Ce document a été rédigé dans la perspective du Congrès mondial de la Tendance Marxiste Internationale, qui se tient fin juillet en Italie.
La crise de l’euro fait penser à une interminable agonie. Les « sommets décisifs » se succèdent, chacun proclamant la fin de la crise. Chaque fois, les marchés boursiers se relèvent pendant quelques heures, au mieux quelques jours, avant de rechuter. Les bourses européennes ressemblent à un thermomètre enregistrant l’évolution d’un malade en phase terminale.
Cette turbulence des marchés est un reflet exact de l’humeur de la bourgeoisie, qui se caractérise par une nervosité extrême. C’est aussi une expression de la gravité sans précédent de la crise actuelle. La bourgeoisie est à la dérive dans des eaux inconnues, sans carte ni boussole.
L’avenir de l’euro
Nous ne devons jamais perdre de vue le fait que les deux grands obstacles à la croissance économique, sous le capitalisme, sont la propriété privée des moyens de production et les Etats-nation.
La création de l’Union Européenne était une tentative, de la part de la bourgeoisie européenne (principalement française et allemande), de dépasser les limites des Etats-nation en créant un marché commun. L’introduction d’une monnaie unique devait constituer un pas important dans cette direction.
Cependant, comme nous l’avons déjà expliqué, sur la base du capitalisme, la tentative de créer un accord monétaire rigide s’appliquant à des économies différentes – comme l’Allemagne et la Grèce – était vouée à l’échec. Cela pouvait fonctionner tant que durait la croissance économique, mais la récession a fait ressurgir tous les antagonismes nationaux. L’intégration de l’UE a atteint ses limites. L’euro – et l’UE elle-même – risquent de s’effondrer.
L’euro n’est pas la cause de la crise du capitalisme, mais il a énormément aggravé les problèmes, particulièrement ceux des économies les plus faibles, comme la Grèce et l’Italie. Par le passé, les bourgeoisies grecque et italienne pouvaient résoudre partiellement leurs problèmes en dévaluant leur monnaie nationale. À présent, elles n’ont plus cette option. La seule alternative est ce qu’elles appellent une « dévaluation interne ». Comme les marchandises ne peuvent plus gagner en compétitivité à travers une dévaluation de la monnaie, les capitalistes doivent diminuer les salaires, ceux du secteur public comme ceux du secteur privé. Cela se traduit par un régime d’austérité et d’attaques permanentes contre le niveau de vie des masses.
Quoi que les dirigeants européens fassent, à présent, ce sera une erreur. S’ils essayent de consolider l’euro, ce sera une charge intolérable pour les ressources financières de l’UE. Cela se traduira par des années et des décennies de coupes budgétaires et d’austérité. La lutte des classes s’intensifiera en conséquence. Mais si l’euro s’effondre, ce sera une catastrophe économique qui plongera toute l’Europe – et pas seulement la zone euro – dans une crise encore plus profonde.
Ce dilemme provoque des divisions et des tensions entre les différentes bourgeoisies nationales, en particulier entre la France et l’Allemagne. François Hollande a remporté les élections présidentielles et parlementaires. Il sera sous pression pour mener à bien au moins quelques-unes des réformes annoncées au cours de sa campagne électorale. Mais il a aussi promis de très vite ramener le déficit public à 3 %. Or ces deux objectifs s’excluent mutuellement.
Angela Merkel exige la pleine application des plans d’austérité et des coupes budgétaires. La bourgeoisie allemande demande une discipline et un équilibre des budgets. Hollande demande des mesures pour la croissance, Merkel exige des coupes. Plus précisément, la classe dirigeante française veut que la classe dirigeante allemande paye pour stimuler l’économie des autres pays européens, tandis que la classe dirigeante allemande veut que les dirigeants des autres pays capitalistes fassent payer la crise à leurs travailleurs. Comment peuvent-ils se mettre d’accord ? De fait, il y a une scission ouverte au sein de l’UE.
Le pessimisme de la classe dirigeante est bien exprimé dans un article Larry Elliot, journaliste au Guardian, lors du dernier sommet du G20 : « Il serait naïf d’imaginer que le G20 prépare un plan pour la croissance mondiale ou que la crise de la zone euro sera bientôt terminée. Les banques centrales sont en alerte maximale pour faire face aux conséquences des élections grecques. Pourquoi ? Parce qu’en ce moment, l’économie mondiale est constituée de nations qui sont soit en récession, soit sur le point d’entrer en récession, soit enfin en train de rapidement décélérer. Pour le moment, il n’y a pas de bons résultats économiques, seulement des mauvais – et même très mauvais ». (The Guardian, 17 juin 2012)
La question de la dette
L’expression la plus évidente de la crise est la dette publique. Cependant, ce n’est pas la cause de la crise, mais seulement un symptôme de la maladie du capitalisme. La dette publique et, surtout, les déficits budgétaires ont massivement augmenté suite au « sauvetage » des banques et à la récession économique elle-même (qui diminue les recettes fiscales, tandis qu’elle augmente les dépenses sociales du type allocations chômage, etc.).
