patronat.
La force de ce faux-nez des capitalistes reste la soumission totale des directions syndicales au Parti Démocrate et à Renzi. Elles ont mis toute leur force pour empêcher l’éclatement d’un mouvement généralisé des travailleurs. Cependant, des formes de protestation commencent à se développer hors des circuits classiques des journées d’action syndicale éparses et sans effet sur le pouvoir. L’explosion sociale n’en sera que plus massive. Le gouvernement Renzi, qui jouit d’une certaine popularité, la perdra aussi vite que celui de Manuel Valls en France, mais avec une force sans doute encore plus incontrôlable.
De fait, si des parallèles entre la France et l’Italie peuvent être établis, ils indiquent le chemin que le nouveau gouvernement de Valls entend poursuivre : celui de l’austérité sans fin. Les dirigeants réformistes de la social-démocratie européenne cherchent le rythme le plus adapté pour appliquer les mesures d’austérité exigées par le patronat – et la meilleure redistribution des miettes censées acheter la paix sociale. Mais leur rôle historique dans la période actuelle ressemble à un chant du cygne, comme le montre l’effondrement du PASOK en Grèce. C’est aussi l’avenir de Renzi et de Valls.