23 ans après les « accords du Vendredi Saint », l’Irlande du Nord a connu une vague d’émeutes « unionistes ». Pendant des siècles, l’impérialisme britannique a attisé les divisions religieuses et communautaires pour y maintenir sa domination. Aujourd’hui, ses anciens protégés, les paramilitaires protestants, menacent de plonger la province dans un bain de sang. Seule une mobilisation unitaire de la classe ouvrière permettra d’écarter ce danger.
Une « mauvaise paix »
En 1998, après 30 ans de terrorisme, les dirigeants de l’IRA furent contraints de reconnaître qu’ils ne pourraient pas chasser les troupes britanniques à coup de bombes et de fusils. De son côté, le gouvernement britannique voulait mettre fin à cette guerre trop coûteuse, après 30 ans d’occupation militaire et de terrorisme d’Etat.
Un accord a donc été conclu : les ex-terroristes républicains sont devenus députés et ont prêté serment de fidélité à sa gracieuse majesté. Ils ont pu ainsi partager avec leurs homologues « unionistes » (protestants) le peu d’autonomie que Londres a bien voulu concéder à sa province d’Ulster. La division du pays a été sanctuarisée. Les fortifications construites par l’armée britannique – pour séparer les quartiers protestants des quartiers catholiques – ont été rebaptisées « murs de la paix ». Pourtant, sous la surface, aucun des problèmes fondamentaux n’était réglé. La signature du protocole du Brexit sur l’Irlande du Nord les a fait brutalement ressurgir.
Sur la base du capitalisme, l’application du Brexit à l’Irlande ne pouvait être « résolue » sans provoquer une crise. Puisque Londres quittait l’UE, il devait forcément y avoir une frontière soit entre les deux Irlandes, soit entre l’Irlande et la Grande-Bretagne. Theresa May, puis Boris Johnson, ont promis à de multiples reprises que jamais l’Irlande du Nord ne serait séparée du reste du Royaume-Uni. Pourtant, l’accord signé avec l’UE, en décembre 2020, a créé une barrière douanière en Mer d’Irlande. Immédiatement, les dirigeants unionistes ont crié à la trahison.
Emeutes organisées
Début mars, plusieurs groupes paramilitaires unionistes ont annoncé qu’ils « quittaient » le protocole de paix de 1998. Puis, le 30 mars, des émeutes éclataient dans les quartiers unionistes de Derry, avant de s’étendre à Belfast. Ce n’était pas un mouvement spontané. Des patrons protestants avaient même prévenu que des émeutes allaient éclater. Cette mobilisation de petits groupes de jeunes protestants est clairement encadrée par les paramilitaires unionistes.
Les émeutiers ont attaqué la police avec des explosifs et des bombes incendiaires. Ils ont agressé et blessé grièvement un chauffeur de bus à Derry, dans le but d’utiliser son véhicule pour attaquer les quartiers catholiques. Plusieurs groupes d’émeutiers unionistes ont même réussi à forcer un « mur de la paix ». Ils ont rencontré une résistance acharnée de la part de jeunes catholiques sortis défendre leurs maisons et leurs familles. Sans surprise, ces actes d’auto-défense ont été réprimés par la police bien plus férocement que les émeutes loyalistes.
Depuis le 30 mars, les sorties nocturnes d’émeutiers unionistes n’ont pas cessé : les paramilitaires protestants font la démonstration de leur capacité de nuisance et agitent le spectre d’une nouvelle guerre civile pour contraindre Londres à renoncer à l’accord signé avec l’UE. Or un tel recul de Londres est difficilement imaginable, car cet accord commercial est vital pour les capitalistes britanniques. Une nouvelle vague de violences sectaires est donc probable.
Pacifisme ou lutte de classes ?
La seule solution réside dans une mobilisation unitaire des travailleurs catholiques et protestants. L’attaque du 6 avril, contre un bus de Derry, a suscité une réaction de colère et d’unité, avec une grève des chauffeurs catholiques et protestants. La majorité des travailleurs des deux communautés craignent plus que tout un retour de la violence sectaire.
Malheureusement, les dirigeants du mouvement syndical se réfugient derrière leur soi-disant « apolitisme » et se contentent de lancer des appels aux politiciens unionistes pour qu’ils « calment le jeu ».
Leurs espoirs ne peuvent qu’être déçus. Depuis la crise de 2008, la situation sociale et économique de la province est désastreuse. La pauvreté et le chômage y sont endémiques. 140 000 enfants vivent sous le seuil de pauvreté. Le capitalisme ne peut pas régler cette crise-là. Pour protéger leur propre domination, les dirigeants bourgeois des deux camps vont donc continuer de monter les travailleurs les uns contre les autres, comme ils le font depuis des siècles en Irlande.
Le mouvement ouvrier doit réagir par une politique audacieuse. Une grève générale politique doit être organisée pour isoler les paramilitaires. Des cordons de protection mixtes, groupant des travailleurs des deux communautés, doivent être mis en place par les syndicats pour protéger les quartiers attaqués par les paramilitaires. Cette politique n’est pas nouvelle. C’était, il y a un siècle, celle du révolutionnaire marxiste James Connolly. Ce n’est qu’en suivant son exemple – et son programme révolutionnaire – que la classe ouvrière d’Irlande pourra sortir du chaos où l’a plongée le capitalisme.