Dans chaque phase d’expansion capitaliste, il y a un élément de spéculation qui ne se révèle pleinement qu’au début de la crise. La seule différence avec cette crise, c’est l’ampleur colossale de la spéculation. Au cours des trente dernières années, la bourgeoisie a tenté d’éviter la crise au moyen d’une expansion sans précédent du crédit. En particulier, la bourgeoisie des États-Unis s’est engagée dans une véritable orgie spéculative basée sur une énorme expansion du crédit à faible taux d’intérêt. Cela fut activement promu par Alan Greenspan et la Réserve Fédérale, à l’époque.
Marx expliquait que le crédit, sous le capitalisme, permet de repousser les limites du marché. Une crise de surproduction peut être retardée pendant un temps en augmentant artificiellement la demande à travers le crédit à la consommation. Les banques ont participé activement à cette orgie en accordant des crédits à des personnes non solvables. C’était la base de la bulle immobilière aux États-Unis et dans d’autres pays.
Le même phénomène s’est produit en Europe, particulièrement en Irlande, en Islande et en Espagne. Mais dans tous les pays, les banques ont participé de façon active et enthousiaste à cette grande escroquerie. Tant que la spirale économique était ascendante, tous étaient contents. Le crédit était facile et les gains importants. Mais la limite a fini par être atteinte et la structure précaire a commencé à s’effondrer.
Le résultat fut la crise bancaire de 2008. La tentative de sauver le système bancaire en injectant d’énormes quantités d’argent est l’un des premiers facteurs qui explique la récente augmentation massive des dettes publiques. À présent, ils demandent à la classe ouvrière de payer l’addition. Tous les facteurs qui se combinaient pour stimuler l’économie mondiale se combinent désormais pour la pousser dans une spirale descendante incontrôlable. La bourgeoisie est confrontée aux conséquences de ses excès antérieurs. Le résultat en est une montagne de dettes accumulées, publiques et privées. La question est : qui payera ? C’est la même question qui se posait en France en 1789 – et, comme alors, la réponse aura des implications révolutionnaires.
Marx expliquait que lorsque la crise explose, le crédit s’épuise, l’investissement productif chute, les usines ferment et les travailleurs sont licenciés. La bourgeoisie exige à présent le paiement de toutes les dettes. Les prêteurs sont impitoyables, n’acceptent plus de retard. Ils veulent du cash – et c’est ce qu’ils exigent des États, des entreprises et des particuliers.
L’Allemagne et l’euro
L’euro fut surtout promu par la classe dirigeante allemande. La réunification de l’Allemagne donna un nouveau souffle à de vieilles ambitions. Bien qu’en théorie la France et l’Allemagne soient des associées à parts égales, nous savons bien que c’est l’Allemagne qui dirige. La bourgeoisie allemande tient entre ses mains une puissante économie basée sur une industrie forte. La Bundesbank tient les rênes de l’Europe.
Pendant la phase de croissance, les niveaux de vie se sont généralement élevés en Europe, mais ce fut un processus très inégal. Même alors, la bourgeoisie exerçait une pression féroce sur les travailleurs pour accroître leur productivité, pour qu’ils travaillent plus durement et plus longuement. Il y a eu un processus de précarisation, le remplacement d’emplois à temps plein par des contrats à temps partiel, avec des salaires plus bas et de plus mauvaises conditions. Les travailleurs s’en sortaient en faisant des heures supplémentaires, mais aussi du fait de la baisse des prix des biens de consommation (notamment des importations chinoises) et, surtout, du fait de l’expansion fulgurante du crédit.
Le capitalisme allemand, fortement dépendant de l’exportation de ses produits industriels, a exploité sans pitié les travailleurs pour en extraire la dernière goutte de plus-value. Entre 1998 et 2008, les coûts du travail ont augmenté de 30 % en Italie, de 35 % en Espagne, de 42 % en Grèce, mais seulement de 7 % en Allemagne. Les salaires réels allemands ont baissé ; la productivité et les exportations ont augmenté. Mais quelqu’un devait importer ce que l’Allemagne exportait.
La création de l’euro a donc bénéficié au capitalisme allemand. Il lui apportait un grand marché pour ses exportations (60 % se font au sein de l’UE), qui sont devenues hautement compétitives grâce à la baisse des salaires et à l’application de la technologie la plus moderne. L’Allemagne a fait pression sur d’autres pays pour qu’ils contractent des crédits et, ainsi, achètent des marchandises allemandes. L’argent prêté à la Grèce et aux autres pays fut utilisé – notamment – pour acheter des biens allemands, à une échelle massive.
À présent, la bourgeoisie allemande se plaint d’avoir été trompée. Elle dit que les Grecs ont falsifié leurs comptes publics pour entrer dans la zone euro. Il est fort probable que ce soit vrai. Mais est-ce que la bourgeoisie allemande ignore la plus simple arithmétique ? Elle ne sait pas compter ? Ne dispose-t-elle pas de spécialistes compétents en matière de finances publiques ? Bien sûr que si. Mais en 2001, ils ne cherchaient pas à examiner de façon trop détaillée les comptes publics grecs, exactement comme les banques américaines, espagnoles et irlandaises prêtaient beaucoup d’argent à des familles qui avaient peu ou pas de revenus.
