La crise de l’économie mondiale provoquera une crise de toutes les institutions capitalistes. C’est d’ores et déjà le cas de l’Union Européenne. Avant même que les économies européennes n’entrent en récession, l’UE était criblée de rivalités entre les classes dirigeantes de ses Etats membres, à commencer par les plus puissants : la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne. Chaque fois qu’une question sérieuse était à l’ordre du jour, comme par exemple la guerre en Irak, l’Union Européenne sombrait dans la désunion. Il en va de même avec « l’Union pour la Méditerranée », l’adhésion de la Turquie, les relations avec la Russie, la politique de Défense – et ainsi de suite. La liste est longue et ne manquera pas de s’allonger.
Nous avons déjà expliqué la cause fondamentale de ces crises à répétition : l’Union Européenne ne constitue pas un seul pays dirigé par une seule classe capitaliste. Sa plus haute instance exécutive, la Commission Européenne, est composée de 27 chefs d’Etat et de gouvernement représentant les intérêts de 27 classes dirigeantes distinctes et concurrentes. Il y a longtemps, le réactionnaire américain Henry Kissinger posait une question très pertinente : « Si je veux parler à l’Europe, qui dois-je appeler ? ». Il n’y a toujours pas de réponse.
Historiquement, l’objectif de l’Union Européenne était de constituer un bloc économique dirigé contre les Etats-Unis et le Japon. Pour concurrencer ces deux géants sur le marché mondial, y compris le marché européen, les capitalistes des petits Etats européens n’avaient d’autre choix que de s’engager dans un processus d’intégration économique et politique. Il y sont partiellement parvenus : la monnaie commune, par exemple, fut un pas sérieux dans cette direction. Mais les contradictions et rivalités n’ont pas pour autant disparues – tout au contraire. L’effondrement des marchés boursiers, la crise du secteur bancaire et la récession économique exerceront d’énormes pressions sur les fragiles structures de l’Union Européenne. Derrière les « déclarations communes » et les sourires de circonstances, le mot d’ordre de chaque classe dirigeante est : « Chacun pour soi – et sauve qui peut ! ». Ainsi, Angela Merkel a clairement signifié à Sarkozy que l’Etat allemand n’a pas l’intention de s’endetter davantage pour soutenir les banques françaises, britanniques et autres.
Quant à Sarkozy, il joue sur les deux tableaux. Comme président de l’UE, il exhorte les dirigeants européens à « l’unité d’action ». Mais comme représentant du capitalisme français, il vole au secours de ses amis banquiers, en France. Il est vrai que la duplicité et l’hypocrisie sont deux caractéristiques essentielles de la diplomatie capitaliste, et qu’en la matière, Sarkozy est un virtuose mondialement reconnu.
Europe sociale ?
Il y a un point sur lequel toutes les classes capitalistes de l’UE tombent d’accord : la nécessité, pour elles, de faire payer la crise aux jeunes, aux travailleurs et aux retraités d’Europe. « L’Europe qui protège » est un mythe auquel, déjà, la majorité des travailleurs du continent ne croient plus, comme l’ont montré les référendums en France, en Irlande et aux Pays-Bas. L’Europe qui exploite, précarise, licencie, délocalise, expulse et réprime : voilà la réalité à laquelle sont confrontées les masses du continent, depuis de nombreuses années. Or, avec la crise économique, la régression sociale permanente qui frappe l’ensemble des pays de l’UE va s’accélérer considérablement.
Dans ce contexte, les discours creux sur la nécessité d’une « Europe sociale » (sur la base du capitalisme) se heurteront à un mur de scepticisme, chez les travailleurs, qui entendent cette musique depuis trop longtemps. Les dirigeants actuels du Parti Socialiste ont usé et abusé de ce mirage. Mais comme Royal, Aubry et Delanoë sont complètement acquis à la cause du « marché », ils n’ont rien d’autre à proposer. Aussi se préparent-ils à rejouer la même chanson, lors de la campagne des élections européennes de juin 2009.
Le PCF, pour sa part, dénonce à juste titre la politique réactionnaire de l’UE. Par leur mobilisation, les militants communistes ont joué un rôle décisif dans la victoire du « non » au référendum sur la Constitution européenne, en 2005. Cependant, la politique des dirigeants du parti reste très confuse et contradictoire. Ils critiquent l’Europe capitaliste – mais, faute d’un programme réellement communiste, ils ne proposent aucune alternative crédible à l’UE. De même qu’ils défendent l’idée absurde d’un capitalisme fonctionnant suivant une « logique anti-capitaliste », ils avancent la perspective d’une Europe capitaliste qui, par on ne sait quel miracle, deviendrait solidaire, écologique, pacifiste, sociale, féministe – et tout ce que vous voudrez : les adjectifs ronflants ne manquent pas et ne mangent pas de pain. Mais en fin de compte, si on fait abstraction de toute cette poésie « antilibérale », la direction du PCF défend la même position réformiste que les dirigeants du PS : ils proposent une « Europe sociale », mais sans remettre en cause la propriété capitaliste des banques et de la grande industrie.
Sortir de l’UE ?
Il existe un courant minoritaire, dans le PCF, qui propose que la France « sorte de l’Union Européenne », au nom de la « souveraineté nationale ». Cette position, que défendent Jean-Jacques Karman et André Gerin, par exemple, est selon nous complètement erronée.
Une France capitaliste ayant rompu avec les institutions de l’UE serait tout aussi réactionnaire que la France actuelle. Les mots d’ordre « sortir de l’UE » et « pour la souveraineté nationale » n’ont pas un atome de contenu progressiste. Au contraire, ils tendent à injecter le poison nationaliste dans la conscience des travailleurs. Ils les incitent à s’identifier à la « nation » – toutes classes confondues –, plutôt que de les soulever contre la partie de cette « nation » qui les opprime et les exploite, c’est-à-dire contre la classe qui est « souveraine » ou dominante au sein de la nation.
Communisme et internationalisme sont indissociables. Comme le disait Marx, « les travailleurs n’ont pas de patrie ». Nous sommes pour l’unité des travailleurs d’Europe contre toutes les classes dirigeantes européennes. La seule alternative viable à l’Europe capitaliste est
une Fédération socialiste des Etats européens. C’était le mot d’ordre de l’Internationale Communiste à l’époque de Lénine et Trotsky, avant sa dégénérescence bureaucratique. Cette perspective est toujours d’actualité, et devrait constituer l’axe central de la campagne du PCF, aux européennes. Le socialisme, en Europe comme dans le reste du monde, remplacera le marché par un plan de production consciemment et collectivement élaboré dans l’intérêt de l’ensemble de la société. C’est seulement ainsi qu’il sera possible de « sortir de l’Union Européenne » : en libérant les travailleurs de France et de toute l’Europe des chaînes du capitalisme européen.