Les électeurs irlandais ont voté massivement en faveur du mariage pour tous, faisant de l'Irlande le premier pays à faire ce choix par référendum. Cela représente une victoire de l’avenir sur le passé, de la jeunesse sur la vieillesse, de la raison sur l'ignorance, des villes modernes sur la vieille Irlande rurale et arriérée.
Dans de nombreux quartiers de Dublin, le « oui » a représenté plus de 70 % des suffrages, voire plus encore dans certains majoritairement ouvriers. Au total, le « oui » l'a emporté à 62,1 %. Quel changement cela représente ! L'annonce des résultats a été accueillie par une explosion d'enthousiasme populaire et par des rassemblements festifs de milliers de personnes. C'est une démonstration éclatante de l'évolution de la république d'Irlande. Le poids mort que représente le passé a été balayé par les forces vives de la société irlandaise. En effet, ce vote représente avant tout une victoire sur l'ancestrale dictature de l’Eglise. Les évêques s'étaient unanimement mobilisés contre le mariage pour tous, qui risquait d'après eux de « nuire au bien-être des enfants ». Quand on pense au passif de l’Eglise catholique en ce qui concerne l'enfance et son « bien-être », de telles déclarations semblent d'une hypocrisie sans fond.
Depuis les premiers jours de la république, l’Eglise a toujours été le principal pilier de la réaction en Irlande. Elle contrôlait la vie morale du pays, décidait de ce qui était bien ou mal, et vouait les communistes et les athées aux tourments éternels de l'Enfer. La dictature des prêtres ne se limitait pas à la messe du dimanche, mais dominait aussi les écoles, les hôpitaux et même les bals de village. Les curés faisaient le tour des maisons chaque année, pour s'assurer que les couples n'utilisaient pas de contraceptifs. Des milliers d'enfants, abandonnés ou nés de mères célibataires — pécheresses aux yeux de l’Eglise —, souffrirent mille tortures de la part de ceux, les religieux, qui devaient veiller sur eux. Ce pays, qui était le plus catholique au monde, a été submergé ces dernières années par un torrent de révélations : viols de mineurs par des prêtres ; maltraitances allant jusqu'aux meurtres dans les couvents ; protection des coupables par les évêchés.
Ces scandales ont fini par ébranler la confiance du peuple irlandais envers les prêtres et toutes les institutions de l’Eglise, à tel point qu’elle doit aujourd'hui faire venir des curés de l’étranger, faute de vocations locales. Même si plus de 80 % des Irlandais se déclarent toujours catholiques, cela ne veut plus dire grand-chose. Les églises vides, le dimanche, témoignent du dégoût général. Alors qu'en 1984, presque 90 % des Irlandais allaient à la messe chaque semaine, seuls 18 % le faisaient encore en 2011. Le vote sur le mariage pour tous représente une véritable révolution sociale et politique, un pas-de-géant laissant derrière lui l’Etat théocratique et réactionnaire dominé par l’Eglise et s'avançant vers une république démocratique et laïque. Cela ne peut que susciter l’enthousiasme de tous ceux qui aiment la liberté.
Néanmoins, le référendum irlandais a une signification bien plus large. Il est une manifestation de ce que Trotsky appelait le « processus moléculaire de la révolution ». Sous le calme apparent, colère et frustration grandissent dans les profondeurs de la société. Les gens sentent que leur voix n'est pas écoutée, qu'ils ne sont pas représentés par les politiciens. La colère monte contre toutes les institutions existantes : banques ; médias ; justice ; police et Eglise. Toutes faisant partie d'un système putréfié jusqu'à l'os.
Le gouvernement du Fine Gael et du Parti Travailliste a mené une politique d’austérité, infligeant aux Irlandais sept années d’accroissement de la pauvreté. Alors que les prochaines élections de 2016 se rapprochent, il est clair que le peuple n'acceptera pas de nouvelles coupes et hausses des impôts.
L'anxiété, la dépression et les suicides sont de plus en plus courants, alors que le taux d'endettement des ménages ne cesse de grimper. De son coté, le gouvernement continue de pressurer les travailleurs pour payer les dettes « du pays », c'est-à-dire en fait les dettes des banques.
Toutes ces contradictions s'accumulent et ont un effet radical sur les consciences. L'impression que la société est injuste est devenue générale, tandis qu'une hostilité grandissante se développe contre les inégalités et la corruption d'un système ou les riches sont de plus en plus riches tandis que les pauvres ne font que devenir plus pauvres.
La crise du système pèse encore plus lourdement sur la jeunesse. Plus de 30 % des 15-24 ans sont au chômage. La nouvelle génération d'irlandais, comme leurs frères et sœurs de par le monde, se révolte contre la société existante, ses valeurs, sa moralité et ses croyances. C'est ce qui explique l'importance énorme du vote pour le « oui » dans la jeunesse. Des jeunes cherchent partout une alternative à cette société pourrissante et sont largement ouverts aux idées du marxisme. Dans leurs luttes, ils redécouvriront les magnifiques traditions révolutionnaires de l'Irlande et du mouvement ouvrier irlandais. Sous le drapeau rouge de la révolution – celui de Marx et Lénine, de Trotsky et Rosa Luxemburg, de Larkin et James Connolly, ils finiront par triompher.