Si l’Allemagne exporte et prête, d’autres pays européens doivent importer et emprunter. Cette relation débiteurs-prêteur fonctionnait très bien tant que l’économie avançait. Mais la crise de 2008 a cruellement révélé la réalité de la situation. L’heure de vérité a sonné. Mais quand la facture a été présentée, il n’y avait pas d’argent pour la payer.
Le maillon le plus faible
Toute chaîne se rompt à son maillon le plus faible. La Grèce est le maillon le plus faible de la chaîne du capitalisme européen. C’est l’homme malade de l’Europe. Mais il y a de nombreux malades dans cet hôpital. Certains sont déjà en soins intensifs (Grèce, Irlande, Portugal). D’autres sont pratiquement dans le même état (Espagne et Italie). La France et la Belgique ne sont pas très loin. Les autres sont dans la salle d’attente. Mais en fin de compte, tous tomberont malades.
L’idée qu’il serait possible pour des pays comme l’Allemagne, la Finlande et l’Autriche de ne pas être contaminés par la crise européenne – cette idée est un mensonge. L’Europe s’est formée comme un marché unique avec un fort degré d’intégration économique. Le destin de chaque pays affecte gravement le destin de tous. C’est vrai même des plus petits pays, comme la Grèce.
Il peut sembler paradoxal que le dernier sommet du G20, au Mexique, se soit concentré sur le problème grec et le résultat des élections grecques. Mais ce qui est plus paradoxal encore, c’est ce qui s’est passé ensuite. La bourgeoisie – en particulier la bourgeoisie américaine – était préoccupée par une possible victoire de Syriza, ce qui aurait signifié la sortie immédiate de la Grèce de la zone euro et aurait provoqué une combinaison de circonstances mettant en péril le futur de l’euro – et précipitant une profonde récession à l’échelle mondiale.
Quand ce résultat fut évité par la courte victoire de Samaras et de Nouvelle Démocratie (droite), la bourgeoisie fut soulagée. On aurait pu s’attendre à ce que l’UE (c’est-à-dire Angela Merkel) lance des bouées à Samaras, ou qu’au moins elle lui donne un signe qui puisse être interprété comme une promesse de soulagement de la souffrance du peuple grec. Au lieu de cela, la Chancelière allemande a montré un visage de pierre et prévenu que toute renégociation des « accords » passés était exclue.
Merkel avait initialement accepté d’« aider » la Grèce à payer ses dettes, non par générosité, mais parce que la majorité de ces dettes sont contractées auprès de banques allemandes (et françaises). L’« aide » était conditionnée à un plan de rigueur drastique qui a poussé la Grèce dans une profonde récession et l’a réduite à la mendicité. Loin de résoudre les problèmes, elle les a aggravés. Cependant, Merkel continue d’exiger l’austérité et la « discipline budgétaire ».
La classe dirigeante allemande fait face à un dilemme. D’un côté, elle ne veut pas se charger des dettes de l’Europe et ne serait pas mécontente de voir la Grèce quitter la zone euro. Mais d’un autre côté, elle redoute les conséquences de la crise bancaire qui découleraient inévitablement d’une sortie de la Grèce de la zone euro. Ce dilemme conduit à une espèce de paralysie des volontés et à des vacillations constantes, alors qu’une action décisive est requise. Nous l’avons constaté de nouveau lors du dernier sommet de l’UE. Les dirigeants ressemblent à l’empereur Néron, qui jouait de la harpe au milieu d’un gigantesque incendie.
L’Espagne
Les flammes ont atteint l’Espagne, qui est désormais dans l’œil du cyclone de la crise économique européenne. La Grèce, l’Irlande et le Portugal sont, au sens littéral, des pays périphériques de l’UE. Mais l’Espagne est plus grande que ces trois pays pris ensemble. De même, l’Italie est l’un des piliers de l’UE. Un effondrement économique de l’Espagne ou de l’Italie aurait les plus graves conséquences pour toute l’Europe.
Pendant 14 ans (1994-2008), l’Espagne a évité la récession. Elle avait l’un des taux de croissance les plus élevés d’Europe et créait davantage d’emploi que tous les autres pays de l’UE. Il semblait que la croissance espagnole durerait toujours. Mais la croissance fut stimulée en grande partie par une bulle spéculative immobilière alimentée par un accès au crédit facile et bon marché.
La fin de la croissance a fait ressurgir toutes les contradictions. Le marché immobilier s’est effondré. De nombreuses familles ont perdu leur logement, pendant que des milliers de logements restent vides, faute d’acheteurs. L’industrie de la construction est en crise et de nombreux travailleurs de ce secteur ont perdu leur emploi.
D’après les chiffres officiels, il y a plus de 25 % de chômeurs, le chiffre le plus élevé d’Europe. Plus de la moitié de la jeunesse espagnole est au chômage. La croissance du chômage se traduit par une chute brutale de la demande et des recettes fiscales. Les nouvelles coupes ne feront qu’aggraver le problème, comme nous l’avons déjà vu en Grèce.
Avant 2007, l’Espagne avait un excédent budgétaire et payait ses dettes. À présent, le déficit s’élève à 9 % du PIB, alors qu’il est censé être ramené à 3 % d’ici la fin de l’année.
