Au moment où en France se multiplient les plans sociaux et les luttes contre les fermetures d’usine dans l’industrie, notamment automobile, les militants politiques et syndicaux cherchant des points de repère auraient tout à gagner à prendre exemple des luttes courageuses qui se sont développées chez Fiat en Italie. La crise mondiale de surproduction qui affecte ce secteur s’est traduite ici par un conflit ouvert entre la direction du groupe et les travailleurs organisés dans les différents sites italiens par la FIOM (fédération métallurgique de la CGIL, l’équivalent italien de la CGT). Ce conflit dure depuis le début de la crise économique et représente le point focal de la lutte de classe pour les travailleurs italiens. En effet, du fait de l’importance de Fiat dans l’économie et la politique italiennes, ses ouvriers ont toujours joué un rôle dirigeant. Chaque fois qu’ils se mobilisent, ils attirent immédiatement l’attention du reste de la classe ouvrière. C’est pourquoi ce conflit vaut la peine d’être étudié. Il offre une photographie intéressante de la progression de la lutte de classe dans un pays européen économiquement majeur.
En 2010, au nom de la compétitivité, Sergio Marchionne, le patron du groupe, obtient des syndicats minoritaires CISL et UIL un accord d’entreprise enlevant aux salariés des droits reconnus par la convention collective de la métallurgie, exigeant un retour à des conditions de travail qu’on ne connaissait plus depuis les années 50 (réduction de salaires, heures supplémentaires, suppression des pauses…). La FIOM, syndicat majoritaire chez Fiat, a refusé cet accord. Mais Marchionne a voulu passer en force en soumettant l’accord à référendum dans trois établissements du groupe : Pomigliano, Mirafiori et Grugliasco. Les établissements n’ont pas été choisis au hasard : la production y était quasiment à l’arrêt et Marchionne avait prévenu que des investissements ne seraient réalisés qu’à condition que les ouvriers votent majoritairement « oui ». Pour renforcer cet odieux chantage à l’emploi, Marchionne a développé une campagne calomnieuse envers la FIOM. Celle-ci fut relayée par les médias capitalistes, la majorité des partis politiques (dont le principal parti de « centre-gauche », le Parti Démocrate) et les syndicats collaborateurs. Soulignons aussi l’absence de soutien des dirigeants de la CGIL. Face à cette coalition de soutiens du capitalisme italien, les travailleurs de Fiat ont livré avec la FIOM une campagne héroïque, le « oui » ne passant que de peu à Pomigliano puis à Mirafiori, loin du plébiscite exigé par Marchionne. Cette bataille a culminé le 16 octobre 2010 lors d’une grande manifestation nationale à Rome, lorsqu’autour de la FIOM s’est rassemblé l’ensemble des secteurs les plus combattifs de la jeunesse et de la classe ouvrière italienne.
Cette démonstration de force avait alors marqué les esprits, car elle démontrait à nouveau la capacité de mobilisation et le rôle dirigeant de la classe ouvrière et de ses organisations comme la FIOM dans la lutte contre le pouvoir patronal. La FIOM sortait alors renforcée de cette épreuve de force, notamment à Pomigliano (près de Naples) où avait commencé la remise en cause de l’autorité patronale. Les stratèges du capitalisme italien, Marchionne en tête, ont alors compris l’intérêt d’isoler la FIOM : sous prétexte qu’elle s’était opposée à l’accord imposé par la direction, la FIOM a été exclue de tous les sites Fiat. Seuls les syndicats collaborateurs étaient reconnus et se contentaient d’ailleurs de relayer le discours patronal. Aux difficultés de l’activité syndicale, rendue impossible au sein de l’entreprise, se sont ajoutées des difficultés matérielles et financières. En effet, depuis 2010, le secteur étant toujours en surproduction, la plupart des sites tournent au ralenti. A Pomigliano, les ouvriers se retrouvent pour la plupart au chômage technique, l’Etat ne leur versant qu’une partie de leur salaire, pendant que ceux ayant la chance de travailler sont exploités comme jamais, accumulant heures supplémentaires et conditions de travail épuisantes, dans un climat de « flicage » permanent. Là encore, aucun hasard : Marchionne a trié les 2161 travailleurs sensés travailler et mis à l’index (c’est-à-dire au chômage technique) la plupart des syndicalistes qui avaient jusqu’à présent leur carte à la FIOM. On y trouve bien sûr les plus militants, dont nos camarades de la section d’entreprise du PRC (Parti de la Refondation Communiste) animée par des militants de Falce Martello, le journal frère de La Riposte en Italie.