L’Espagne est en récession depuis quatre ans. Les allocations chômage seront bientôt coupées et de nombreuses familles ne pourront plus payer leurs crédits. Cela conduira à une nouvelle vague d’expropriations, aggravant le problème du manque de logements, et à une nouvelle chute du marché immobilier. Les banques se retrouveront propriétaires d’un plus grand nombre de logements vides que personne ne peut acheter.
En conséquence, le système bancaire espagnol connaît une profonde crise. Pour éviter son effondrement total, l’UE a dû y verser 100 milliards d’euros. Mais même cette somme énorme ne suffira pas à combler le gouffre qui s’est creusé dans le bilan des banques espagnoles. Personne ne connaît la véritable ampleur de ce gouffre. 150 milliards ? 250 milliards ? C’est impossible à dire. Mais il est clair que le prêt de 100 milliards n’est qu’un début.
Ceci est très clair pour les marchés, qui ont réagi en conséquence. Personne ne veut acheter de la dette espagnole – sauf à des taux d’intérêt très élevés. Le taux d’intérêt a déjà atteint 7 %. Des taux aussi élevés sont intenables.
Même avant que les plans d’austérité et les coupes massives du nouveau gouvernement du PP ne soient annoncés, nous avons assisté à une vague de grèves après l’autre et à des mobilisations régionales et sectorielles : les salariés de l’éducation à Madrid, les fonctionnaires en Catalogne et à Valence, le mouvement des étudiants à Valence, le mouvement national dans l’éducation publique, etc. Le mouvement des indignés, avec ses manifestations de masse en mai, juin et octobre 2011, fut aussi un reflet de cette accumulation de colère et a contribué à transformer l’humeur générale la classe ouvrière.
L’Espagne suit la même voie que la Grèce. Les conséquences seront similaires, mais à une échelle bien plus importante. Le gouvernement de Rajoy est un gouvernement de crise. Sa base électorale s’effrite rapidement. Les dirigeants du PSOE s’orientant vers l’unité nationale, le bénéficiaire principal a été la Gauche Unie (IU) – sur la gauche du PSOE – qui est organisée autour du Parti Communiste Espagnol. La Gauche Unie a significativement augmenté ses votes. Dans les enquêtes d’opinion, elle est passée de 6,9 %, lors des élections de novembre, à 11,6 % aujourd’hui.
Cela confirme la même tendance vers la gauche qu’en Grèce et en France. Les stratèges sérieux du Capital préviennent déjà des conséquences révolutionnaires des coupes massives dans les dépenses publiques. Un article du Financial Times intitulé L’Espagne a accepté une mission impossible, l’explique en termes réalistes : « L’effort de l’Espagne dans la réduction du déficit n’est pas seulement un mauvais calcul économique : c’est physiquement impossible. Soit l’Espagne n’atteindra pas son objectif, soit le gouvernement espagnol devra licencier tant d’infirmières et de professeurs que le résultat sera une insurrection politique ». (FT, 15 avril)
L’Italie
La situation du capitalisme italien est encore pire que celle du capitalisme espagnol, qui a au moins partiellement recapitalisé ses dettes avec l’aide de l’UE. Le niveau d’endettement de l’Italie est encore plus élevé. Ce n’est pas nouveau, mais désormais la situation est vraiment critique.
La dette italienne a déjà atteint 120 % du PIB par le passé, mais alors ça ne posait pas de graves problèmes, car les gouvernements successifs pouvaient dévaluer la Lire pour accroître la compétitivité des exportations. La bourgeoisie italienne achetait la stabilité sociale, pour partie, en maintenant un haut niveau d’endettement. Elle trouvait toujours des acheteurs de la dette italienne sur les marchés internationaux. Mais tout cela a changé.
L’introduction de l’euro a bloqué cette voie. L’Italie a perdu de sa compétitivité au profit de l’Allemagne – et ce phénomène s’est aggravé du fait de la concurrence chinoise. L’économie italienne stagne depuis des années, ce qui a fait chuter la confiance des marchés et conduit à une augmentation des taux intérêts auxquels l’État s’endette.
Si l’on exclut le paiement des intérêts, l’Italie a un excédent budgétaire primaire. Sous le gouvernement de « gauche » de Prodi, l’Italie avait commencé à payer ses dettes. Mais avec des taux d’intérêt de 6 %, voire 7 %, le poids de la dette devient insoutenable. Après une dizaine d’années de stagnation économique, l’Italie ne peut plus financer sa dette, qui s’élève à 1900 milliards d’euros. Elle a du mal à vendre ses bons du Trésor.
Les dévaluations n’étant plus possibles, la seule alternative des capitalistes italiens consiste à lancer une attaque contre la jeunesse et la classe ouvrière. Il y a quelques années, avant la crise, The Economist signalait déjà que, pour retrouver sa compétitivité, l’Italie devrait licencier un demi-million de travailleurs – et réduire de 30 % tous les salaires. Telle est la signification de la « dévaluation interne ». Et tel est le véritable programme de la bourgeoisie italienne.
Le cas de l’Italie montre quel est le problème central de la bourgeoisie européenne : la force de la classe ouvrière. Pendant des décennies, les travailleurs d’Europe se sont habitués à un certain niveau de vie. Ils ont conquis des conditions d’existence au moins semi-civilisées. La classe dirigeante ne pourra pas facilement reprendre les réformes et les concessions du passé.
Le problème particulier de la bourgeoisie italienne est qu’elle n’a pas un parti fort et un gouvernement stable pour mettre en œuvre son programme. Berlusconi n’a pas pu mener à bien ce qui était nécessaire au capitalisme italien. Le gouvernement « de gauche » de Prodi est allé plus loin, mais ça l’a détruit. Le soutien au gouvernement d’« unité nationale » de Monti s’est effondré en quelques mois. Tous se sont heurtés à la résistance de la classe ouvrière italienne.
Les conditions d’une nouvelle explosion de la lutte des classes sont réunies. De grandes opportunités s’ouvriront aux marxistes italiens.
La Grèce
La perspective d’un gouvernement de Syriza a fait souffler un vent de panique sur les bourgeoisies grecque et internationale. Ils ont organisé une campagne massive pour dissuader les gens de voter pour Syriza, pronostiquant une catastrophe économique s’il arrivait au pouvoir. Cela a suffi à faire trembler une large partie des classes moyennes, des personnes âgées et des éléments les moins conscients – et pousser une majorité d’électeurs vers Nouvelle Démocratie.
Cependant, le résultat des élections n’a rien résolu. Les mêmes problèmes économiques demeurent. La situation de calme relatif est très fragile et temporaire. L’humeur des masses est aussi sceptique et pessimiste qu’avant les élections. Même parmi les électeurs de Nouvelle Démocratie, rares sont ceux qui croient que Samaras règlera quoi que ce soit. Ce n’est pas une base très solide pour lancer une nouvelle série d’attaques contre le niveau de vie du peuple grec.
Après trois ans de luttes et de soulèvements, il y aura aussi un élément de fatigue dans les masses grecques. Il peut y avoir une trêve temporaire. Mais de nouveaux cataclysmes sont inévitables dans la période à venir. Samaras devra tenter de résoudre une crise qui, sur la base du capitalisme, n’a pas de solution.
La base électorale de Nouvelle Démocratie s’érodera rapidement. À l’inverse, Syriza grandira. Ça a déjà commencé. On rapporte que de nombreuses personnes cherchent à contacter Syriza dans leurs quartiers et commencent à s’organiser. Il s’agit particulièrement de militants, mais aussi de milliers de jeunes, et notamment de chômeurs et d’étudiants.
Cependant, Syriza est encore une structure relativement petite en nombre de militants. Nombre de ses cadres sont imprégnés d’idées réformistes (notamment « eurocommunistes »). Le problème s’est aggravé avec l’arrivée de groupes sectaires qui ne font pas le moindre effort pour construire un authentique parti communiste. Mais le parti sera construit dans tous les cas – et les masses savent comment régler ces problèmes.
À l’intérieur de Syriza, il existe différentes tendances – de droite et de gauche. Tsipras est à gauche, mais son programme est confus. Et dans une situation comme celle de la Grèce, la confusion est très dangereuse. Les marxistes grecs au sein de Syriza peuvent jouer un rôle important en présentant au parti des idées et une perspective claires.
Au cours des dernières élections, Syriza a obtenu 52 % des voix des jeunes de 18 à 24 ans. C’est un fait très important. En 1917, les mencheviks accusaient les bolcheviks d’être un « parti de gamins », ce qui était vrai en grande partie. Les membres du parti bolchevik étaient très jeunes. Les mencheviks étaient principalement de vieux syndicalistes aux tendances réformistes.
Une crise de régime
Trotsky expliquait que la conscience révolutionnaire des masses émerge à partir de changements profonds et brusques de la situation. La crise secoue les masses et les arrache à leur apathie. Il y a une fermentation croissante dans la société. Une humeur critique et une remise en cause du système se développent, ce qui n’était pas le cas avant, du moins pas à ce point.
La crise révèle aux masses toute la pourriture de la société et de ses institutions. Banquiers, politiciens, ministres, présidents, magnats des médias, prêtres, etc. : tous sont traduits devant le tribunal de l’opinion publique et jugés coupables. Ceux qui étaient respectés et honorés sont dépréciés et abhorrés.
Les masses cherchent une issue à la crise. Cela se traduit, sur le plan électoral, par de violentes oscillations vers la gauche et vers la droite. Les gouvernements se succèdent rapidement. Toutes les combinaisons possibles sont essayées. Mais toutes échouent, car il n’y a pas de solution sur la base du capitalisme. Les politiciens, les partis, les programmes et les idées sont mis à l’épreuve. Les masses apprennent peu à peu ce qu’il y a derrière les promesses creuses.
Une ambiance de scepticisme commence à se développer au sujet du parlementarisme et de la politique en général. Cependant, en Europe, les illusions dans le parlementarisme sont profondément enracinées. De même, les masses n’abandonneront pas facilement les organisations auxquelles elles s’identifient. Mais toutes ces organisations seront mises à l’épreuve. Il y aura toute une série de crises et de scissions, avec l’apparition de nouvelles formations politiques, comme Syriza, Die Linke et le Front de Gauche, à partir des vieilles organisations.