Dans l’impossibilité de militer et même de travailler, on ne saurait imaginer par quelles difficultés sont passées ces travailleurs ces dernières années. Malgré ces difficultés concrètes, la FIOM aux niveaux local et national a continué à dénoncer cette politique discriminatoire et a relevé l’inexistence des investissements promis. Aujourd’hui le vent tourne, car les faits sont têtus et ils donnent raison à la FIOM. Même les ouvriers qui avaient encore du travail se rendent compte que les investissements promis depuis les référendums de 2010 ne se réaliseront jamais. Les termes de l’accord prévoyaient la création à Pomigliano d’une nouvelle société pour réaliser le projet « Nouvelle Panda ». Les contrats arrivent à échéance en 2013 ; les 2161 travailleurs de Pomigliano risquent donc de tous perdre leur emploi, car les investissements pour relancer la production de nouveaux modèles de voiture ne relevaient en revanche que du domaine des promesses. La réalité est que la crise de surproduction oblige un capitaliste comme Marchionne à penser « rationalisation », donc à fermer des usines et délocaliser dans des pays où la main d’œuvre est moins chère. Il n’a aucune intention d’investir son capital dans cette vieille Europe aux ouvriers « socialement protégés », qu’il dénigre à longueur d’interview. Devant l’écroulement de ce château de mensonges, l’autorité patronale s’est sérieusement émoussée auprès de l’ensemble des travailleurs de Fiat, de même que celle de tous ses laudateurs : syndicats « jaunes », médias, gouvernements Berlusconi puis Monti, sans oublier le Parti Démocrate. Hier encore, tous prêchaient la résignation face à la toute-puissance patronale comme unique échappatoire à la crise.
C’est dans ce contexte que les travailleurs de Fiat retrouvent le chemin de la lutte. En décembre dernier, les travailleurs de l’usine ex-Ergom de Pomigliano, appartenant à la Fiat (fournisseurs de composants), ont bloqué une journée entière l’ensemble du site aux marchandises et au personnel. A aucun moment les syndicats « officiels » de Fiat n’ont réussi à calmer la rage et la volonté de lutter accumulée ces dernières années. Ironie du sort, ce fait marquant avait lieu le matin même du retour à l’usine des 19 travailleurs de Fiat inscrits à la FIOM (dont des camarades de Falce Martello) qui avaient été injustement licenciés, comme a dû le reconnaitre la Justice italienne pas moins de deux fois. Encore aujourd’hui, la direction de Fiat fait tout son possible pour empêcher leur réintégration effective, ajoutant l’acharnement au cynisme. Mais les ouvriers ont tiré des leçons essentielles des luttes précédentes, qui sont les mêmes que celles des luttes qui essaiment partout en France : face à l’arrogance et la brutalité d’un capitalisme en crise, qui n’hésite pas à user de tous les moyens à sa disposition pour maintenir ses profits, les travailleurs savent désormais qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes et sur leurs organisations historiques. Quant à la Justice, elle peut ne peut que servir de support provisoire pour renforcer les positions et défendre les emplois des travailleurs en lutte, mais elle ne peut se substituer à l’action ouvrière. C’est bien sous la pression constante des travailleurs mobilisés que la Justice italienne a consenti à leur donner raison. La détermination des ouvriers est telle que se dessine une remise en cause de la légitimité même d’un patron qui n’a que faire de la vie de milliers de familles et d’un patrimoine industriel utile à toute une société. L’idée d’une nationalisation de Fiat sous contrôle ouvrier commence à se faire jour.
La direction de Fiat est désormais dans une posture défensive, les travailleurs redressent la tête. Il appartient à la FIOM, seul syndicat resté fidèle aux intérêts de classe et à s’être opposé aux accords dérogatoires de 2010, de mener et d’étendre la lutte à l’ensemble du groupe Fiat, à partir du mot d’ordre qu’aucun poste ne doit être supprimé !