Dans la période qui s’ouvre, il y aura une polarisation croissante vers la gauche et vers la droite, comme nous l’avons vu en Grèce et en France. Pour des raisons que nous avons expliquées de nombreuses fois, la réaction fasciste ou bonapartiste en Europe n’est pas à l’ordre du jour dans un futur immédiat. Par contre, l’ascension du parti néo-fasciste grec, l’Aube Dorée, est un avertissement sur ce qui nous attend si la classe ouvrière ne parvient pas à prendre le pouvoir en Grèce. Dans un futur immédiat, la classe dirigeante est obligée de gouverner via les mécanismes de la démocratie bourgeoise. Elle doit s’appuyer sur la couche supérieure des syndicats et des partis de gauche.
Cependant, la crise s’approfondissant, la bourgeoisie finira par décider qu’il y a trop de grèves, trop de manifestations, trop de chaos. Alors, elle en appellera à l’Ordre. Il y aura des complots et des conspirations, comme la « conspiration Gladio » dans les années 70. Mais bien avant que ne se pose la question d’un régime bonapartiste, la classe ouvrière aura de nombreuses occasions de prendre le pouvoir. Une tentative de coup d’État prématurée, par exemple en Grèce, provoquerait une résistance féroce des masses et une recrudescence révolutionnaire.
Il est vrai que la crise ne se développe pas dans tous les pays de la même manière. Il en est toujours ainsi. Elle se développe plus rapidement et plus intensément dans les pays capitalistes les plus faibles, comme la Grèce, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne et l’Italie, tandis que l’Allemagne et l’Autriche sont en retrait – et la Grande-Bretagne quelque part au milieu. Mais tous les pays seront emportés par la crise, tôt ou tard.
Partout, le passé pèse comme une montagne sur la conscience des masses. C’est particulièrement vrai au niveau des directions des organisations de masse. Les dirigeants réformistes des syndicats et des partis de gauche vivent dans le passé. Mais même la mentalité de nombreux militants syndicaux est marquée par les défaites passées. Ils sont souvent infectés par le scepticisme et le cynisme.
C’est encore plus clair parmi de larges couches des militants des partis de gauche, qui ont été marqués par des années de stalinisme et de réformisme. Ils ont souvent perdu confiance dans la classe ouvrière. Il faudra de grands événements pour réactiver ces camarades. Un certain nombre d’entre eux resteront en marge de la politique, mais ils seront remplacés par une nouvelle génération qui n’est pas paralysée par les souvenirs du passé.
En général, le poids de la crise capitaliste retombe plus lourdement sur les épaules de la jeunesse. En Espagne, la moitié des jeunes sont au chômage ; en Grande-Bretagne, Cameron veut supprimer l’aide au logement pour les moins de 25 ans, etc. Des rangs de la jeunesse viendront les meilleurs combattants. Ils seront attirés par les syndicats et les partis de gauche, dans lesquels ils verront un outil pour changer la société. Nous devons nous baser sur eux. Comme le disait Lénine : ceux qui ont la jeunesse ont le futur.
Impasse
Certains pensent que la seule préoccupation de la classe dirigeante est de sauver les banques. C’est trop simple. Il y a des contradictions entre différentes sections de la classe capitaliste, et les banquiers ne représentent qu’une section. En Grande-Bretagne, le poids du capital financier est très important, suite à la destruction de l’industrie britannique au cours des dernières décennies. Mais même dans ce pays, la coalition Tory-LibDem a dû faire pression sur les banques et lancer des investigations sur les récents scandales qui ont impliqué la direction de Barclays et RBS. Cameron a demandé la démission du PDG de Barclays – et même Miliband, le timide dirigeant du Parti Travailliste, souhaite l’envoyer en prison.
En Allemagne, c’est la fraction industrielle de la bourgeoisie qui tient le haut du pavé. Elle fait pression sur les banquiers pour qu’ils acceptent des pertes. En Espagne, les actions de Bankia ont perdu plus de 80 % de leur valeur, alors que la valeur de ces actions était censée être « garantie » par l’État.
Des contradictions insolubles émergent de toutes parts. Certains demandent la création d’Eurobonds. Mais quelqu’un devra garantir ces hypothétiques bonds. Qui ? L’Allemagne, bien sûr ! Lorsque les pays endettés demandent l’émission d’eurobonds, Merkel répond : « pas de mon vivant ».
Le ministre des Finances allemand affirme que la Grèce a reçu davantage d’argent que l’Allemagne à l’époque du plan Marshall. C’est un mensonge. Après 1948, les États-Unis ont donné et prêté beaucoup plus d’argent à l’Allemagne, pour qu’elle paye ses dettes accumulées avant et pendant la guerre. Oui, mais à l’époque, les États-Unis détenaient à Fort Knox les deux tiers des réserves mondiales d’or – et le capitalisme mondial entrait dans une phase d’expansion sans précédent.
Quelle est la situation aujourd’hui ? L’économie mondiale traverse la plus grave crise de l’histoire. Les États-Unis ont des dettes colossales – extérieures et domestiques. Quant à l’Allemagne, il n’y a pas assez d’argent dans la Bundesbank pour « sauver » l’Espagne ou l’Italie.
L’Allemagne ne veut plus payer. Mais en même temps, elle ne peut pas simplement laisser l’euro s’effondrer. Par exemple, l’Allemagne (comme les États-Unis) possède de vastes quantités de dettes grecque, espagnole et italienne. Et la grande majorité des exportations allemandes se font dans la zone euro.
Face à la demande insistante de lancer des eurobonds, Merkel répond : « d’accord, mais nous demandons en retour que tous les budgets des pays soient approuvés par l’UE (c’est-à-dire par l’Allemagne) avant d’être soumis aux parlements nationaux. Autrement dit, l’Allemagne n’acceptera de garantir vos dettes que lorsque vous accepterez de nous céder votre souveraineté nationale ».
Avec un étonnant mélange de cynisme et d’insolence, Cameron dit : « nous sommes favorables à une plus grande intégration de la zone euro, pour sauver la monnaie unique (et protéger les intérêts britanniques), mais pour notre part nous resterons à l’écart et ne donnerons pas un penny pour vous aider. » Il est vrai que ce que Cameron dit ou fait ne change pas grand-chose.
Il est très improbable que la France, l’Italie et l’Espagne acceptent de renoncer à leur indépendance pour faire plaisir à Merkel et la Bundesbank. Même si Hollande, Rajoy et Monti en acceptaient le principe, cela devrait être ratifié par les parlements nationaux – et, probablement, être soumis à référendum. Cela prendrait des années et donnerait lieu à d’interminables polémiques. Or la crise de l’UE se développe maintenant – et les marchés n’attendront pas que les pesants mécanismes de la démocratie parlementaire accouchent d’une décision.
Les marchés et les investisseurs perdent patience. Il y a un mouvement de retraits massifs « au ralenti » affectant les banques grecques et espagnoles. C’est un avertissement. Les banques européennes sont au bord du gouffre. Tôt ou tard, une grande banque fera faillite, ce qui pourrait précipiter une crise bancaire généralisée et une profonde récession. Cela aurait des conséquences très sérieuses pour l’économie mondiale.
L’utopisme des réformistes
Les réformistes n’ont pas de solution à la crise. Ils acceptent le système capitaliste et tous ses mécanismes. Dans leur aveuglement, ils s’imaginent que les coupes budgétaires sont le produit de l’ignorance ou de « choix idéologiques ». Certains accusent les agences de notation d’être responsables de la situation. Cela revient à accuser le thermomètre d’indiquer la température. Si vous brisez le thermomètre, la fièvre ne disparaîtra pas. Si on interdisait les agences de notation, les marchés continueraient d’opérer comme avant. Et sous le capitalisme, comment une législation pourrait-elle empêcher les capitalistes de retirer leur argent des placements risqués pour l’investir dans des placements plus profitables ?
Des mots d’ordre comme « taxer les riches » peuvent jouer un rôle positif dans le domaine de l’agitation, mais ils n’ont aucun contenu scientifique. Hollande propose de créer une nouvelle tranche d’impôt sur le revenu, de 75 %, pour les plus riches. Il est clair que c’était efficace sur le plan électoral, mais s’il tente de le mettre en pratique, cela créera immédiatement une fuite de capitaux massive vers la Suisse ou même la Grande-Bretagne, où Cameron a déclaré qu’il leur déroulerait le tapis rouge (ce qui n’a pas contribué à améliorer les relations entre Paris et Londres).
Le problème du réformisme (en particulier le réformisme de gauche), c’est qu’en interférant sur le marché sans l’éliminer, il empêche le capitalisme de fonctionner normalement. Dans le cas de la France, si Hollande tente de mettre en œuvre son programme, il sera confronté à une grève de capitaux massive qui le forcera à faire marche arrière. C’est ce qui est arrivé à Mitterrand en 1981. Mais la situation est bien pire qu’en 1981 – et Hollande capitulera beaucoup plus vite et brutalement que Mitterrand. Cela provoquera une explosion de la lutte des classes, une croissance du Front de Gauche et une fermentation à la base du PS.
Quel est le problème ? La classe ouvrière a prouvé à plusieurs reprises qu’elle est prête à se battre. Mais les dirigeants n’ont confiance ni dans la classe ouvrière, ni en eux-mêmes. Même les meilleurs dirigeants de gauche n’osent pas tirer toutes les conclusions. Ils cherchent sans cesse des solutions « intelligentes » qui leur permettraient d’éviter un conflit direct avec la classe dirigeante. Or, sans une telle confrontation, il n’y a pas d’issue. Les solutions « intelligentes » ne feraient qu’aggraver la crise.
Tsipras est devenu très populaire grâce à des déclarations à gauche et son opposition à l’austérité. Mais son programme est complètement utopique. Il veut que la Grèce reste dans la zone euro, tout en rejetant les termes dictés par Bruxelles. La tendance de Lafazanis, au sein de Synaspismos, propose un retour à la drachme. Mais la première option est rejetée par les dirigeants bourgeois de l’UE ; la deuxième se traduirait par un effondrement économique. En réalité, il n’y a pas d’issue pour le capitalisme grec – que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de l’UE. Prétendre le contraire, c’est tromper les travailleurs.
L’idée que la solution consiste à refuser de payer la dette, sur la base du capitalisme, est typique des notions utopiques de la petite-bourgeoisie radicale. Si ce mot d’ordre n’est pas lié à l’expropriation des banquiers et des capitalistes, il ne peut que mener à un effondrement économique. Cela montre les limites du programme de Tsipras, qui semble croire que la Grèce peut refuser de payer ses dettes aux Allemands et aux Français – tout en restant dans la zone euro. C’est complètement utopique. La Grèce sera bientôt hors de la zone euro, mais aussi de l’UE, coupée des marchés monétaires internationaux, incapable de payer les salaires des fonctionnaires et les retraites.
La seule revendication transitoire correcte est : nationalisation des banques sans indemnités pour les grands actionnaires. Ces parasites ont déjà gagné beaucoup trop d’argent. Pas un centime pour les banquiers ! La nationalisation des banques et des compagnies d’assurance est une étape indispensable vers la planification rationnelle de l’économie.
L’expropriation du capital financier fournira un puissant levier pour résoudre les problèmes sociaux. Ceci dit, à elle seule, la nationalisation des banques est insuffisante. Cela n’éliminerait pas l’anarchie du capitalisme. Il faut également nationaliser les grands monopoles qui dominent l’économie – et les placer sous le contrôle et la gestion démocratiques des travailleurs. Les grands leviers de l’économie doivent être contrôlés par l’État, et l’État contrôlé par les travailleurs. C’est la condition sine qua non d’une planification rationnelle et harmonieuse des forces productives.
Il faut dire la vérité aux travailleurs grecs. Il n’y a qu’une issue : ils doivent prendre le pouvoir et appeler les travailleurs d’Europe à suivre leur exemple. À bas l’Europe des banquiers et des capitalistes ! Pour une fédération des États socialistes d’Europe ! Tel est notre mot d’ordre. Si les travailleurs grecs prennent le pouvoir, cela aura un effet colossal sur les travailleurs de toute l’Europe, à commencer par l’Espagne, l’Italie, le Portugal et la France. L’impact en sera au moins aussi grand que la révolution russe de 1917. Cela transformera toute la situation.
Dans des pays comme la Grèce, le Portugal, l’Irlande et l’Italie, la dette publique est devenue une question brûlante qui pousse la classe dirigeante à mettre en œuvre des plans de rigueur drastiques. Nous demandons l’arrêt immédiat du remboursement de la dette (et non simplement un « audit », comme le proposent les réformistes de gauche). Cela poserait immédiatement la question : comment ces gouvernements vont-ils se financer ? Nous répondons : par l’expropriation, sans indemnités, de l’ensemble du secteur financier et sa concentration en une seule banque nationale.
La nationalisation des moyens de production, de distribution et d’échange permettrait d’utiliser pleinement toutes ces forces que l’anarchie du capitalisme laisse en friche. En Espagne, par exemple, les banques possèdent des milliers de maisons et d’appartements vides. Dans le même temps, le nombre de SDF ne cesse de croître. Les logements vides doivent être mis à la disposition des sans-logis.
Il y a des dizaines de millions de chômeurs en Europe (11 % de la population active) et, dans le même temps, beaucoup de besoins sociaux à satisfaire. La semaine de 35 heures, sans perte de salaires, permettrait de mobiliser des millions de chômeurs pour construire des logements, des écoles, des routes, des hôpitaux, etc.
Ceci dit, les revendications transitoires n’ont rien de magique. À elles seules, elles ne vont pas assez loin, comme l’expliquait Trotsky : « L’échelle mobile des salaires et l’autodéfense ouvrière ne suffisent pas. Ce ne sont que les premiers pas nécessaires pour protéger les travailleurs de la faim et des couteaux fascistes. Ce sont des moyens d’autodéfense urgents et nécessaires. Mais en eux-mêmes, ils ne résoudront pas le problème. La tâche principale, c’est d’ouvrir la voie à un meilleur système économique, à une utilisation plus juste et rationnelle des forces productives dans l’intérêt du peuple. »
« Ceci ne peut être réalisé par les méthodes ordinaires, "normales" et routinières des syndicats. Dans les conditions du déclin du capitalisme, les syndicats se révèlent incapables de mettre un terme à la détérioration des conditions ouvrières. Des méthodes plus tranchantes sont nécessaires. La bourgeoisie, qui possède les moyens de production et contrôle l’appareil d’État, a plongé l’ensemble de l’économie dans le chaos. Il faut proclamer la faillite de la bourgeoisie et transférer l’économie entre des mains fraîches et honnêtes – c’est-à-dire entre les mains des travailleurs eux-mêmes. » (Septembre 1938)
Ces lignes de Trotsky expriment l’essence des revendications transitoires : elles pointent en direction de la révolution socialiste, qui est la seule issue. La crise est si grave que dans des pays comme la Grèce, beaucoup de gens – et pas seulement les jeunes et les travailleurs les plus militants – commencent à tirer des conclusions révolutionnaires. Nous devons marteler l’idée que la classe ouvrière doit prendre le pouvoir.
Ceux qui ont tout perdu savent qu’un changement fondamental est nécessaire. Aucune solution partielle ou « intelligente » ne marchera ; il faut complètement renverser le système actuel. Il faut construire les forces du marxisme aussi vite que possible, gagner les jeunes et les travailleurs à la tendance marxiste à travers un travail énergique et systématique.
Le 4 juillet 2012